L'organisation 2.0 va-t-elle entraîner la fin du salariat ?

Les entreprises se digitalisent et se réinventent plus fortement et plus rapidement que jamais. Cela suppose que les salariés doivent s'adapter. Au point de disparaître ?

Il n'y a pas une semaine qui s'écoule sans que l'actualité évoque l'annonce d'un nouveau plan social et ses conséquences sur l'emploi. Le chômage s'accroît inéluctablement et les prédictions perturbent ceux qui espéraient l'inversion de sa courbe et le redémarrage de la croissance.

Les acquis sociaux sont remis en cause et la révision du contrat de travail  cristallise les inquiétudes sur le devenir du salariat. Le pavé est dans la mare : sommes nous en train de vivre une mutation sans précédent et doit-on se préparer à reconnaître que notre modèle économique et social n'est plus adapté pour faire face aux enjeux actuels ?

L'émergence de l'organisation 2.0

Nous savons que c'est le marché qui entraîne systématiquement les évolutions de l'organisation.  Faut-il d'ailleurs, à ce propos, rappeler que l'entreprise sous sa forme actuelle est une création récente issue de la révolution industrielle.  Auparavant, les grands projets faisait appel à des structures dédiées dont la durée de vie était limitée à la vie du projet. La construction de la pyramide de Khéops se déroule sur une vingtaine d'années et elle mobilise 20 000 personnes. La Chapelle Sixtine, pour sa part, exige 8 années et environ 1500 contributeurs. 

En effet, l'entreprise capitalistique prend son essor avec la révolution industrielle : la production répétitive oblige à se doter d'une organisation stable, hiérarchisée, capable de fournir par des procédures et méthodes un haut niveau de productivité. Les ouvriers sont jugés sur leur capacité à  respecter l'organisation mise en place.

Depuis trois décennies, nous vivons une impressionnante accélération du changement stimulée par la concurrence et l'évolution technologique. Le pouvoir alors se déplace du producteur vers le consommateur. Dans une économie mondialisée, le produit est devenu abondant et le client rare.  

L'entreprise est en prise directe avec son marché et elle décloisonne et décentralise ses modes de fonctionnement. Une telle approche exige des collaborateurs compétents et impliqués.  

Cette dernière décennie intensifie cette ouverture de l'entreprise sur l'environnement qu'il soit économique, social ou sociétal. La productivité n'a de sens que si l'entreprise est capable d'adapter rapidement ses prestations à un marché qui fait la part belle à la personnalisation des produits et services.

L'entreprise doit, dans un tel contexte, privilégier l'écoute de ses clients et le fonctionnement en réseau. Progressivement, une mutation s'opère et son organisation devient 2.0 car elle devient agile et réactive et se caractérise par ses interactions à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise. Les outils digitaux (réseaux sociaux, wikis, plate-formes collaboratives) lui permettent de s'affranchir du temps et de l'espace. Ses clients et fournisseurs font partie intégrante de la chaîne de valeur. Le crowdsourcing lui permet de s'enrichir des innovations de son environnement et de construire ainsi des coopérations qui dépassent ses propres ressources.

Résoudre la quadrature du cercle

Dans un tel contexte, la compétitivité repose moins sur la rigueur des procédures que sur la capacité d'adaptation des collaborateurs et leur niveau de compétences.  Face à la vitesse de propagation du changement, l'obsolescence technique est si rapide que dorénavant le savoir-faire s'avère moins essentiel dans la réussite que le savoir-être.  

Et ce constat oblige à prendre conscience que ce qui était hier la force des entreprises devient aujourd'hui son talon d'achille.

Aujourd'hui, les entreprises ont besoin d'avoir des collaborateurs engagés, autonomes et responsables dans un fonctionnement décentralisé où il faut sans cesse être en veille, conscients de l'obligation de développer ses propres compétences par l'auto-formation, ayant de l'appétence pour le travail en équipe, capable de gérer ses  émotions et son niveau de stress.  

Aujourd'hui, disposer de salariés soucieux de respecter l'ordre établi et rompus aux méthodes et procédures de l'entreprise devient une menace si ces personnes s'avèrent, dans un contexte anxiogène, plus soucieuses de défendre leur emploi que de s'adapter aux évolutions en cours. 

Le rapport du dernier sommet de Davos (janvier 2016) consacré au "Futur des Emplois" annonce que plus de 5 millions d'emplois pourraient être supprimés dans les quinze principales puissances économiques mondiales d'ici à 2020. Les élites ne semblent pas avoir une confiance inébranlable dans la capacité des salariés à s'adapter aux évolutions actuelles. Il semble que l'innovation prônée par le 2.0 ne semble pas avoir impacté la manière de raisonner des dirigeants de ce monde.

Comment croire en l'avenir

Nous savons que dans le modèle productiviste, le capital humain a toujours été considéré comme une variable d'ajustement.

Nous voyons bien que les choses se perpétuent malgré les remarquables programmes réalisés, ces dernières années, par les entreprises sur la responsabilité sociétale des entreprises.

Ce qui est rassurant dans les prévisions, c'est bien notre incapacité à en faire... qui s'avèrent conformes à la réalité. En effet, il y a dix ans qui était parmi les experts capable de prédire le succès foudrayant de Facebook, Google et Twitter. Qui pouvait prévoir la situation actuelle de leaders incontestés comme Nokia ou de Virgin ?

Nous sommes dans un monde où la roue tourne très vite. Une société au bord du dépôt de bilan comme IBM a été capable de se remettre dans le sens du jeu et de retrouver une place sur  l'échiquier concurrentiel. Faut-il d'ailleurs être confronté à une aussi mauvaise nouvelle que le rapport alarmiste de Davos pour être capable de remettre en cause nos modes de fonctionnement.

Ce qui fait la différence dans la réussite, c'est à chaque fois la croyance que l'on a dans la capacité des équipes à s'adapter et faire face. Le capital humain comme son nom l'indique est la principale richesse de l'entreprise, faudrait il encore s'en rendre compte.

L'organisation 2.0 est-elle un risque pour l'emploi dès lors qu'elle propose une externalisation possible de certaines activités ou alors une intensification de l'automatisation. Ces évolutions sont sans doute inévitables mais ne rien compromettre si les dirigeants de nos entreprises sont prêts à conduire cette transformation technologique en sachant tirer profit du potentiel des équipes en place.

Le rabot ne fait pas l'ébéniste.Ces outils n'auront jamais autant d'efficacité que s'ils s'inscrivent dans un management qui prend appui sur la confiance et la responsabilité collective. Il n'est pas concevable de penser que les sous-traitants seront plus créatifs et impliqués que les salariés d'une entreprise. Là encore, la productivité ou la rentabilité seront ils encore les critères que vont privilégier les dirigeants plutôt que la cohésion et l'innovation.

Est-ce que ce qui a fait la réussite de Google est inaccessible aux entreprises françaises alors que nous disposons de multiples exemples de ce que sont capables de faire des entreprises comme Favi, Poult ou Chronoflex par exemple. Est-ce que nous sommes capables de sortir de cette paresse intellectuelle qui consiste à appliquer toujours les mêmes solutions alors que les problèmes ne se posent plus de la même manière.

L'organisation 2.0 propose des opportunités intéressantes par comparaison avec le modèle traditionnel. Dans le domaine du partage de l'information et de la co-construction, il y a matière à développer de la synergie entre les acteurs et prendre pleinement conscience de la richesse du travail en équipe. Il serait grand temps que cette démarche s'engage en faisant confiance au génie humain. L'entreprise doit apprendre à ne pas redouter son environnement et puiser ses idées dans la société civile et le milieu associatif. Le management 2.0 est une aventure à vivre et nous pouvons imaginer une logique d'action qui met l'outil au service de l'homme. La fin du salariat n'est pas une fatalité.