CHSCT et restructuration : le rôle du CHSCT sous le contrôle du comité d’entreprise

Le 4 juillet 2012, la Cour de cassation reconnaît la possibilité pour le Comité d'entreprise (CE) de contester la régularité de la procédure de consultation du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) lorsque sa saisine est préalable à son propre avis.

Incidemment, cet arrêt met en relief l’importance que prend progressivement le CHSCT conjointement aux pouvoirs du comité d'entreprise (CE), notamment en matière de restructuration.
Pendant longtemps délaissé par l’employeur au profit du seul Comité d’entreprise (CE), le 
Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dispose désormais de prérogatives essentielles et doit, à ce titre, être associé en amont à l’élaboration et à la mise en place des opérations de restructurations, celles-ci ayant le plus souvent des  effets sur les « conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » des salariés (C.trav., art. L. 4612-8). A cet égard, le champ d’investigation du CHSCT est particulièrement vaste et recouvre de multiples réalités :durée et aménagement du temps de travail, organisation collective du travail, santé physique et mentale des salariés,règles de discipline,aménagements des locaux et déménagements, etc..
Un arrêt rendu le 4 juillet 2012 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (n°11-19.678) invite d’ailleurs l’employeur à la plus grande vigilance lorsque celui-ci envisage de mettre en œuvre un projet supposant à la fois la consultation du Comité d’entreprise et celle du CHSCT. Dans cette affaire, la direction avait saisi le CHSCT sur un projet de réorganisation. Un des membres du Comité avait émis un avis favorable tandis que les autres avaient refusé de se prononcer au motif qu’il n’était pas répondu à leurs questions.  Estimant que ce refus devait s’analyser comme un avis négatif, l’employeur avait par la suite soumis le projet pour consultation au comité d'entreprise. Ce dernier, invoquant l’absence de transmission d’un avis régulier du CHSCT, a saisi en référé le tribunal de grande instance pour demander la suspension du projet de réorganisation jusqu’à ce qu’il soit en mesure de recevoir une information complète et de donner valablement son avis.

La Cour de cassation a précisé que le Comité d’entreprise doit disposer de l’avis du CHSCT pour pouvoir se prononcer et peut, dans le cadre de sa propre consultation, soulever l’irrégularité de la procédure de consultation du CHSCT.

Confirmation du caractère préalable de la consultation du CHSCT 

Les rapports entre le CE et le CHSCT sont clairement hiérarchisés par la loi : le CHSCT dispose de compétences « spécialisées » venant compléter les compétences plus générales du CE en matière de conditions de travail et de santé des salariés. L’article L. 2323-27 du Code du travail dispose, en effet, que le CE peut bénéficier du concours du CHSCT dans les matières relevant de sa compétence et que les avis du CHSCT lui sont transmis. La loi précise également que le CE peut demander au CHSCT de procéder « à des études portant sur l’hygiène et la sécurité » (C. trav., art. L. 2327-28).  De ce fait, et en vertu du principe de spécialité, le CHSCT doit formuler son avis avant le CE afin de permettre à ce dernier de se prononcer de manière éclairée.  

Le respect de cet ordre est important pour le CE dans la mesure où le CHSCT peut notamment faire appel à un expert en vertu de l’article L. 4614-12 du Code du travail. Cette priorité chronologique du CHSCT n’est pas sans risque pour l’employeur en termes de procédure puisque, dès lors qu’un projet de réorganisation a des conséquences sur les conditions de travail (ce qui est souvent le cas), la jurisprudence considère que le CE peut légitimement différer la remise de son avis jusqu’à ce que le CHSCT ait été dûment consulté sur le projet (notamment : CA Paris, 13/5/2009 n° 08-23442 ; CA Versailles, 19/3/2008, n°08-892). 

Cette solution de principe, traditionnellement retenue par la doctrine et par les juridictions du fond, est consacrée pour la première fois par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 juillet 2012. La Cour de cassation considère, en effet, que « lorsqu’il est consulté sur les problèmes généraux intéressant les conditions de travail, le Comité d’entreprise doit disposer de l’avis du CHSCT ».  A défaut, l’invocation du délit d’entrave pour absence de consultation du CHSCT et la saisine du juge des référés peuvent permettre au CE de paralyser temporairement la mise en place du projet de réorganisation. 

Recevabilité de l’action du CE pour contester la régularité de la procédure de consultation du CHSCT 

Poursuivant dans cette logique d’interdépendance des procédures, la Cour précise que le « Comité d’entreprise est recevable à invoquer dans le cadre de sa propre consultation l’irrégularité de la procédure de consultation préalable du CHSCT ». En d’autres termes, le CE peut –au même titre que le CHSCT– se prévaloir de toute irrégularité de la procédure de consultation du CHSCT (absence de consultation ou avis irrégulier) pour saisir le TGI en référé et demander la suspension de la mise en œuvre du projet jusqu’à ce qu’il ait été mis en mesure de donner son avis valablement.
Dans une affaire similaire tranchée le 10 janvier 2012 (n°10-23.206), la Cour de cassation avait d’ailleurs déjà eu l’occasion d’admettre implicitement la recevabilité de l’action du CE dans un tel cas. La solution paraît toutefois surprenante au regard des règles de procédure, et notamment de la qualité à agir, car elle revient à permettre au CE de contester la régularité de la procédure du CHSCT alors-même que ce dernier n’est pas partie au litige.  Cet argument avait d’ailleurs été retenu par la Cour d’appel pour écarter la demande du CE.
Les conséquences pratiques d’une telle décision sont importantes. La préparation en amont d’un calendrier de double consultation à l’occasion d’une opération de restructuration apparaît nécessaire d’autant plus que les modalités de consultation du CHSCT sont bien plus contraignantes que celles du CE (respect d’un délai de convocation de 15 jours pour chaque réunion, possibilité pour le CHSCT de désigner un expert à tout moment de la procédure, mission d’expertise pouvant aller jusqu’à 45 jours, etc.). A défaut d’une telle initiative, l’employeur s’expose nécessairement à une action concertée du CE et du CHSCT pour retarder, voire bloquer, la mise en œuvre du projet envisagé.
Il appartiendra, toutefois, aux juridictions saisies en référé de veiller à ce que la solution dégagée par l’arrêt du 4 juillet 2012 ne conduise pas à une multiplication des procédures dilatoires…


Chronique cosignée avec Me Marie-Adelaide Favot, Avocat, Dupiré & Associés