Frédéric Mazzella (BlaBlaCar) "La création d'une start-up n'a rien de magique, il faut y aller étape par étape"

Pour la sortie de son livre "Mission BlaBlaCar", chez Eyrolles, Frédéric Mazzella, son cofondateur et président revient sur la création de sa start-up en 2006, son parcours et son futur.

JDN. Aujourd'hui sort votre ouvrage "Mission BlaBlaCar : Les coulisses de la création d'un phénomène" chez Eyrolles. En quoi l'écosystème des start-up a-t-il évolué depuis le lancement de Blablacar en 2006 ?

Frédéric Mazzella est le cofondateur et président de BlaBlaCar. © Bruno Levy

Frédéric Mazzella. Lorsqu'en 2010, j'ai publié une annonce pour embaucher un product manager, c'était une première. Beaucoup confondaient ce terme avec projet manager. Il faut dire qu'en 2015 il n'y avait pas vraiment d'entreprises tech avec de vraies équipes produits en France. Avec des collaborateurs de Blablacar, nous nous sommes donc rendus aux US pour nous inspirer des méthodes des product teams de la Silicon Valley. Par l'intermédiaire de nos investisseurs, nous avons ainsi organisé des visites chez Airbnb, Dropbox, LinkedIn, PayPal, Slack, Twitter ou encore WhatsApp.

Ces visites nous ont beaucoup appris, notamment sur comment développer un produit à une échelle mondiale. Désormais l'écosystème français, et notamment parisien, s'est beaucoup développé, comme le montre la récente levée de fonds de la nouvelle licorne Ankorstore. Organiser ce type de visites dans des entreprises parisiennes pourrait même avoir du sens.

Dans l'ouvrage, vous parlez de l'importance de la créativité. Est-ce que les projets véritablement innovants ont plus de chances d'être créés par des entrepreneurs ?

Je crois que la raison pour laquelle les tech entrepreneurs sont assez jeunes, généralement entre 25 et 30 ans, est avant tout pour une question de disponibilité. Un entrepreneur doit pouvoir s'investir à 100% dans son projet. Certaines périodes de vie permettent de le faire, en général en fin d'études. Les jeunes sont aussi généralement plus enclins à faire bouger les lignes que leurs ainés qui recherchent, eux, davantage une zone de confort. Lorsqu'on a 25 ans, on se dit que la vie n'a pas de fin et que l'on peut s'investir pleinement dans un projet. Par exemple, lorsque j'ai lancé BlaBlaCar, je n'avais pas cette notion de temps. Je me disais que mon projet prendrait le temps qu'il faudrait pour se développer.

Blablacar a beaucoup grandi. Quelles sont vos méthodes pour rester au contact de votre communauté de membres ?

Nous avons ancré ces principes de proximité dans notre culture d'entreprise. Je peux vous citer l'initiative des Members Day qui consiste à demander à nos collaborateurs de faire un aller-retour en covoiturage ou en bus sur une même journée. Les groupes doivent se retrouver dans une ville en utilisant notre plateforme. C'est en général une expérience assez amusante pour les équipes qui vont par exemple s'échanger des messages en direct pendant ces déplacements. L'objectif est également, qu'à leur retour, les collaborateurs partagent leur retour d'expérience, notamment sur ce qui a bien fonctionné et ce qui doit être amélioré.

Quels sont aujourd'hui les domaines dans lesquels Blablacar excelle d'après vous ?

"On anticipe 225 000 créations de postes dans le digital d'ici 2025"

Je pense tout d'abord à la culture d'entreprise que nous avons bâtie. Nous pensons que des collaborateurs heureux de travailler chez nous vont forcément tout faire pour satisfaire nos clients. C'est la raison pour laquelle nous avons été méthodiques et sérieux sur ce sujet très important. Blablacar étant un service d'entraide, le fait de s'occuper des autres fait pleinement partie de notre ADN. Une autre de nos compétences est de rechercher en permanence l'excellence pour notre produit. Nous avons une formule pour décrire cela : Think it, Build it, Use It. Enfin, nous accordons également beaucoup d'importance au SAV.

Dans votre ouvrage, vous mentionnez les initiatives des start-up européennes pour créer des services écoresponsables ou à impact à l'instar de BackMarket, Vinted ou Too Good To Go. Est-ce que l'Europe a une chance de devenir leader dans ce domaine ?

Je pense que oui. Aujourd'hui tout le monde a conscience du problème qui est devant nous. Toutes les courbes montrant l'évolution du climat sont sans équivoque. Malheureusement nous continuons d'aggraver ce problème au lieu de le résoudre. Le rôle des Etats sera de gérer cela. Il y aura donc un intérêt stratégique et même de souveraineté à être en capacité à  fournir des solutions à ce défi qui nous attend. Aux Etats-Unis, le nombre des fonds d'investissements dit "à impact" a d'ailleurs explosé. L'Europe a effectivement une carte à jouer et je constate qu'elle est plutôt bien partie avec plusieurs plateformes européennes devenues des leaders mondiaux.

Vous racontez avoir reçu un appel téléphonique du Président François Hollande pour vous féliciter de votre levée record de 100 millions d'euros en 2014. Que vous inspire les dernières levées record en France à l'instar de celle de Sorare d'un montant de 680 millions de dollars ?

"Pour créer une start-up, il faut juste des méthodes, du pragmatisme et beaucoup de travail"

Ces levées de fonds traduisent que l'écosystème français a énormément grandi. Cet argent implique forcément des recrutements importants à venir. En 2014, nous nous sommes retrouvés face à une problématique : nous avions de l'argent mais pas suffisamment de talents qualifiés à recruter. C'est précisément pour cela que j'avais lancé le mouvement Reviens Léon, afin de communiquer sur l'attractivité de l'écosystème FrenchTech vis-à-vis des expatriés français.  Par ailleurs, ces levées se font également de plus en plus rapidement, à l'image d'Ankostore, qui a levé 250 millions moins de trois ans seulement après sa création.

Le secteur du digital est le futur de l'emploi. On dénombre déjà un million de professionnels travaillant dans le numérique en France et on anticipe 225 000 créations net de postes d'ici 2025. Pour autant, le nombre de licornes en France reste malgré tout faible par rapport aux US, si on rapporte ce chiffre au nombre d'habitants.

Souvent surnommée la BlaBlaCar Mafia en référence à la Paypal Mafia, plus d'une trentaine d'anciens collaborateurs auraient lancé leurs projets entrepreneuriaux. Comment l'expliquez-vous ?

Avec leur expérience chez BlaBlaCar, ces ex-collaborateurs et collaboratrices ont pu observer le développement d'une startup de l'intérieur. Ils ont compris qu'il n'y avait rien de magique là-dedans, juste des méthodes, du pragmatisme et beaucoup de travail. Ce fut notamment mon cas lorsque j'ai découvert le monde des start-up à Stanford. C'est précisément le message que je veux transmettre à travers cet ouvrage : le développement d'une start-up est faisable et il faut y aller étape par étape. Lorsque vous côtoyez cet univers de l'intérieur, il fait logiquement moins peur et vous êtes aussi mieux armé pour réussir.

Toujours dans votre ouvrage, vous évoquez également la volonté de Blablacar d'offrir aux voyageurs un maximum d'options de voyage, combinant covoiturage, bus et train. Quand prévoyez-vous de proposer cette option de voyage par train ?

Je ne peux rien dire là-dessus à part que j'espère que cette échéance se compte en mois et non en années. Le covoiturage est le seul mode de transport qui vous connecte à toutes les destinations possibles, que ce soit un village dans une campagne excentrée, un centre-ville ou l'aéroport. En combinant la voiture aux autres modes de transport plus rapide, nous pouvons donner accès aux voyageurs au meilleur des deux mondes. Il sera par exemple possible de rejoindre une grande ville rapidement pour ensuite prendre un covoiturage afin de rejoindre sa destination finale, plus excentrée. Grâce à son inventaire et à celui de la SNCF, Blablacar est aujourd'hui la seule plateforme à pouvoir proposer un tel service.