La pérennité de l'emploi s'impose comme un nouvel indicateur de performance de l'entreprise

L'organisation du travail et la redistribution de la valeur produite semblent correspondre de moins en moins aux aspirations profondes.

Telles que pratiquées aujourd’hui, l’organisation du travail et la redistribution de la valeur produite semblent correspondre de moins en moins aux aspirations profondes d’une société en recherche d’équilibre et de durabilité tant au niveau social qu’économique ou environnemental. Des aspirations auxquelles le statut de la SCOP (Société Coopérative de Production) semble répondre de manière plus adéquate par de nombreux aspects. Dans les sociétés occidentales, le monde du travail s’avoue en crise. Les difficultés de recrutement sont tout autant liées à des niveaux d’activité économique fluctuants, qu’au volume de la main-d’œuvre disponible, au déficit en formation sur les métiers en tension ou encore à des problèmes de conditions de travail voire même d’images des métiers.

Par ailleurs, à la faveur de la pandémie de covid, les individus ont eu le temps de s’interroger sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Beaucoup ont réfléchi au contenu de leur travail, aux conditions de son exercice, mais aussi à la raison d’être de leur collectif. Les ruptures majeures, comme les transformations liées à l’économie numérique, l’insécurité géopolitique et le rappel permanent de l’impact négatif des activités humaines sur l’environnement, invitent également les individus à repenser le sens de leur travail, quand il ne s’agit pas du sens du travail.

Dans un monde où certains repères, certaines aspirations, et certaines certitudes sont remis en question, il devient plus tentant de se demander le pourquoi d’une activité et de s’interroger sur l’impact qu’elle a sur le monde et ses dérèglements. L’entreprise entre peu à peu en dissonance avec d’autres aspirations et constats. D’autant que se pose désormais la question de l’équilibre vie professionnelle, vie personnelle, après des années de ce qui a pu paraître comme un burnout généralisé.

La redistribution de la valeur

Dans une économie mondialisée et financiarisée, la question de la redistribution de la valeur, voire même de sa circulation, se pose légitimement. En effet, les entreprises échangent des flux économiques et matériels entre leurs filiales, à travers plusieurs pays et peuvent jouer des subtilités de la comptabilité pour délocaliser leurs profits, par exemple.

Par ailleurs, les entreprises dont la taille le permet ont de plus en plus recours à l’intermédiation financière et bancaire, l’activité économique se décline désormais en une multitude de catégories d’opérations financières. Une partie de la richesse produite revient ainsi aux entreprises, aux détenteurs de capitaux, sans être toujours réellement partagée, notamment avec celles et ceux qui la produisent.

Le 26 juin dernier, l’ONG Oxfam pointait ainsi du doigt un déséquilibre croissant dans le partage de la valeur qui profiterait largement aux actionnaires : dans les 100 plus grandes entreprises françaises, les dividendes ont explosé de 57 % entre 2011 et 2021 alors que la dépense par salarié⋅e connaît une hausse plus modeste de 22 %. L’absence de corrélation entre le temps passé au travail, la rétribution de celui ou celle qui effectue le travail, et la rétribution de l’entreprise financiarisée, alimente la crise du travail, mais plus généralement la crise de nos modèles sociaux et politiques.

Fournir un contrepoint au critère financier de court terme

Dans le monde entier, des entreprises ont entrepris une course à la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Dans ce contexte, la France fait figure de pionnière. Dès les premières lignes le rapport Notat−Senard publié en 2018, et fruit d’un long travail préalable, notait ainsi : « le besoin d’une réflexion sur l’entreprise, dans un contexte de financiarisation de l’économie et de court-termisme de certains investisseurs. Le détenteur provisoire de capital n’a plus grand-chose à voir avec la figure de l’associé, visé par le Code civil de 1804. »

Le rapport recommandait ensuite de « confier aux conseils d’administration la formulation d’une raison d’être visant à éclairer l’intérêt propre de la société et de l’entreprise ainsi que la prise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux ». Parmi les objectifs affichés : fournir « à la plupart des conseils d’administration un guide pour les décisions importantes, un contrepoint utile au critère financier de court terme, qui ne peut servir de boussole.  Le rapport notait aussi la nécessaire/souhaitable contribution des équipes salariées, « précieuse par leur compréhension de l’intérieur, leur connaissance des métiers, de l’histoire de l’entreprise et par leur attachement à sa continuité. »

L’emploi et la pérennité de l’entreprise, indicateurs clés d’une performance réinventée

Cet avenir souhaité d’une entreprise plus responsable, dont la raison d’être ne serait pas de servir les seuls intérêts des personnes associées ou actionnaires, est déjà le quotidien de nombreuses SCOP.

Il ne suffit pas à ces dernières de se désigner comme « SCOP ». Non seulement elles obéissent à des statuts spécifiques, mais elles se soumettent aussi à la révision coopérative, sorte d’audit qui permet de vérifier leur conformité aux lois qui les concernent (fonctionnement coopératif, organisation, stratégie et situation financière). Parmi leurs obligations figure une répartition du résultat qui doit s’effectuer en part travail (complément de salaire ou participation), part entreprise (réserves) et part capital (associés). La SCOP se doit de conserver une réserve légale de 15 % obligatoire. Les réserves impartageables doivent se monter à au moins 16 % des excédents de gestion. Dans la pratique, elles se montent en moyenne à 45 %.

Les fonds propres sont ainsi renforcés par le patrimoine collectif, ce qui confère aux SCOP une indépendance et une liberté, notamment en matière d’investissements. Le développement durable est inscrit dans les principes fondamentaux de la SCOP, et le taux de pérennité à 5 ans s’élevait ainsi à 68 % en 2018 contre 50 % dans les entreprises dites « classiques ». La SCOP cristallise en effet la contribution individuelle à un bien commun, un intérêt général et par la place qu’elle donne aux différentes parties prenantes, elle les rend responsables de la continuité de l’entreprise en même temps que de la pérennité de leurs propres revenus. Logiquement, ce modèle incite également à une croissance raisonnée, ce qui la différencie intrinsèquement de la start-up.

De son origine ouvrière, la SCOP souffre encore d’une image datée. Elle est encore souvent perçue comme un modèle « à défaut de mieux », comme une deuxième chance, un rattrapage pour les entreprises qui n’ont pas su survivre au modèle dominant. Pourtant de nombreuses entreprises innovantes dans le domaine informatique ont choisi ce modèle qui favorise la Responsabilité Sociétale des Entreprises, s’inscrit dans une préservation, voire une relance du dynamisme des territoires et privilégie l’emploi durable. C’est donc logiquement que dans son manifeste « le monde d’après », le réseau des SCOP appelle de ses vœux/prédit un avenir où « la performance d’une entreprise ne sera pas de maximiser une valeur boursière, mais de pérenniser des emplois ». L’ère est à la réinvention des indicateurs de performance et celui-ci en vaut bien d’autres.

Si la « raison d’être » telle qu’elle a été envisagée dans le rapport Notat-Senard, et dont la possibilité a été consacrée par l’article 169 de la loi Pacte du 22 mars 2019, s’inscrit effectivement dans le paysage des entreprises, des effets durables et sans aucun doute positifs sont à attendre tant sur le plan de l’innovation, que sur celui de la prise en compte du collaborateur.

Par ailleurs, une approche plus responsable des entreprises, favorisée par une gouvernance plus participative, devrait à terme permettre limiter le nombre de décisions qui ne seraient pas compatibles avec des impératifs de développement durable ou des considérations environnementales.

Si les tendances de fond qui transforment la société se confirment, il faut s’attendre à ce que les modèles d’entreprise, leur financement et la répartition de la valeur travail actuels soient de plus en plus remis en cause par des projets entrepreneuriaux plus coopératifs.