Dans un contexte incertain, les compétences humaines un atout supplémentaire ou un prérequis indispensable sur le marché du travail ?

Depuis le confinement, les investissements massifs de l'Etat au travers les dispositifs du FNE-Formation ou encore le financement de l'alternance ont en effet rappelé toute l'importance conférée à la formation.

Se former pour s’adapter aux évolutions réelles du travail liée à la crise sanitaire

D’une manière générale, la formation est une brique essentielle de l’accompagnement au changement. Or, du changement, avec la crise sanitaire du covid-19, il y a en a eu ! Des conditions de travail à son organisation, en passant par les interactions professionnelles, le confinement a bouleversé l’ensemble des entreprises, travailleurs et salariés français. Si nos coeurs de métier n’ont pas changé, les manières de les exécuter ont dû être adaptées.

La période récente a en effet été riche en exemples et péripéties diverses, plus ou moins humoristiques d’ailleurs. "Tiens, un collègue paraît avoir totalement disparu des radars" (il ne doit pas savoir comment communiquer en télétravail) ; "mon manager me demande un énième reporting" (il ne parvient pas à accompagner l’autonomie de ses collaborateurs à distance) ; "mon collaborateur, toujours en retard à nos réunions en visioconférence, prend systématiquement la parole s’en y être invité" (il ne maîtrise pas les outils numériques, ni les règles d'intervention en réunion), etc. 

En creux, c’est souvent l’absence de maîtrise de ces compétences transversales que nous avons remarqué sur la période. Ces exemples nous montrent l’incapacité de certains à s’adapter pour faire face à ces imprévus. Prendre le temps de se former ou de former les équipes pour être en capacité d’exercer leurs missions dans ce nouvel environnement de travail paraît donc essentiel. 

Et là, le constat est sans appel : tout le monde n’est pas égal pour accéder à la formation. Le contexte professionnel joue un rôle important. Si les nouvelles technologies avaient déjà eu un impact sur des pans entiers de l’économie française (automatisation, robotisation, évolution de business modèles, nouveaux métiers...), le confinement lié à la pandémie a contraint chaque organisation à faire le bilan de son propre niveau de maturité en matière de transformation digitale. 

Lorsqu’ils existent, les services formations ont ainsi vu leurs responsabilités se diversifier. Comme d’autres métiers pendant cette période du confinement, les acteurs de la formation professionnelle ont vu leur utilité particulièrement mise en valeur. Ils ont dû réagir rapidement pour répondre aux nouveaux besoins des collaborateurs et de leur organisation, pour constituer une offre de formation. 

Il reste qu’un enjeu pour tous a été d’adapter les modalités de dispense des actions de formation à la distance. En la matière, on repère une forte inégalité dans les solutions déployées : entre digitalisation anticipée, ou numérisation express de formations présentielles en classe virtuelle de 7 heures, l’expérience de formation est loin d’être équivalente. On peut s’accorder sans trop de craintes sur le fait que leur efficacité, pour le participant, son plaisir d’apprendre, et sa montée en compétences, non plus. 

Se former pour se distinguer dans un contexte de chômage croissant

La formation est aussi un atout stratégique pour trouver un emploi. "Lorsque je dépose une offre d’emploi, je reçois plus de 300 candidatures." Voilà une situation à laquelle les recruteurs peuvent se confronter. La croissance du chômage accroît la concurrence entre les demandeurs d’emploi. Pour ces derniers, une question stratégique s’impose : "comment se distinguer dans la masse des candidatures ?" En France, l’insertion sur le marché du travail reste fortement déterminée par le diplôme et l’expérience professionnelle. Mais si on sait que les diplômes sont plus que jamais nécessaires, ils ne sont plus pour autant suffisants. Le retour à l’emploi est aussi fortement conditionné par la capacité individuelle à signaler l’ensemble des compétences possédées. 

De nouvelles tendances en matière de recrutement semblent se développer. C’est par exemple ce que laisse à penser l’enquête conduite par LinkedIn auprès de 2000 recruteurs (même si j’attire l’attention sur le fait qu’il ne s’agisse pas d’un échantillon représentatif) : “57% des dirigeants considèrent que les compétences interpersonnelles sont plus importantes que les compétences techniques” (2020). Plusieurs travaux de recherche ont aussi montré que ces compétences relationnelles peuvent avoir un effet sur la performance de ceux qui les possèdent (Green et al., 1999 ; Bowles et al., 2001), orienter les choix de recrutement (Albandéa, 2019). On sait par ailleurs que certaines de ces compétences exercent un effet positif sur la rémunération des jeunes diplômés (Albandéa & Giret, 2018). 

Chercher un emploi, postuler à une offre, ce n’est pas seulement déposer un Curriculum Vitae. Désormais, un candidat doit aussi être capable de valoriser ses compétences techniques comme ses compétences transversales, ses savoir-être. Or, là encore, cette capacité à connaître et présenter ses propres compétences est inégalement partagée entre les groupes sociaux. Dans ma thèse de doctorat dédiés aux usages des MOOC, j’ai justement repéré ces différents comportements stratégiques de participants. Ceux-ci cherchaient autant à renforcer leur expertise sur des domaines particuliers qu’à signaler et valoriser auprès de futurs recruteurs leur autonomie, leur motivation et capacité à se former. Dans le cadre de leur recherche d’emploi, ils indiquaient sur leur profil LinkedIn et CV les certifications possédées. En entretien, ils mettent en valeur la manière dont ils sont capables de mettre à profit une période d’inoccupation, potentiellement défavorable, par des activités de développement de compétences. En dépit de l’accessibilité des MOOC, statistiquement, ces stratégies restaient elles aussi davantage le fait de personnes déjà diplômées du supérieur et avantagées pour s’insérer sur le marché du travail. 

Dans de nombreux secteurs, la présence sur les réseaux sociaux professionnels est indispensable. La maîtrise de ces réseaux sociaux professionnels est un outil de pilotage quasiment incontournable dans cette stratégie de "personal branding", dans la construction de sa marque personnelle. A l’ère d’une économie de la connaissance, il est désormais attendu de savoir mettre en récit son parcours professionnel. La confiance en soi, la capacité à négocier, à convaincre sont finalement des compétences qui pouvaient jusqu’alors bien souvent être implicites, mais jouent un rôle déterminant dans le processus de recrutement. 

L’accroissement du chômage, les nouvelles modalités de travail, l’activité partielle sont autant de conséquences liées à la crise du covid-19. Ils donnent à voir les défis auxquels on somme la formation de répondre (sécurisation des parcours professionnels, accompagnement au changement, maintien de l’employabilité, compétitivité, etc.). 

Une importance croissante est conférée à ces compétences humaines. Ces compétences humaines, pendant longtemps restées invisibles, absentes du travail prescrit ou non valorisées, prennent d’autant plus d’importance avec les évolutions actuelles de l’organisation du travail. L’absence de leur maîtrise, dans un contexte économique en tension, peut devenir un obstacle à l’employabilité. 

Il est donc de la responsabilité des différentes parties prenantes de la formation (Etat, entreprises, institutions de formation, individus) de garantir à tous la possibilité de les développer. Le risque serait en effet trop important qu’aux inégalités d’accès et d’obtention des diplômes, précieux sésame pour l’insertion et l’évolution des parcours professionnels, s’ajoutent une inégalité des publics les plus défavorisés ou éloignés de l’emploi de développer, valoriser et faire valoir ces compétences humaines sur le marché du travail. La question de leur rémunération est un horizon qui semble encore être lointain.