Le développement des compétences, enjeu dans les stratégies de nearshoring des entreprises

La fragilité des chaînes de valeur étendues au niveau mondial révélée par la crise du Covid-19 pourrait conduire les industriels à réinterroger leurs stratégies de localisation d'une partie de leurs activités de production et de distribution, en favorisant un mouvement de nearshoring.

Avec l’avènement du capitalisme libéral au début des années 80, la libre circulation des biens, des services, et plus encore du capital, est devenue le nouveau dogme, permettant aux entreprises d’opérer une allocation optimale de leurs moyens de production. Plus encore après la chute du Mur de Berlin, ce néolibéralisme économique a permis l’émergence de chaînes de valeur étendues au niveau mondial.

La pandémie de COVID-19 a toutefois révélé la fragilité de ces organisations « éclatées » et la dépendance de secteurs industriels entiers à l’égard de la Chine notamment : la mise à l’arrêt temporaire de l’économie chinoise a entraîné une rupture des chaînes d’approvisionnement d’entreprises multinationales, dépendant de la Chine pour leur cycle de production et de distribution ; la crise sanitaire a par ailleurs mis en évidence l’état de désarmement dans lequel se sont trouvés certains Etats, dont la France, pour faire face à la guerre contre le coronavirus (équipements médicaux, médicaments…). Quelques chiffres rendent compte de cette dépendance absolue : la Chine fournit actuellement 90% de la production mondiale de pénicilline, 80% de la vitamine C et 70% de l’acide citrique.

Afin de réduire à l’avenir ce risque, certains industriels pourraient revoir leur stratégie en relocalisant certaines de leurs activités de production en plus grande proximité des marchés de consommation et par la réorganisation de leurs circuits de distribution, en les ramenant à une échelle européenne plutôt que mondiale. Ce que les industries perdront en compétitivité – coûts du fait de la relocalisation d’une partie de leurs activités de production, en raison de coûts comparés de la main d’œuvre, elles s’efforceront de la regagner en agissant sur d’autres leviers, qu’il s’agisse notamment de la productivité du travail ou de l’automatisation des activités de manufacturing et de logistique.

Même s’il s’agit encore d’une hypothèse non validée à ce jour par les faits ou les annonces d’entreprises multinationales, il n’en reste pas moins que d’autres questions se posent alors : quels seront les territoires qui pourraient bénéficier de cette stratégie de « nearshoring » ? Quelle sera l’échelle pertinente pour les entreprises ? Quels seront les déterminants de la relocalisation d’une partie des activités industrielles, et dans son sillage des services associés aux industries ?

S’il en est un que la France doit favoriser, afin que le mouvement de reconfiguration des écosystèmes productifs à l’échelle des grandes régions économiques s’opère au bénéfice de son territoire, c’est certainement celui du capital humain. Dans ses modes d’intervention, l’Etat doit plus que jamais favoriser le développement des compétences des actuels et futurs actifs, au travers de sa politique d’éducation et de formation professionnelle, afin d’une part de maintenir un niveau élevé et croissant de productivité du travail pour les entreprises et d’autre part d’accompagner l’industrie dans sa mutation vers l’usine du futur ou l’usine 4.0.

Le lancement annoncé le 4 juin dernier par la ministre du Travail d’une concertation avec les partenaires sociaux pour définir un plan de relance de la formation professionnelle va dans ce sens. S’appuyant sur  la conviction qu’il ne pourra pas y avoir de plan de transformation de l’économie sans un plan massif d’investissement dans les compétences, ce « plan d’adaptation de la politique des compétences » devra être conçu en cohérence avec le plan de relance économique élaboré par le ministère de l’Economie et des Finances. Rendez-vous désormais au mois de septembre prochain, échéance annoncée pour la présentation de ce plan de relance de la formation professionnelle par le Président de la République.