Pourquoi le micromanagement fait-il de la résistance ?

Pourquoi le micromanagement fait-il de la résistance ? Cela fait plusieurs années que le micromanagement est décrié par les experts. Pourtant, les salariés à s'en plaindre sont encore nombreux. Comment expliquer que ces pratiques aient toujours cours en entreprise ?

Pour les experts en management et les salariés qui le subissent, le micromanagement a peu d'intérêt. Cette attitude consiste à surveiller très étroitement ses équipes sans laisser d'autonomie : micro tâches, reporting incessant, validation de la moindre action et micro-décision, au point de se focaliser sur les détails et d'oublier la vision d'ensemble d'un projet, décision unilatérale sur tout, absence de délégation, mauvaise communication et information filtrée… Souvent en ne pointant que les erreurs sans aider à progresser.

Les salariés, frustrés, ne peuvent pas s'épanouir. Gare au cercle vicieux : démotivés, ils font de moins en moins bien leur travail, la qualité baisse, le manager micromanage encore plus, les salariés sont encore plus découragés… Pour Thomas Cornet, fondateur de Wittyfit, qui évalue l'expérience collaborateur, le micromanagement "alimente aussi le quiet quitting : une personne à qui on ne fait pas confiance ne dit plus rien, se met en position d'attente, et un jour elle part, sans que personne n'ait rien vu".

Par ailleurs, des chercheurs de la faculté de médecine de Harvard ont montré que le micromanagement peut contribuer à certaines pathologies. Surtout, cela demande une énergie considérable aux managers.

Thomas Cornet "constate encore du micromanagement, mais mon ressenti est qu'il s'agit d'une tendance à la baisse. On est de plus en plus dans le management par la confiance qui concourt à l'expérience collaborateur, attire les salariés et augmente la performance. Mais ce n'est pas encore au point partout. Dans nos enquêtes, 15 à 20% des salariés notent un effet du micromanagement".

Les racines du micromanagement

A l'écoute des salariés, le micromanagement reste pourtant très présent, ce qu'observent plusieurs spécialistes, comme la coach en management Isabelle Rey-Millet, cofondatrice du cabinet Ethikonsulting. Selon elle, l'ancienne "génération command and control", éduquée comme cela, a souvent managé ainsi toute sa vie. Les générations intermédiaires ont pour beaucoup connu ce seul type de management et l'ont reproduit. "Le taylorisme et l'organisation scientifique du travail leur ont donné ce rôle de contrôle. Mais il n'a pas évolué avec la culture, les mœurs, le numérique".

Les dérives du micromanagement sont discutées depuis quelques années, les managers actuels y ont donc peu été sensibilisés en début de carrière. Isabelle Rey-Millet fait remonter cette remise en question à la crise des subprimes en 2008, des biais managériaux étant suspectés d'y avoir contribué.

Pour la coach, en école, "cela fait cinq ou six ans que les choses bougent, les salariés de vingt ou trente ans y sont donc souvent mieux formés que leurs managers et demandent des changements. Quand j'avais 25 ans, quelqu'un m'avait raconté avoir dit à sa manager qu'elle la manageait mal. Je lui avais demandé comment elle le savait. Depuis les années 90, il y a de plus en plus d'informations sur le management".

Elle avance une autre explication : "la nature humaine a une aversion au risque dans la majorité des cas. Donc plutôt que de laisser les collaborateurs expérimenter, on contrôle". Pour le professeur en management Jean-Yves Ottmann, "le micromanagement peut être là parce que la personne manque de compétence en management. Il y a aussi l'enjeu inconscient de se rassurer, un sentiment en partie illusoire de sécurité et de maîtrise. Accorder sa confiance, c'est par définition se mettre en danger, transférer les enjeux de sécurité à l'autre, mais aujourd'hui le terme est dévoyé : on associe la confiance au fait de ne pas se mettre en danger, cela crée une dissonance cognitive". Le chercheur cite quelques cas de figure où le micromanagement est utile, "définis par Hersey et Blanchard par des salariés pas motivés et pas compétents. Dans un contexte sans droit à l'erreur ou au retard, il faut le faire, comme dans le secteur du soin avec les débutants. Mais globalement, il faut une sortie progressive".

Ainsi, "le micromanagement est une question de coûts / bénéfices, mais les managers n'en sont pas forcément conscients. Le coût c'est la motivation du collaborateur et le temps du manager. Le bénéfice c'est quand le micromanagement augmente la qualité, le délai, la quantité. Mais les managers, peu formés à évaluer les risques, font rarement le calcul qu'il faut souvent moins de temps pour réparer une erreur occasionnelle que pour micromanager".

A l'exception de quelques managers toxiques, cette pratique est souvent menée en pensant bien faire. Le problème central reste la formation au management, longtemps inconsidéré comme un métier technique nécessitant des compétences spécifiques, mais comme une évolution de carrière et une attitude innée. Jean-Yves Ottman regrette qu'"en France, on forme des étudiants au management, alors qu'ils n'auront pas de fonctions managériales avant des années, mais pas ceux qui prennent un poste de management".

Pour lui, il y a d'abord un problème de sélection, "dans certaines entreprises, on suit le principe de Peter, et on promeut jusqu'au stade d'incompétence", même s'il observe que c'est de moins en moins le cas dans des grands groupes aux directions des ressources humaines plus structurées.

Il manque aussi selon Isabelle Rey-Millet "une vraie réforme de la fonction dirigeante. Beaucoup de dirigeants sont sur la stratégie et ne se rendent pas compte que les salariés sont empêchés de s'exprimer. Il y a un gros problème d'état d'esprit. Une couche de gens a besoin de se rassurer sur ce qu'il se passe en dessous et de justifier son salaire. Heureusement, cela évolue, plus dans les petites entreprises". D'ailleurs, Thomas Cornet observe que les dirigeants eux-mêmes peuvent faire du micromanagement sur leurs N-1 en "bypassant les managers intermédiaires, montrant qu'ils ne leur font pas confiance".

La culture d'entreprise dans son ensemble peut être un problème, si elle est "sclérosée de 'mauvaises bonnes pratiques', estime Isabelle Rey-Millet. Les gens qui y arrivent jouent le jeu et quand ils sont promus et pourraient se rebeller, ils font partie du système".

Remédier au micromanagement

Une prise de conscience du haut de la hiérarchie s'impose. Elle impulse les changements, permet de se recentrer sur l'objectif final, et donc de modifier l'organisation du travail. Au contraire, c'est souvent elle qui donne le mauvais exemple. "Pendant des années nous avons formé des managers de première et deuxième ligne, témoigne Isabelle Rey-Millet. Mais le haut de la hiérarchie, parfois par ego, pense ne pas avoir besoin de formation et de changement. Les managers de proximité ne voient alors pas pourquoi ils feraient différemment".

Or, impossible de faire comprendre la nécessité de changer à ceux qui ne veulent pas le voir. Dans les enquêtes de Wittyfit, "environ 90% des managers disent qu'il faut pouvoir travailler avec d'autres pratiques, mais 40% font vraiment quelque chose". Les managers et dirigeants qui veulent voir l'ampleur du phénomène et sa répartition par service peuvent d'ailleurs poser la question directement dans l'application.

Isabelle Rey-Millet est aussi "de plus en plus convaincue que le changement passera par les femmes". "Elles ont une agilité, une capacité à faire face à l'adversité", souligne-t-elle. Les managers ne doivent pas connaître tout du métier de leurs équipes, mais "leurs contraintes et difficultés", y compris personnelles. Elle suggère d'"instaurer un dialogue hors tâches et objectifs, où le manager propose son aide de coach". Jean-Yves Ottmann estime que les managers "doivent accompagner les collaborateurs dans leur capacité à augmenter leur autonomie. Ce n'est pas évident, car la sur-autonomie peut entraîner d'autres difficultés. Le vrai problème sont les profils qui ne supportent pas le contrôle, alors qu'ils en ont besoin. Il faut un système capable de s'adapter aux besoins de chacun".

Thomas Cornet conseille d'apprendre progressivement à lâcher prise, et pour cela "se mettre d'accord sur un sujet, pas tarte à la crème sans être trop dur, où le manager a envie d'intervenir, mais doit se retenir et laisser faire, et donc apprendre à faire confiance, encourager, déléguer, faire des points projet, être dans le pilotage".

Quand un micromanager prend conscience de son attitude, Isabelle Rey Millet conseille de "préparer une transition. Faire son mea culpa avec humilité". Jean-Yves Ottmann explique que cela implique "un changement de paradigme : la confiance ne se donne pas a posteriori".

On peut former, accompagner, coacher. Faire prendre conscience aux managers de leur attitude néfaste, sinon "la formation ne sert à rien, assure Thomas Cornet. Mais si on explique à un manager que s'il ne dit pas ce qui est bien ou pas, la personne ne peut pas le savoir et progresser, il le comprend. Et il réalise que si ses équipes vont mieux, elles seront plus efficaces, et lui ira mieux". Pour lui, les ressources humaines ont un rôle à jouer pour faire "progresser les managers avec un travail sur les soft skills".

Isabelle Rey-Millet incite à comprendre "quelle motivation le manager trouve dans ce modèle, et en trouver un de substitution pour qu'il ait une satisfaction dans le management autrement". Thomas Cornet conseille "du soutien, de l'accompagnement. Ils peuvent avoir peur, ils ont beaucoup de pression, il est difficile d'accepter qu'ils aient commis une erreur".

Les salariés peuvent essayer de le montrer eux-mêmes à leurs responsables. Mais c'est difficile. "Ils peuvent allumer un contrefeu, rendre compte au lieu de rendre des comptes, illustre Isabelle Rey-Millet. C'est moi qui réclame de faire des points d'avancement pour te rassurer et je décide du contenu. Essayer de manager leur manager : ce n'est pas en venant toutes les 24h dans ton bureau que le dossier avancera".

Elle assure que "l'autonomie est le premier facteur de motivation". Jean-Yves Ottmann explique que l'outil inverse du micromanagement est "le pilotage par objectifs, mais ce n'est pas simple".