Drivy et OuiCar, deux stratégies à contresens dans l'autopartage

Drivy et OuiCar, deux stratégies à contresens dans l'autopartage Le rachat de Drivy par l'américain Getaround accélère des divergences grandissantes entre les deux start-up françaises, auparavant très proches.

Autrefois concurrents-clones, Drivy et OuiCar se ressemblent de moins en moins. A leur lancement respectif en 2010 et 2012, les deux plateformes proposaient des services relativement similaires : la location de véhicules entre particuliers n'importe où en France. Mais au gré de choix stratégiques et du développement de leurs business, les deux start-up françaises ont commencé à devenir de plus en plus différentes. Un mouvement accéléré par l'acquisition de Drivy par l'américain Getaround en avril 2019 pour 300 millions de dollars. Depuis octobre, la marque Drivy a d'ailleurs disparu pour laisser place à Getaround en Europe.

Chez Drivy, un pivot est à l'œuvre pour professionnaliser le service et le rapprocher d'une utilisation plus urbaine et quotidienne. La plateforme fait de plus en plus appel à des véhicules de petites entreprises de location. Ils lui permettent de disposer des voitures propres et récentes dans des endroits stratégiques des villes, mais surtout de les déverrouiller depuis un smartphone, sans avoir à rencontrer quelqu'un pour la remise des clés. Un point de friction en moins qui rend ces véhicules bien plus populaires que ceux non-connectés des particuliers, même si une minorité d'entre eux disposent aussi de cette fonctionnalité. 75% des locations à Paris passent désormais par ces véhicules connectés.

Plus de pros chez Drivy

Aux Etats-Unis, Getaround avait adopté une stratégie similaire et dispose même de quelques gros partenaires apportant des flottes de plus de mille appareils. Ainsi que des deals avec de grandes entreprises comme Uber, qui permettent à ses chauffeurs débutants de louer un véhicule adapté à l'activité VTC, le temps d'acheter le leur. A Paris, Drivy s'est vu attribuer cette année dans le cadre du remplacement d' Autolib' 154 places de stationnement dédiées à l'autopartage. Getaround a même franchi un cap supplémentaire avec le lancement en juillet à Rotterdam de Lev, un service de location de véhicules deux places basé sur sa propre flotte. Faut-il y voir la fin de l'autopartage entre particuliers chez Getaround ? "Il faut maintenir un équilibre entre véhicules particuliers et professionnels", tempère la présidente de Getaround, Jessica Scorpio. "Les véhicules particuliers sont très pratiques pour absorber les pics de demande et atteindre une certaine échelle, tandis que les véhicules professionnels permettent de créer rapidement une masse critique lors du lancement de nouveaux marchés."

Les lancements sont justement l'autre grand changement à l'œuvre chez Drivy. Hors de France, la start-up ne propose pas de réseaux nationaux d'autopartage, mais réfléchit ville par ville, tout comme son nouveau propriétaire Getaround. Ce changement doit permettre des réservations plus courtes et immédiates que les traditionnelles locations pour un weekend entier prévues de longue date. Autre objectif : rendre chaque véhicule plus rentable grâce à des courses courtes plus chères et qui permettent à plusieurs clients de l'utiliser dans une même journée.

Ouicar fidèle aux particuliers

De son côté, OuiCar reste fidèle aux fondamentaux de l'autopartage entre particuliers. Son PDG Benoît Sineau assume de maintenir le fonctionnement de sa plateforme à une échelle nationale et de se reposer principalement sur des particuliers. Conscient de l'intérêt des véhicules connectés, sur lesquels OuiCar a pris du retard par rapport à Drivy, il souhaite en proposer aussi. Une campagne auprès des propriétaires a démarré en septembre, mais elle ne s'adresse qu'à l'élite de OuiCar. Les loueurs bien notés, les plus actifs et réactifs, se voient proposer de connecter leur véhicule et de débloquer la réservation instantanée. "Nous focalisons cette fonctionnalité sur des personnes capables d'organiser un niveau de service suffisant pour ne pas tomber dans les déboires d'Autolib", explique Benoît Sineau, qui veut éviter d'enrôler des propriétaires qui n'auront pas le temps de nettoyer les véhicules entre deux locations ou annuleront trop souvent. Les véhicules connectés seront par ailleurs mis en avant sur la plateforme et remonteront en premier dans les recherches.

OuiCar souhaite tout de même aller vers des usages plus immédiats et quotidiens, comme son concurrent. "Notre demande moins de 48 heures à l'avance est en progression et représente désormais 40% des locations", précise Benoît Sineau, qui ajoute que OuiCar envisage de descendre sa durée minimum de location d'une journée à une demi-journée. Pas question pour autant de passer à des locations à l'heure comme la concurrence, ce qui rapprocherait beaucoup trop le business de celui des plateformes d'autopartage en stations ou en free floating avec leurs propres flottes, comme Ubeeqo ou Communauto. "Si je savais mettre des flottes d'autopartage en free floating dans les rues en étant rentable, je le ferais demain. C'est le meilleur modèle, mais il est impossible à rentabiliser à cause des coûts de contrôle et de gestion de la flotte", estime Benoît Sineau.

Softbank contre la SNCF

Outre ces différences de stratégie et de services, OuiCar et feu Drivy n'en sont plus du tout au même stade de développement. Avec une nette avance prise par le second. Déjà avant son rachat, Drivy s'était déployé dans cinq pays d'Europe de l'Ouest, en plus de la France. L'ex-startup est désormais arrimée à Getaround, présent sur le lucratif marché américain. OuiCar, qui affirmait en 2017 au JDN qu'un premier marché, l'Espagne, serait lancé en 2018, n'a toujours pas traversé la frontière. La faute à une refonte technique totale de la plateforme, dont les technos dataient de 2007, et qui a accaparé l'entreprise depuis 2018, justifie Benoît Sineau. "Nous lancerons l'Espagne début 2020", assure-t-il. Avec l'ambition à terme de concurrencer Getaround sur tous ses marchés européens.

"Drivy et OuiCar en Europe, ce n'est même pas 200 millions d'euros par an"

La puissance de feu des deux entreprises est aussi devenue totalement asymétrique avec le rachat de Drivy. Getaround, soutenu par le conglomérat japonais Softbank, a levé 500 millions d'euros en à peine plus d'un an, via deux opérations. Racheté par la SNCF en 2015 pour 28 millions, OuiCar ne peut plus dépendre seulement d'un propriétaire qui n'a pas les moyens de financer ses ambitions et souhaite ne plus avoir de participations majoritaires. L'ouverture du capital, révélée par Les Echos en mai 2018, serait-elle au point mort ? Benoît Sineau assure qu'elle a été mise en pause, le temps de la refonte de la plateforme technique, et reprendra début 2020 avec comme objectif d'ouvrir du capital de Ouicar à des investisseurs minoritaires ou majoritaires, selon les offres.

OuiCar pourra-t-il égaler Getaround sans s'adosser à un acteur aussi puissant, par exemple son concurrent américain Turo, auquel Benoît Sineau aime d'ailleurs se comparer ? Pas besoin de passer par une nouvelle acquisition pour l'instant, assure-t-il. "Une levée de fonds serait suffisante pour passer à une échelle supérieure. Avant d'envisager quoi que ce soit d'autre, nous avons encore des leviers à actionner pour valoriser pleinement la société."

Malgré ces divergences accrues, un point commun entre les deux entreprises demeure. Elles sont encore loin de la rentabilité et n'ont toujours pas réussi à capter plus de quelques pourcents du marché de la location de voitures, là où d'autres start-up des mobilités comme BlaBlaCar ou Uber sont devenues incontournables, bien que toujours pas rentables. "Drivy et nous en Europe, ce n'est même pas 200 millions d'euros par an", reconnaît Benoît Sineau. "Tout est une question d'échelle et de capital. Les entreprises de VTC comme Lyft et Uber ont levé bien plus d'argent que nous", fait remarquer Jessica Scorpio de Getaround. Reste à convaincre les investisseurs d'être aussi généreux que patients.