L'intelligence collective : clé de voûte des stratégies de leadership dans un monde complexe

L'intelligence collective transforme les stratégies de direction, améliorant l'innovation et l'efficacité face aux défis économiques et technologiques actuels.

En 2023, les faillites ont augmenté de 35%, reflétant un contexte économique et politique incertain et des problèmes d'attractivité des talents. Face à des indicateurs nombreux, les entreprises sont incitées à réévaluer leur résilience face aux transformations imminentes, avec l'intelligence artificielle en tête de liste. Dans ce contexte si volatile, l'habileté de la direction à piloter l'entreprise sera déterminante. Et, ce constat pose une question essentielle : au-delà d'une somme des compétences individuelles, qu'est-ce qui rend un comité de direction performant, quel que soit le contexte ? L'une des réponses les plus efficaces est l’adoption d’un modèle de gestion qui valorise l’intelligence collective.

L'intelligence collective, un enjeu majeur pour la performance des comités de direction

L'intelligence collective peut être définie comme la capacité d'un groupe à combiner les efforts et les compétences de ses membres pour atteindre un objectif commun, dépassant ainsi les capacités des individus pris séparément. Elle repose sur la diversité des perspectives et l'engagement de tous les membres du groupe dans la résolution de problèmes complexes.

Ainsi, au-delà des compétences individuelles, la performance d'un comité de direction repose sur sa capacité à collaborer, échanger et prendre des décisions collectivement. Selon une étude du MIT, les équipes dotées d'une forte intelligence collective ne sont pas seulement plus efficaces ; elles sont également plus innovantes et mieux adaptées aux défis du marché.

Les obstacles à la mise en œuvre de l'intelligence collective

Selon la théorie du Groupthink d'Irving Janis, psychologue américain, les groupes très cohésifs peuvent privilégier l'harmonie et la conformité au détriment d'une évaluation critique, menant à de mauvaises décisions. Aussi, il a identifié huit symptômes de la "pensée de groupe" qui entravent la prise de décision collective efficace : illusion d'invulnérabilité, rationalisation, croyance en la moralité inhérente du groupe, stéréotypes des opposants, pression à l'uniformité, autocensure, illusion d'unanimité et apparition de "gardiens de la pensée".

De plus, la gestion efficace du temps et l'intégration des opinions divergentes sont cruciales, mais souvent négligées. Or il est important de prendre le temps nécessaire pour analyser les situations en profondeur et prendre des décisions réfléchies, sans se laisser submerger par la pression du temps court. 

Aussi, les défis de la mise en œuvre de l'intelligence collective dans les comités de direction sont notables. Pour éviter ces écueils, les dirigeants doivent mettre en place des dispositifs favorisant l'expression d'une diversité de points de vue et imposer des délais de réflexion avant de prendre des décisions importantes. Cela implique de valoriser et de solliciter activement des opinions divergentes et de cultiver une culture où le débat constructif devient la norme. Pour renforcer cette approche et assurer une évaluation critique complète, la nomination d'un 'avocat du diable', chargé de remettre en question les hypothèses du groupe, se révèle être un dispositif efficace pour limiter les risques d'aveuglement collectif. De plus, réunir le comité exécutif dans un lieu neutre, hors des locaux habituels, favorise un dialogue ouvert, créatif et permet d'aborder les problématiques sous un nouvel angle et de stimuler l'innovation.

Les recherches indiquent que les équipes présentant une 'diversité cognitive' sont jusqu'à 20 % plus innovantes. Présenter aux décideurs une diversité de points de vue peut identifier des zones d'ombre cruciales et mener à des décisions mieux informées.

Rôle des technologies dans l'intelligence collective

Bien que les technologies telles que les plateformes de collaboration en ligne, comme Slack et Microsoft Teams, améliorent la communication, elles ne garantissent pas automatiquement la diversité de pensées et l'émergence de l'intelligence collective. En effet, la technologie n’annihilera pas les luttes de pouvoir au sein de l’entreprise ou toute forme de jugement. Elle pourrait faire émerger plus rapidement des doxas, qui viendront dicter les bons comportements, les bonnes idées, c’est-à-dire celles qui sont dans l’air du temps. Leur mise en œuvre doit donc être stratégique, visant à promouvoir un dialogue riche et varié, plutôt que de renforcer les dynamiques de groupe existantes.

Exemples pratiques de l'intelligence collective

Pixar Animation Studios utilise des sessions de critique régulières où les projets en cours sont évalués par divers membres de l'équipe, permettant de bénéficier de multiples perspectives. Cette méthode encourage l'innovation continue et la remise en question productive des idées en place.

Mayo Clinic exemplifie l'intelligence collective dans le domaine médical par des réunions multidisciplinaires régulières où différents spécialistes discutent des cas des patients. Cette approche collaborative améliore significativement la qualité des diagnostics et des traitements proposés.

Points clés stratégiques pour cultiver l'intelligence collective 

En résumé, pour stimuler une véritable diversité de pensée, les dirigeants doivent créer un environnement où les opinions divergentes sont non seulement valorisées mais activement sollicitées. Cela nécessite de cultiver une culture d'entreprise où le débat constructif est encouragé. Ainsi, pour contrer les risques associés à la pensée de groupe et promouvoir une véritable intelligence collective, plusieurs stratégies peuvent être mises en œuvre : 

1. Valorisation de la diversité de pensée : Encouragement actif des opinions divergentes et culture d'un environnement où le débat constructif est valorisé.

2. Rôle de l'avocat du diable : Intégration d'un membre chargé de remettre en question les décisions du groupe et de proposer des alternatives systématiquement.

3. Retraites stratégiques : Organisation de séminaires hors du cadre de travail habituel pour stimuler la créativité et offrir de nouvelles perspectives.

4. Délais de réflexion : Mise en place de périodes dédiées à la réflexion avant de prendre des décisions importantes, permettant une analyse plus profonde des enjeux.

Perspectives

La capacité de se transcender collectivement est déterminant pour toute direction générale désireuse de naviguer avec succès à travers l'incertitude du monde moderne. Pour demeurer performantes dans un environnement complexe et imprévisible, les entreprises doivent non seulement tirer parti des compétences individuelles de leurs dirigeants, mais surtout de leur aptitude à cultiver une intelligence collective à travers le dialogue et la confrontation des idées.

En outre, il est essentiel de reconnaître que la prise de décision dans les hautes sphères de la direction ne repose pas uniquement sur une analyse objective et des données. L'émotion et la subjectivité jouent également un rôle crucial. Les dirigeants, souvent isolés dans leur prise de décision, doivent compter sur leur intuition, qui est affinée par des années d'expérience et une compréhension profonde de leur contexte opérationnel. Cette solitude, inhérente à leur position, impose un poids significatif, car la responsabilité de chaque décision impacte non seulement l'organisation mais aussi ses employés et parties prenantes. Reconnaître cette dimension émotionnelle et intégrer l'intelligence émotionnelle dans les processus décisionnels peut enrichir considérablement la qualité des décisions prises. Cela permet non seulement de naviguer avec plus de perspicacité dans des situations complexes, mais aussi de renforcer le leadership en alignant mieux les décisions avec les valeurs humaines et organisationnelles.

Antoine de Saint-Exupéry a brillamment exprimé cette idée en disant : « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas d'abord du bois, ne coupe pas de planches ni ne distribue de travail. Réveille plutôt au sein des hommes le désir de la grande et belle mer. » . C'est cette aspiration vers l'horizon lointain, cette vision partagée et cet engagement commun qui forgent les grandes équipes et, par extension, les grandes entreprises.