Carrière : passer d’une vision de paliers à une vision de flux

Pour garantir son employabilité et aimer son métier, il faut savoir être plus agile et modifier son rapport à sa carrière en adoptant une démarche moins statutaire et plus fluide.

De rupture technologique en rupture culturelle, le monde du travail change et les métiers aussi. L’arrivée de l’intelligence artificielle accélère les transformations de l’emploi qu’on connaît aujourd’hui, en automatisant les métiers " transactionnels" (tels que la comptabilité ou le secrétariat, par exemple). En entreprise, les organisations deviennent de plus en plus horizontales, avec moins de postes de management direct d’équipes. Naviguer dans ce nouvel environnement demande de changer son rapport à la carrière.

"Go with the flow"

Rester employable implique de changer d’approche, et d’axer sa réflexion de carrière sur des compétences à acquérir pour réussir un projet, et non sur un poste hiérarchique dans une entreprise donnée. Passer d’une culture "de paliers" à une culture "de flux"  entraîne un nouveau rapport au travail, où chaque poste est perçu comme une transition et non une fin en soi. L’idée est de viser des compétences (techniques, comportementales ou expériences) plutôt qu’un poste ou un statut.  

Cette approche fluide de l’évolution professionnelle suppose des collaborateurs qu’ils soient proactifs, et cherchent en permanence à apprendre et à développer leur réseau et de nouvelles compétences. Mais surtout, elle permet d’ouvrir le champ des possibles, et procure une vraie libération et un empouvoirement* de la personne. Certes, les contraintes financières et familiales demeurent, mais l’on réalise alors qu’il est possible de se former, de changer de métier ou même d’aller à l’étranger ; soit le sentiment d’être maître de son projet, tant professionnel que personnel — les deux pouvant ainsi être réconciliés.

Feedbacks et autorestriction : la recette Pixar

De là découle naturellement l’importance de la connaissance de soi. Il faut engager une réflexion profonde tant sur ses aspirations professionnelles que sur ses compétences. En parvenant à relier les deux, une personne saura être à la fois plus performante et plus passionnée ; éléments clés pour rester employable et être épanoui au travail.

Un projet professionnel doit donc être un projet d’acquisition de compétences, et demande plus que jamais d’être lucide sur ses forces et ses faiblesses. Cela implique d’instiller une culture de la rétroaction (ou feedback) en entreprise, et il est de la responsabilité des managers de faire des retours réguliers et constructifs aux collaborateurs. Pour ceux-ci, la lucidité consiste à la fois à éviter d’avoir trop d’assurance (en surestimant ses capacités, ce qui peut engendrer une grande frustration) mais aussi de se sous-estimer. Dans ce sens, le très réussi Les Indestructibles 2 des studios Pixar est une bonne leçon de lucidité à travers ses deux protagonistes : d’une part par une critique de l’excès d’assurance de l’homme — qui n’a pas eu les feedbacks nécessaires sur ses défauts — et l’autorestriction de sa femme — qui ne s’autorise pas à développer son plein potentiel.

Si le feedback est essentiel pour être lucide, il faut néanmoins faire preuve de discernement. Attention aux retours non constructifs ou faussement bienveillants qui instillent un sentiment d’insécurité. Pour cette raison, les feedbacks doivent être cherchés largement auprès de son entourage professionnel (certaines entreprises proposent d’ailleurs des évaluations 360°) ainsi qu’auprès de tiers neutres, comme des proches ou des coachs.

Cheminer ne veut pas dire errer

La peur n’a jamais fait pousser des ailes à personne ; c’est au contraire le premier frein au changement. Changer de poste, de lieu, de métier voire de carrière  : voilà une initiative audacieuse qui génère un degré légitime d’appréhension. Surmonter cette peur suppose de dépasser la vision « statut » du travail, et de penser sa carrière comme un cheminement permanent où l’on s’enrichit des expériences. Car Tolkien** l’a dit : "Cheminer ne veut pas dire errer ; cela ne veut pas dire échouer". Il faut s’accorder de voir sa carrière comme un flux, bien plus riche que la course aux paliers, version professionnelle de Super Mario.  

Cela demande du courage, mais en s’accordant le droit d’aiguiller ses ambitions en fonction de ses aspirations sincères, on découvre que l’on est plus compétent et que l’on peut donc atteindre (et même dépasser) les paliers tant recherchés par un autre chemin. Pour certains, cela peut par exemple vouloir dire alterner des périodes d’emploi fixe et de freelance pour créer un équilibre stimulant. Cette stratégie est d’ailleurs de mieux en mieux valorisée par les entreprises, qui recherchent des personnes faisant montre de flexibilité.

Oser ouvrir la boîte de Pandore

La peur touche aussi les managers, d’une façon différente : peur de voir partir les talents, comme si engager un dialogue transparent et authentique sur leur mobilité et leur carrière revenait à ouvrir la boîte de Pandore. Mais, si l’on se souvient de la légende, au fond de la boîte Pandore trouva l’espoir. Pour retenir les talents, il est plus efficace d’engager une discussion authentique ensemble, plutôt que de laisser croire qu’il n’y a pas d’horizon en dehors de l’entreprise.

Les managers doivent donc aussi accueillir cette culture du mouvement dans leur gestion des talents, et percevoir leurs équipes comme un flux où les membres sont acteurs de leur propre carrière. Car non seulement les managers ont la responsabilité de l’employabilité future de leurs collaborateurs, mais, en définitive, être à l’écoute de leurs aspirations est la meilleure façon de les garder, en leur donnant un cadre favorable à l’épanouissement de leurs ambitions.     

*   Empouvoirement : francisation du terme anglais empowerment. On pourrait aussi dire responsabilisation et mise en mouvement.

** La Communauté de l’Anneau, poème The Riddle of Strider : "All that is gold does not glitter, not all those who wander are lost".