Comment conduire le changement sans dire le mot changement ?

Parler de changement braque. Comment faire pour ne pas utiliser ce terme ? Avez-vous essayé la technique du donneur d’aide ?

2009, Nicolas Sarkozy réforme l’université. Il lui annonce qu’il a compris son problème : c’est l’évaluation. Un vénérable professeur m’appelle : "Christophe, il nous insulte". Pourtant il a voté Sarkozy. L’Université était favorable à M. Sarkozy. Elle croyait qu’il avait entendu ses plaintes. Une fois la stupeur passée, on découvrira que l’universitaire français est le plus évalué au monde. (C’est d’ailleurs là que se situe l'un des problèmes de notre système éducatif.) Qu’il s’agisse de la nation ou de l’entreprise, la façon dont on annonce le changement braque ceux à qui il s’applique. Après cela, il y a peu de chances qu’il réussisse.

Notre élite l’a compris. Alors, elle change de mots. Elle parle de "transformation" plutôt que de "changement". De même, un haut fonctionnaire me disait que l’on avait remplacé "lean" par "performance". Selon lui, le terme "lean" était associé au suicide. Malheureusement "performance",  est de plus en plus soupçonnée de signifier la même chose. Ce n’est pas le mot qui gène, mais la façon de procéder.

Aide-les, le Ciel t’aidera…

En voici une autre. Tactique "donneur d'aide" : identifier un problème, désagréable, qui se pose aux membres de l'organisation, trouver des techniques, dans l'esprit du changement que vous voulez mener, qui aident à le résoudre. Une fois les techniques adoptées, le changement est fait, sans avoir eu besoin d’utiliser des mots inquiétants. En plus, cela ne demande pas beaucoup de moyens. Il suffit que quelques volontaires réussissent et le succès appelle le succès.

Un petit exemple vaut mieux qu’un long discours…

Pour donner un peu de concret à mon propos, voici l’exemple de deux changements. Ils sont insignifiants pour ceux qui sont concernés. Ils portent sur de la gestion de données. Insignifiants pour l’organisation, mais critiques pour son top management. La pire des situations pour un changement.

Dans un cas, la raison en est juridique, une conséquence de l’affaire Arthur Andersen à l’époque Enron. Dans l’autre, il s’agit de gestion de connaissances, la matière que produit l’organisation, et à laquelle la révolution numérique donne de nouveaux débouchés. Il n’est plus question que ceux qui la produisent la gardent pour eux. Dans les deux cas, il s’agit de personnels multinationaux d’élite, ayant conscience de leur valeur. Réaction initiale : refus. En substance : sans nous vous n’êtes rien, vous devez être à nos ordres.

Mais, en rencontrant ces personnels, on comprend que, pour eux, l’information qu’ils créent est une part capitale de leur mission. Or, ils ne savent pas la retrouver. Ce qui n’est pas acceptable. Reformulé selon cette ligne, le projet devient amical. L’organisation est prête à s’en saisir. Du coup, bénéfice inattendu, il n’y a plus besoin d’un dispositif lourd d’accompagnement du changement.

A noter que cette technique ne marche pas que de haut en bas. Si vous pensez que vos dirigeants sont bloqués, au lieu de dire qu’ils sont incompétents, pourquoi n’envisageriez-vous pas de les aider ?

"Le changement c’est maintenant". Difficile de parler de changement sans que l’on vous assène cette phrase. Il est dit que M. Hollande a tiré de ses études d’économie la croyance en des cycles. Sa stratégie de réélection serait donc d’attendre l’embellie, et de nous faire patienter. Si cette interprétation est juste, elle est cohérente avec ce qui précède. En effet, contrairement à ce qui s’est passé avec M.Sarkozy, ce ne sont pas les changements de M.Hollande qui provoquent un mécontentement mais son inaction. Ce qui pourrait aussi confirmer que ce qui suscite le rejet d’un changement n’est pas le mot "changement", mais la façon dont il est mené. Pour le reste, seul mon dernier paragraphe est probablement applicable à la question de l’action politique en France.