Pandémie : faire confiance à la vie, clé de la relance économique ?

Il y a quelques jours, je discutais avec une amie, travailleuse indépendante comme moi, qui me confiait son anxiété et ses difficultés morales…et pourtant, cette consœur est pour moi un modèle de réussite, au savoir-faire éprouvé, et reconnu par le marché. De constater que même elle puisse se sentir fragile, angoissée face à la situation économique actuelle m'a quelque peu déstabilisée. Comment en sommes-nous arrivés à avoir aussi peur de l'avenir et à perdre confiance en nous ?

Stop aux discours anxiogènes !

Aujourd’hui, je ressens une certaine colère quand j’entends ou lis tous les jours la façon dont la puissance publique s’adresse à nous, la population française. D’un point de vue économique, nous tous, salariés, indépendants, commerçants, chômeurs, patrons, fonctionnaires etc. devons faire face à un marché complètement suspendu, il est très difficile d’avoir une  idée de la tendance, comme si elle n’apparaissait pas. Au cœur de l’été, dans ces temps d’incertitude accrue du fait de la pandémie mondiale, toutes les décisions sont comme retenues, la mobilité presqu’impossible, les rencontres reportées … Le temps est immobile. Moralement, cette situation est très difficile à vivre, car il est aisé de perdre tout sentiment de sécurité et de plonger dans la peur en l’absence de toute connexion avec ce qui émergera dans le court terme.

Or, la confiance est le seul remède, si nous voulons collectivement gagner la partie. Et j’évoque ici la confiance à tous les niveaux : confiance en soi d’abord, en l’avenir, et en ce que la Vie nous portera, et aussi bien-sûr, dans la collectivité, le peuple auquel nous appartenons, et plus globalement dans ce que l’humanité va montrer de meilleur. Il ne s’agit pas pour autant d’angélisme, avoir cette confiance en soi et dans le monde qui nous entoure ne veut pas dire qu’il faut fermer les yeux sur la gravité de la situation. Cette confiance n’a rien d’incompatible avec un haut niveau de conscience des réalités, aussi complexes soient elles à appréhender. C’est justement en ayant bien en tête la difficulté des challenges et en nous connectant à nos ressources intérieures que nous serons le plus à même de les relever.

Alors comment faire lorsque tous les jours, au sujet de la crise sanitaire et aussi de la situation économique, nous entendons ou lisons des avertissements, recommandations, voire des injonctions, qui :

-          Alimentent nos peurs, notre croyance en notre manque de capacité et de responsabilité, notre impuissance face à une crise censée nous dépasser, au point que nous ne pourrions même plus nous déplacer, nous rencontrer, nous rassembler sans autorisation ni contrôle.

-          Ne valorisent pas, ou insuffisamment, nos capacités à rebondir, à innover et co-créer des solutions nouvelles, de nouveaux business models, de nouveaux produits répondant aux exigences écologiques et sociétales ?

Ces discours alimentent notre sentiment d’insécurité existentielle parce qu’ils renforcent notre croyance que l’incertitude n’est pas quelque chose de normal, à laquelle tout être humain est confronté ontologiquement (car nous sommes tous confrontés à la perspective de la mort) et programmé pour y faire face. D’aucuns peuvent même penser que c’est précisément le fait de devoir faire face soi même, sans attendre d’être instruit par un « parent » de ce qu’il convient de faire, qui nous permet de nous connecter à nos ressources et finalement de construire notre vie, tout simplement.

Ce phénomène contribue à alimenter notre perte d’autonomie et notre besoin de dépendance vis-à-vis d’une autorité dont nous attendons qu’elle nous sauve.  Ce faisant, ce sentiment de peur inhibe notre créativité et notre capacité d’initiative qui nous permettraient de réagir et de finalement créer le monde nouveau dont nous avons tous besoin. A la place, nous sommes contraints de suivre une logique de survie, et non de croissance de notre humanité et d’équilibre des systèmes. Car la peur est une émotion de base, qui apparait lorsque nous nous sentons en danger. Elle peut nous amener à réagir de quatre façons selon les individus et les situations : la défense, l’attaque, la fuite ou la sidération. Ces quatre attitudes se traduiront dans les comportements habituels par de la colère, de l’agressivité, de la soumission, de la passivité, voire par une absence de réaction.

Bref, rien de bon lorsqu’il s’agit de rebondir, inventer, s’adapter… En outre, lorsqu’elle dure, la peur, l’anxiété, diminue le système immunitaire. La peur, naturelle et que nous rencontrons tous actuellement, n’est pas le sentiment idéal à cultiver pour faire face à la pandémie et à ses conséquences économiques et sociales.

Ne pas oublier que l’Homme est aussi capable du meilleur

Le remède n’est pas de vivre dans le déni et d’ignorer la gravité de la situation. Les faits sont là et il convient de les considérer en face. Selon Rexecode[1]  « La récession sera en France l’une des plus fortes parmi celles attendues en Europe pour 2020. Une récupération partielle de l’activité interviendrait en 2021 et se prolongerait en 2022 et 2023. Elle restera insuffisante pour empêcher un recul du rythme de la croissance potentielle (…) ».

Traiter ces informations en même temps que celles sur la reprise de la propagation du virus en ne considérant pas la façon remarquable dont finalement la population française a réagi lors de la première vague, c’est nous maintenir dans une posture de passivité, voire d’impuissance. Or, qu’avons-nous en effet démontré dès le mois de mars ? Discipline, Solidarité, y compris de l’Etat, et c’est remarquable, et enfin Créativité. Pourquoi ne pas valoriser plus encore qu’auparavant toutes ces initiatives extraordinaires prises partout pour s’entraider, produire autrement, inventer une nouvelle économie et de nouvelles solidarités sociales ? Pourquoi ne montrer que le danger, et non les  nombreux lieux de vie dans lesquels, en très grande majorité, les gens se montrent fort disciplinés (un seul exemple : le métro, le RER où ceux qui ne portent pas le masque sont très minoritaires). Je ne suis pas naïve, je sais les forces en jeu, mais un peuple qui n’a pas confiance est incapable de rebondir, ce n’est bon pour personne. Et il n’y aura pas de pays refuge pour les investisseurs.

Présenter les mêmes faits en démontrant que nous avons les capacités de réagir et de surmonter la crise par nos actions serait bien plus productif.

Oui, il convient aujourd’hui de se montrer particulièrement vigilant. Il me semble que, justement, la vigilance conduit précisément à adopter ces comportements que nous avons déjà éprouvés depuis le début de la pandémie : Responsabilité, Solidarité et Créativité.

Il est donc nécessaire aujourd’hui de cultiver, développer et maintenir ces deux sentiments, Confiance et Vigilance. Au niveau sociétal, la responsabilité est au niveau de la puissance publique – gouvernement, Etat, media.

Refondre nos organisations  de travail : le chantier à venir

De façon complémentaire, au niveau des organisations, la responsabilité est à la fois celle des dirigeants, des équipes, des individus, tous parties prenantes de systèmes complexes, en interaction. Il faut donc revoir les modèles de leadership de façon à permettre à la Confiance et à la Vigilance de se manifester à tout niveau.

Certes, nous sommes confrontés à une perte de repère inédite, un monde est à réinventer. Nos identités organisationnelles, collectives, et individuelles sont remises en cause, les logiques leur ayant permis de se construire étant en passe de disparaitre ou au moins d’être gravement remises en cause. Viktor Frankl[2] , Vincent Lenhardt[3] , Majolein Lipps-Wiersma[4] et tant d’autres ont démontré que seule la recherche de Sens au travail (celui-ci entendu au sens large) et à sa vie permet d’éprouver et de manifester une confiance ontologique, indispensable au rebond, comme nous l’avons vu. Et l’impuissance, à laquelle nous sommes actuellement renvoyés, risque fort de provoquer chez beaucoup d’entre nous un sentiment de vide existentiel, ou de perte de sens de la vie qui s’avérera rapidement délétère.  

Pour Viktor Frankl, « être humain signifie être en face d’un sens à accomplir et de valeurs à réaliser »[5]. Il dit aussi: « Tout comme le bonheur, l’accomplissement de soi n’est qu’un effet, l’effet consécutif à la réalisation d’un sens. C’est seulement dans la mesure où l’être humain trouve un sens à sa vie qu’il s’accomplit » et « … un certain degré de tension, telle que celle qui est dépensée lorsque l’on s’investit dans un projet est inhérent à l’être humain, et même indispensable à sa bonne santé mentale ». Vincent Lenhardt, quant à lui, a créé un outil que nous utilisons fréquemment en coaching individuel, « La colonne vertébrale de l’Identité »[6], qui décrit les 9 niveaux de sens sur lesquels l’identité de chacun d’entre nous se construit et s’appuie. Marjolein Wipps-Wiersma[7] a créé La Carte du Sens au Travail™, qui permet de créer le Sens à partir de l’inspiration individuelle ou collective, et de le décliner dans les quatre voies du Sens universelles que sont :

-          Le Service aux Autres

-          L’Expression de son Potentiel

-          L’Intégrité de Soi-Même

-          L’Unité avec les Autres

 La période actuelle appelle une reconstruction du Sens pour qu’organisations et individus recouvrent leur pouvoir d’agir et de création. Pour que Responsabilité, Solidarité et Créativité se manifestent et perdurent dans le temps à tous niveaux, et permettent qu’un monde nouveau advienne, il est nécessaire de faire un retour à soi, à ses inspirations et aspirations. Ainsi, en confiance, il sera possible de  construire le monde de demain et de développer les moyens d’y subsister, ensemble.


 

[1] Centre de Recherche pour l’Expansion de l’Economie et le Développement de l’Entreprise

[2] Professeur autrichien de neurologie et de psychiatrie. Il est le créateur d'une nouvelle thérapie, qu'il baptise logothérapie, qui prend en compte le besoin de « sens » et la dimension spirituelle de la personne.

[3] Consultantcoach et formateur en coaching français, auteur de plusieurs ouvrages sur le management, l’Intelligence Collective et le coaching. Il est reconnu pour avoir introduit en France le coaching, en 1988. Il a lancé à cette date la première formation en coaching en France, intitulée Coach & Team (12 écoles en France, en Belgique et au Maroc).

[4] Professeure d’Ethique et de Développement Durable à l’Université d’Auckland, Nouvelle-Zélande

[5] Nos Raisons de Vivre, édition française, InterEditions, 2009

[6] Au cœur de la Relation d’Aide, InterEditions