Intelligence économique : les entreprises françaises sont-elles naïves ?

La DGA et l'École de guerre économique organisaient un colloque pour les 30 ans de l'IE, et du rapport Martre. En 30 ans, la filière s'est structurée. Mais elle doit encore évangéliser !

“Les entreprises ont peur. Mais elles doivent y aller ! On doit apprendre à manipuler les autres", alerte Alain Juillet, l’ancien patron de la DGSE et précurseur de l’IE.  Le colloque célébrant les 30 ans du Rapport Martre a permis de rappeler, sans langue de bois, la difficulté de diffuser en France la capacité, pourtant cruciale, à collecter, analyser, valoriser, diffuser et protéger l'information économique stratégique, afin de renforcer la compétitivité de l'Etat et des entreprises.

Et Alain Juillet en pleine forme de reprendre :"On doit être curieux et savoir ce qu’il se passe ailleurs. Il faut regarder comment font les autres. Même les Indiens ! On s’est loupé sur l’offensif. Alors que les autres ne se gênent pas ! ” 

“On a été naïfs, renchérit le général Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense de l’État-major des armées. Tous les pays recourent à l’IE. Ça n'est pas très bien. Mais c’est nécessaire.” 

En effet, dans un contexte de guerre économique : connaître ses concurrents, leurs brevets, leurs faiblesses, leurs contacts, leurs devis, les désinformer, médiatiser leurs failles, s’assurer de la solidité et de l’éthique de ses partenaires est une des règles non dites du business aujourd’hui.

Face à une mondialisation de moins en moins heureuse et de plus en plus concurrentielle dans laquelle des puissances étrangères développent des pratiques offensives de plus en plus sophistiquées, l'IE devrait sonner comme une évidence pour assurer la compétitivité de ses entreprises et protéger les intérêts stratégiques de la France.

Vous avez dit guerre économique ?

Comment oublier le boycott américain des vins ou des “Liberty fries” lors du refus de la France de prendre part à la deuxième Guerre du Golfe, en 2003 ?

La guerre économique prend souvent des atours juridiques. Les Américains, alliés et concurrents, sont très créatifs en la matière. Ils sortent à peu près une loi extraterritoriale par an. Le Patriot Act, par exemple, donne toute latitude aux agences de renseignements américaines d’espionner les entreprises - nationales ou non, installées sur son territoire. 

Autre exemple : le Foreign Corrupt Practice Act (créée en 1977 à la suite du scandale du Watergate rendu international en 1998) “popularisé” en 2013 par l’affaire Alstom, a permis l’arrestation d’un dirigeant français, Frédéric Pierucci, pour des faits présumés de corruption. Et faciliter une OPA…

Les USA disposent aussi, rappelons-le, de lois sur les embargos qui ont coûté 9 milliards à BNP, en 2014. Ainsi, l’International Emergency Economic Powers Act lui permet de demander des comptes à des entreprises étrangères, exerçant hors des États-Unis, dès lors que celles-ci utilisent le Dollar. Ces mêmes lois peuvent également toucher des utilisateurs ou des entreprises français qui utiliseraient des plateformes américaines telles que Gmail…

“La Chine lamine la France depuis 25 ans.”

Nous ne sommes pas en guerre qu’avec nos alliés ! “Dans les années 2010, a rappelé Christian Harbulot, fondateur de l’École de guerre économique (EGE), le réseau informatique d’Areva a été siphonné par les Chinois durant 3 ans” durant lesquels le carnet de commande s’est effondré… Ce que le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne, co-rapporteur l’an dernier d’un rapport d’information sur l’IE, avec Marie-Noëlle Linnemann, résume sans ambiguïté : “La Chine lamine la France depuis 25 ans.” 

Plus globalement, signale le rapport du Sénat, 694 alertes de sécurité économique ont été enregistrées et traitées en 2022 en France. Un chiffre en hausse de 45% en un an et de plus de 200% en deux ans ! Ces alertes portaient sur de potentiels rachats par des acteurs économiques étrangers ou des tentatives de captation de propriété intellectuelle et d’informations stratégiques. L'IE ne doit plus être l'apanage des entreprises du CAC mais elle doit s'établir comme un outil pour toute entreprise ambitieuse.