Le leadership éthique: petit manuel pratique à usage de managers responsables

Dans un monde transparent et hyper connecté, le leadership éthique s'impose comme le nouveau paradigme du leadership du XXIe siècle. Elie Wiesel et sa Fondation pour l'Humanité y réfléchissent depuis 20 ans en créant un incubateur pour définir le système d'exploitation humain du futur.

La demande pour un leadership éthique ne cesse de grandir. Pourtant, l'offre reste limitée, comme on a pu le constater avec la crise récente du crédit qui a provoqué la pire récession globale depuis les années 1930. La génération montante de leaders semble plus armée pour naviguer à vue que pour guider vers le long terme. Naviguer signifie comment nous réagissons naturellement et comment nous nous adaptons à un monde interconnecté. Guider, c'est envisager un développement durable et se donner des objectifs ayant une valeur durable dans un monde éthiquement interdépendant.
Heureusement, il existe des prototypes de leaders éthiques, grâce en partie au professeur Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, dont le travail au sein de la Fondation Elie Wiesel pour l'Humanité a créé une série de modèles depuis plus de 20 ans.

Avant de décrire l'organisation d'Elie Wiesel, parlons d'abord de leadership éthique.
En réponse à la crise financière, de nombreux dirigeants et leaders essayent de repenser des notions telles que la source de l'avantage concurrentiel, qui vient de plus en plus de la manière dont nous nous comportons, plutôt que de ce que nous produisons. Nous repensons à la manière dont nous dirigeons en insistant moins sur des systèmes de "carottes et bâton" et plus sur l'inspiration, et en plaçant l'humanité au centre de nos organisations. Pour que ces changements réussissent, il faut du leadership éthique qui inspire un comportement des collaborateurs nécessaire à la création d'avantage concurrentiel.

Les leaders éthiques se distinguent en faisant ce qui est parfois difficile, impopulaire et même temporairement non rentable, au service de la santé à long terme et de la création de vraie valeur. Ils reconnaissent le monde interconnecté et envisagent des solutions multidisciplinaires pour résoudre les situations complexes qui surgissent chaque jour. Plutôt, par exemple, que de vouloir allonger la durée des conditions de paiement d'un fournisseur pendant une période économiquement difficile, les leaders éthiques considèrent la stabilité financière de leur fournisseur et les impacts potentiels négatifs pour ce fournisseur (de même que pour les employés du fournisseur et pour les fournisseurs du fournisseur) dans le cas où les conditions de paiement sont allongées.

Les leaders éthiques considèrent aussi d'autres solutions (par exemple partager les bonnes pratiques avec leurs sous-traitants) qui requièrent parfois un investissement mais qui génèrent plus de valeur à long terme. Les leaders éthiques font confiance à leurs collaborateurs, créant ainsi les conditions nécessaires pour que les employés, les fournisseurs et même les clients se sentent capables de prendre le risque d'innover et de changer les règles du marché. L'équipe de direction du Ritz-Carlton permet ainsi à chaque employé de dépenser jusqu'à 2.000 dollars pour régler, de la manière qui leur paraît la meilleure, les problèmes de leurs clients. De plus, le leadership éthique est une ressource humaine renouvelable et, pour cette raison, représente l'un des atouts les plus efficaces qu'une organisation peut exploiter.

Tester la concurrence

La bonne nouvelle est qu'il existe aujourd'hui des exemples de leadership éthique. Au cours des 20 dernières années, la Fondation Elie Wiesel a décerné son Prix de l'Ethique, un concours qui récompense les étudiants américains qui perçoivent l'aventure humaine à travers un filtre éthique. Les meilleurs de leurs essais sont rassemblés dans un nouveau livre, "An Ethical Compass: Coming of Age in the 21st Century (Yale University Press)".
Wiesel a créé ce concours pour se connecter aux jeunes au moment le plus important de leur formation. LRN, mon entreprise, est le sponsor unique de ce prix. Nous nous sommes associés parce que nous partageons la conviction que, pour résoudre les problèmes les plus importants de notre monde, nous devons aider les jeunes à regarder le monde autrement.
Le Prix a pour objectif d'aider de futurs dirigeants à développer les talents nécessaires pour devenir des grands êtres vivants (des guides) plutôt que des "robots humains" (des navigateurs). Et la Fondation "a patiemment fonctionné comme un incubateur de talent et d'innovation, rivalisant avec Google, Intel ou tout autre société high teck de la Silicon Valley", comme le souligne Thomas Friedman, éditorialiste au New York Times, dans la préface du livre."Mais à la différence des stars de la haute technologie qui ont produit massivement les hardware et software de nouvelle génération, au cours des vingt dernières années, le Professeur Wiesel a travaillé dur pour améliorer notre système d'exploitation humain en inspirant la nouvelle génération de leaders éthiques".

Voix éthiques

Voici donc à quoi ressemble le futur du leadership éthique.

On ne devrait pas se demander "est-ce l'erreur à ne pas commettre ?" dit Mark Reed, lauréat du Prix de l'Ethique en 1997, mais plutôt "Qu'est ce qu'il est juste de faire?". En se posant la première question, on se place implicitement sur le plan de la réglementation et on ne va pas plus loin. On adhère à la règle, on l'évite ou encore on l'ignore. Alors que la deuxième question est un défi susceptible de provoquer une grande innovation. Si ce n'est pas ce qui est juste, alors quel autre produit, processus, idée, relation, personne devrions-nous envisager pour atteindre le même objectif ?

* Kimlyn Bender, la gagnante en 1992, examine les "masques" métaphoriques que les êtres humains utilisent pour se défaire de leur propre conscience à agir de manière éthique lorsqu'ils commettent des actes immoraux. Pour elle, "Aujourd'hui, le challenge de l’Éthique n'est pas de se concentrer sur les masques, mais sur les personnes derrière ces masques et de régénérer chez elles une nouvelle sensibilité à la conscience morale, de manière à replacer la vie et les comportements sous ce principe directeur.

* Zohar Atkins, lauréat en 2009, décrit notre responsabilité en tant que "citoyen global". "Nous sommes responsables d'être ce que nous sommes et de devenir celle ou celui que nous devrions être. Notre défi peut prendre plusieurs formes: philosopher, questionner, critiquer, mais aussi agir, répondre et créer. Comment exécuter notre mission? La réponse est l'amour, parce qu'aimer signifie: "Je ne suis pas le maître du monde, je ne suis pas parfait et j'ai besoin des autres".

Nous avons besoin des autres parce que, dans notre monde interconnecté, nos décisions et nos actions affectent un très grand nombre de personnes. "C'est pourquoi il faut que les futurs leaders regardent le monde autrement" dit Wiesel. Comme il le précise dans son introduction: "Avons nous appris à la nouvelle génération à développer une boussole éthique personnelle?".

Gagnante en 2007, Magogodi Makhene, rend ces arguments encore plus convaincants lorsqu'elle écrit: "Mon humanité est inextricablement liée à la vôtre et, si je ne reconnais pas votre humanité en définissant la mienne, je ne connaitrai jamais les plus hauts sommets de l'expérience humaine". Makhene écrivait cela en évoquant son enfance marquée par les bombes lacrymogènes lors des derniers moments de l'apartheid en Afrique du Sud.

En tout état de cause, ces propos peuvent s'appliquer à bien des processus de décision conduits par les leaders du 21ème siècle.

(Article publié initialement dans Business Week)