Les contrats de financement ne sont plus indépendants des contrats de prestations de service
Certaines SSII ont, depuis plusieurs années, recours à des contrats de financement adossés à leurs contrats de prestations de services informatiques (réalisation de site web, sauvegarde de fichiers informatiques, etc.).
Concrètement, il s'agit pour le prestataire d'être
payé immédiatement de la globalité du prix du contrat, tandis que le client
doit payer des mensualités à un tiers financeur. L'intérêt pour le prestataire
réside évidemment dans cette rémunération "cash" qui le met à l'abri
des éventuels problèmes de trésorerie de ses clients.
A rebours, si le client peut voir un intérêt à
régler la prestation de manière échelonnée, il peut se trouver dans une
situation inconfortable si la SSII n'exécute pas cette prestation conformément
à l'accord contractuel. En cas de retard, de mauvaise exécution du site
internet, de non-respect du cahier des charges, etc., le client ne peut pas
menacer de suspendre les paiements, puisque ces derniers sont toujours dus au
financeur, lequel a généralement bien pris soin de prévoir dans le contrat une
"clause de divisibilité" : en vertu de cette clause, les éventuels
manquements du prestataire lui sont tout simplement inopposables, les deux
contrats étant indépendants l'un de l'autre.
Les tribunaux ont connu de nombreuses affaires dans
lesquelles le client refusait de payer les mensualités convenues en raison de
la mauvaise exécution du contrat de prestation de service. Dans ce cas, le
tiers financeur assignait le client en invoquant la divisibilité des
engagements et l'obligation du client de le payer, indépendamment de la bonne
ou de la mauvaise exécution du contrat principal.
Face à cette situation, les tribunaux ont opté pour
des solutions variables. Souvent, ils appliquaient la clause de divisibilité,
en considérant que les parties avaient eu l'intention de donner une
indépendance à chaque contrat conclu. Bien évidemment, l'intention des parties
en l'espèce était assez floue, puisque les contrats signés sont généralement
des contrats d'adhésion que les clients n'ont pas la possibilité de modifier.
Il n'y a donc généralement aucune place à la négociation.
Certaines juridictions ont, en revanche, considéré
que les contrats formaient un ensemble indivisible et que la résiliation du
contrat principal en raison des manquements du prestataire avait pour effet
d'anéantir également le contrat de financement.
Cette incertitude jurisprudentielle vient de
prendre fin avec deux arrêts très importants rendus par la Chambre mixte de la
Cour de cassation le 17 mai 2013 (pourvois n° 11-22.768 et 11-22.927). Ces deux affaires opposaient un financeur à deux
clients qui avaient cessé de régler les mensualités en raison de la défaillance
du prestataire principal. Les juges du fond avaient opté pour des solutions
opposées, puisqu'il avait été considéré dans le premier cas que les contrats
étaient indépendants l'un de l'autre, tandis que, dans le second,
l'ensemble contractuel avait fait l'objet d'une résiliation.
La Cour de cassation, qui devait donc se prononcer
sur le sort des contrats de financement, a rendu une solution protectrice des
intérêts des clients, en considérant que "les
contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération
incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées
non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance".
Ceci signifie que les financeurs ne peuvent plus
prévoir dans leur contrat d'inopposabilité des exceptions qui pourraient être
formulées à l'encontre du prestataire : les financeurs subissent donc
directement les conséquences des défaillances de ce dernier. Cette solution
vaut quelle que soit la date à laquelle le financement a eu lieu :
concomitamment à la signature du contrat de prestation de services ou
postérieurement.
Il s'agit d'une solution profondément juste et
logique, qui place les clients à l'abri des éventuelles défaillances des
prestataires qu'ils ont choisis : si le prestataire ne s'exécute pas
conformément au contrat, le client pourra donc faire valoir l'exception
d'inexécution et cesser de régler les mensualités, même si le contrat a fait
l'objet d'un financement (sous réserve que les conditions de l'exception d'inexécution
soient bien remplies). Il s'agit donc d'un moyen de pression indirect sur le
prestataire pour l'obliger à se conformer au contrat.
Ceci contraindra peut-être les financeurs a fait
preuve de plus de discernement lors de l'étude des demandes de financement : la
jurisprudence témoigne en effet d'un certain laxisme en la matière, certains
prestataires s'étant fait une spécialité d'empocher le prix du contrat et de
mal exécuter les prestations. La jurisprudence de la Cour de cassation devrait
mettre fin à ces pratiques.