Pourquoi la crise Covid-19 va amener la France à réinventer la réorientation professionnelle
La crise Covid-19 a accéléré la mutation du marché du travail, contraignant notre société à devoir prendre en compte aujourd'hui des phénomènes dont l'apparition était prévue dans quelques années.
Selon le rapport " The Future of Jobs" d'octobre 2020, d’ici 2025, le développement des nouvelles technologies perturbera 85 millions d’emplois. Plus de 80% des entreprises ont accéléré les projets de digitalisation des processus et 50% prévoient de renforcer l’automatisation de certains rôles.
Par ailleurs, d’après l’Organisation Internationale du Travail (O.I.T.), la crise Covid-19 risque fort d’être à l’origine de 495 millions d’emplois perdus.
En ce qui concerne la France, l’Unedic estime à près de 700.000 le nombre d’emplois détruits avant la fin de l’année et prédit une augmentation du taux de chômage qui pourrait atteindre les 11% en 2021.
Cependant, si cette double perturbation va modifier et détruire de nombreux emplois, l’évolution du marché du travail ferait émerger 97 millions de nouveaux postes, notamment dans l’économie verte, celle des soins et les industries de la quatrième révolution industrielle (intelligence artificielle, création de contenu…).
Face à ce constat, une question majeure se pose : comment aider les personnes qui seront privées d’emploi et qui ne pourront pas en retrouver dans leur métier ou leur secteur d’activité à se réorienter professionnellement ?
Se réorienter professionnellement, pourquoi c’est difficile ?
Tant que les critères de sélection resteront basés sur les diplômes, les compétences et l’expérience, il semble peu probable que nous parvenions à relever ce défi.
En ce qui concerne l’expérience, conditionner le futur sur la base du passé apparaît extrêmement limitant et sous-entend qu’il n’est pas possible d’acquérir de nouvelles aptitudes, ce qui, du point de vue de la neuroscience, est un raisonnement totalement erroné puisque la plasticité du cerveau humain permet d’apprendre à tout âge.
Faut-il obligatoirement avoir des diplômes pour être performant ? Ce n’est certainement pas ce que nous diraient Steve Jobs (Apple), Ingvar Kamprad (Ikea), Serge Papin (Système U) ou encore Xavier Niel (Free), qui n’en n’avaient pas.
D’ailleurs, c’est sans doute ce qui a amené ce dernier à fonder l’école 42, positionnée en 2020 comme la meilleure école informatique de France, dont l’accès à la formation se fait sans condition de diplôme.
Si beaucoup d’entreprises permettent à certains de leurs salariés de changer de métier dans le cadre de la mobilité interne, rares sont celles qui acceptent de prendre le risque d’en faire de même avec un candidat externe.
Puisque les entreprises se montrent réticentes à donner une chance à des candidats inexpérimentés, deux options peuvent être envisagées :
1 - Promouvoir et soutenir encore plus l’entrepreneuriat pour permettre aux personnes qui vont devoir changer de métier de tenter leur chance en tant qu’indépendant, ce qui est une option crédible compte tenu de l’augmentation du recours à la prestation de service d’indépendants et de l’augmentation du « travail à la tâche ».
2 - Reconsidérer les critères de sélection habituels. Bien évidemment, le diplôme est indispensable pour exercer certains métiers mais une grande majorité d’emplois n’en nécessitent pas, notamment dans les secteurs du commerce et de l’administration, qui représentent près de 75% de l’emploi salarié[i].
Si les étudiants de l’école 42 qui arrivent à terminer cette formation n’ont pas forcément de diplômes à l’entrée, tous sont des passionnés de l’informatique. C’est donc du côté de la passion et du plaisir provoqué par l’activité qu’il faut chercher.
Il est grand temps de réinventer la réorientation professionnelle
Qu’est-ce qui empêche les entreprises de recruter des candidats externes qui n’ont ni l’expérience, ni les compétences, ni les diplômes requis ? Bien évidemment, il y a le facteur risque, la peur bien légitime de l’échec. Mais le principal frein est la méconnaissance de nouvelles méthodes qui pourraient les rassurer, leur permettre d’apprécier non seulement l’aptitude à acquérir de nouvelles compétences mais aussi à ce que les nouveaux métiers soient source d’épanouissement durable.
Si l’on considère qu’il est possible de changer plusieurs fois de métier dans sa vie, d’apprendre à tout âge et qu’on apprend mieux et plus vite quand on éprouve du plaisir, pourquoi ne pas s’émanciper des critères de sélection traditionnels pour en explorer de nouveaux ?
Puisque le diplôme, les compétences et l’expérience ne peuvent pas être les critères d’appréciation d’accès à un nouveau métier, deux dimensions majeures doivent être explorées : le potentiel d’apprentissage ainsi que le plaisir provoqué par le traitement des activités.
De la compétence à l’appétence
Ce n’est pas parce que l’on sait-faire que l’on aime-faire pour autant alors que l’inverse peut être vrai. Contrairement à la compétence, l’appétence est une aptitude qui ne s’apprend pas forcément, qui est naturelle, facile à mobiliser et qui est à l’origine du plaisir que ressent une personne à traiter une activité.
Qu’ont les métiers de paysagiste, cuisinier, webdesigner et décorateur d’intérieur en commun ? Ce ne sont certainement pas les compétences puisqu’ils requièrent des connaissances différentes. Ces quatre métiers mobilisent des appétences communes, telles que la créativité (le plaisir à imaginer de nouvelles idées), la débrouillardise (le plaisir à faire preuve d’astuce avec des ressources limitées), l’esthétisme (le plaisir à sublimer) et l’originalité (le plaisir à faire différemment).
L’approche par les appétences permet d’identifier des passerelles entre emplois qui ne peuvent être identifiées avec le concept des compétences. Cependant si l’appétence permet d’apprécier le plaisir qu’aura une personne à exercer un métier pour lequel elle n’a pas d’expérience, cela ne signifie pas pour autant qu’elle sera en capacité d’acquérir facilement et rapidement les connaissances et les comportements requis par l’emploi.
C’est pourquoi il convient d’ajouter à la notion d’appétence celle de potentiel d’apprentissage. Mais comment faire ?
De l’évaluation de l’expérience à l’exploration des potentiels
Aucun entretien, ni test, ne permettent de prédire avec certitude la facilité et la rapidité d’acquisition des compétences, ni l’habilité qu’aura une personne à réaliser de nouvelles activités.
La méthode la plus fiable est sans conteste la mise en situation. C’est sur cette base que Pôle Emploi a instauré, en 1995, une approche intitulée "Méthode de Recrutement par Simulation" (MRS).
Cette méthode consiste à repérer les principales habiletés nécessaires pour occuper un emploi puis à concevoir des exercices (manipulation d’un mécanisme, résolution d’un problème…) ou des mises en situation (entretien de vente, apaisement de tensions…) afin de permettre à l’entreprise d’observer avec objectivité les potentiels du candidat à se les approprier lors de simulations.
Rassurés, entreprises et candidats peuvent appréhender la prise de poste avec plus de sérénité.
C’est ainsi que Mutuaide, filiale de Groupama, embauche de nouveaux collaborateurs à des postes pour lesquels ils n’ont aucune expérience, pour leur confier, par exemple, des missions de traitement de dossiers d’indemnisation suite à des sinistres.
Une nouvelle approche pour aider ceux qui vont perdre leur emploi, oui, mais pas que
Un actif sur deux affirme avoir envisagé une reconversion professionnelle[ii], 71% jugent que se réinventer est difficile[iii] et 79% y renoncent[iv].
Si la crise Covid-19 risque fort de détruire des milliers d’emploi, elle peut aussi être l’opportunité de nous réinventer pour permettre à des milliers de français, en demande d’emploi ou en poste, de pouvoir enfin changer de métier.
Cela ne dépend que de nous…
[i] Source : Dares, 2ème trimestre 2020
[ii] Source : BVA - 06/2020
[iii] Source : Opinion Way - 02/2018
[iv] Source : Patrimoine RH - 06/2015