Les nouvelles priorités des opérateurs de trottinettes ? Fidéliser, diversifier et... grignoter

Les nouvelles priorités des opérateurs de trottinettes ? Fidéliser, diversifier et... grignoter Après avoir sécurisé des marchés dans les quatre villes françaises qui ont organisé des appels d'offres, les opérateurs vainqueurs préparent leurs prochains relais de croissance.

Qu'il semble loin le temps de l'anarchie sur les trottoirs des grandes villes françaises. Désormais, quatre villes sont devenues des marchés régulés, ne retenant que quelques opérateurs de trottinettes en libre-service, via un processus d'appel d'offres : Paris fin septembre (gagné par Lime, Dott, et Tier), Lyon début septembre (Dott, Tier), Grenoble début juillet (Tier pour les trottinettes, Pony pour les vélos), et Marseille, pionnière, depuis près d'un an (Voi, Bird et Circ- racheté par Bird depuis).

Le grand gagnant de ce chamboulement est l'allemand Tier, qui a remporté trois des quatre appels d'offres. En gagnant Paris et Lyon, ses deux plus gros marchés, Dott assure sa survie : l'entreprise, qui a fait le choix de se concentrer sur peu de villes, aurait accusé une brutale baisse de son chiffre d'affaires et de sa valorisation en cas de défaite. Lime conserve Paris, l'un de ses plus gros marchés au monde, mais doit réduire la taille de sa flotte (de 7 700 à 5 000 appareils, selon l'entreprise), et abandonne Lyon et Marseille. La situation est pire encore pour son grand rival Bird, qui ne conserve que Marseille, un marché moins lucratif que Paris ou Lyon, mais dans lequel l'Américain possède deux licences, grâce au rachat de son concurrent Circ.

Les appels d'offres de mobilités en libre-service organisés en France
Ville Type d'appareil Nombre d'appareils par opérateur
Opérateurs sélectionnés
Grenoble Vélos électriques 500 Pony
Grenoble Trottinettes électriques"}">Trottinettes électriques 500 Tier
Lyon Trottinettes électriques 2 000 Dott, Tier
Marseille Trottinettes électriques 2 000 Bird, Circ, Voi
Paris Trottinettes électriques 5 000 Dott, Lime, Tier

Certains ont dû augmenter la taille de leurs flottes pour faire face à leurs nouvelles obligations, d'autres ont au contraire dû réduire la voilure. Mais tous se sont préparés à opérer de manière différente. D'abord, le fait de se partager le marché entre moins de concurrents signifie que les opérateurs ont proportionnellement besoin de moins d'appareils pour atteindre une même part de marché. "Cela évite d'augmenter massivement les tailles de flottes pour gagner des parts de marché, comme on a pu le constater auparavant", reconnaît Lucas Bornert, directeur général de Voi en France. Pour les opérateurs autrefois plus petits que leurs concurrents, c'est l'occasion d'améliorer la qualité de leur réseau à moindre risques. "A Paris, nous avions 2 500 appareils, et un concurrent qui en avait beaucoup plus que nous", se souvient Nicolas Gorse, directeur général France et Belgique de Dott. "Nous ne pouvions pas toujours tenir la promesse de trouver une trottinette près de soi dans ces conditions. Avec 5 000 appareils, notre réseau a atteint l'échelle nécessaire."

Fidéliser avec des abonnements

Conséquence de ces changements, le nombre de trajets par trottinette par jour (aussi appelé taux de rotation) augmente, ce qui dope la rentabilité des opérateurs. Dans ces conditions, ils sont en mesure de baisser leurs prix pour tenter de fidéliser leurs clients avec des forfaits à la journée et au mois qui suppriment les frais de déverrouillage des appareils (il faut toujours payer la tarification à la minute, qui constitue la majorité du prix). Il en coûte 8,99 euros par mois chez Lime et 6,99 euros chez Dott. "En pratique, ces forfaits provoquent une baisse des prix de Dott d'environ 15%", estime Nicolas Gorse. De son côté, Voi a lancé un abonnement illimité sans aucun frais additionnels pour 39 euros par mois.

Mises en avant par les opérateurs depuis la rentrée, ces formules commencent à trouver leurs utilisateurs : ces abonnés mensuels représentent 20% des utilisateurs de Dott et environ 5% de ceux de Lime. En plus de ces nouvelles conditions économiques, le contexte sanitaire a provoqué des changements d'habitudes et la création de nouvelles infrastructures (les "coronapistes") qui renforcent les opportunités de fidélisation, souligne Antoine Bluy, directeur général de Lime à Paris. "Nous constatons un usage de plus en plus domicile-travail, et donc plus régulier, de Lime et Jump".

Diversifier les véhicules

Fidélisation, mais aussi diversification. Les gagnants des appels d'offres veulent valoriser leurs accès privilégiés aux utilisateurs de trottinettes pour leur proposer d'autres services, en particulier des vélos électriques. Une manière détournée d'augmenter la taille de leurs flottes et la densité de leur réseau (un utilisateur peut se contenter d'un vélo électrique s'il ne trouve pas de trottinette à proximité). A ce jeu-là, c'est l'américain Lime qui se trouve dans la meilleure position, grâce à sa victoire à l'appel d'offres parisien conjuguée à son acquisition en mai de Jump, la filiale de vélos électriques d'Uber, contre un investissement de 170 millions de dollars. En plus de ses 5 000 trottinettes, Lime exploite 2 000 vélos Jump à Paris. Autre gagnant, de l'appel d'offres parisien, Dott prévoit d'ajouter des vélos électriques à son appli début 2021 dans la capitale. Dernier vainqueur parisien, Tier s'intéresse de son côté aux scooters électriques, sans calendrier de déploiement en France pour le moment.

Grignoter les banlieues

Dernier axe de cette stratégie : l'expansion des grandes villes vers leurs communes limitrophes. Aujourd'hui, ces services ne dépassent pas le périphérique parisien et ne touchent aucune ville de la métropole lyonnaise autre que Lyon. (La question se pose moins à Marseille, ville tentaculaire deux fois plus grande que Paris, cinq fois plus grande que Lyon, et dont les opérateurs n'ont pas encore réussi à couvrir tout le territoire). "Regarder où les trajets s'arrêtent est un bon indicateur de la demande", explique Nicolas Gorse. "En l'occurrence nous observons que beaucoup de trajets se terminent aux extrémités de Paris et Lyon, là où s'arrête notre service".

Là aussi, l'avantage pour les vainqueurs des appels d'offres est indéniable. Difficile d'imaginer qu'une commune limitrophe de Lyon ou Paris choisisse un opérateur qui ne serait pas présent chez sa grande voisine. Mais le travail sera particulièrement laborieux. "Nous devons négocier ville par ville, il n'y pas de coordination entre elles pour l'instant", précise Nicolas Gorse. En effet, la loi mobilités réserve aux communes et pas aux autorités de transport d'agglos ou de régions, la compétence d'organiser l'offre de mobilités en libre-service. La bataille des appels d'offres et loin d'être terminée.