Écoles de commerce : mûres pour la Grande Disruption

2 000 étudiants d'Écoles de Commerce signent une pétition, à l'automne dernier, pour demander un remboursement partiel de leurs frais. Elle disparaît soudain, comme par enchantement.

Les Écoles de Commerce, que ce soit en France ou à l’étranger, se trouvent en effet dans la situation la plus vulnérable à la disruption de l’ensemble des industries, y compris celle de la santé, sans qu’elles n’aient l’air de s’en apercevoir.

Quand un secteur d’activité accroît ses prix bien au-delà de l’inflation (+73% en 10 ans) sans que la qualité de ses services ne progresse de manière équivalente, il est susceptible de se faire disrupter.

Tandis que les frais de scolarité, directs et indirects, s’envolent de façon vertigineuse, que la masse salariale des administrateurs et de la faculté progresse, la qualité de l’enseignement dispensé et des opportunités de sortie régressent.

La marge brute réalisée par les Écoles de Commerce, entre ce que lui coûte directement l’heure d’enseignement et ce qu’elle facture aux étudiants, est de plus de 90% ! Le fait que la Covid-19 limite la prestation des Ecoles à des cours en ligne met en lumière ce hiatus.

90 % ! un taux de marge à faire blêmir les marques de luxe !  

D’autant plus que la qualité de l’enseignement régresse. Dans ces cours, dont la plus grande novation de ces 20 dernières années est d’être passé du rétroprojecteur au… projecteur, sont présentées des théories de management autour de quatre idées de base qui n’ont presque aucun rapport avec la réalité des marchés.

Pour les citer, le fait que l’activité économique soit plus concurrentielle que jamais, que nous vivions une époque d’entrepreneuriat, que le cycle des activités économiques soit devenu plus rapide ou que la mondialisation soit à la fois inévitable et irréversible, ce ne sont là que des dogmes sans plus de réalité aujourd’hui qu’hier.

Ces Écoles dispensent tout un recueil d’idées moribondes, au travers de théories du management obsolètes. A ceci s’ajoute, lors des enseignements, une sacralisation du Powerpoint et de l’étude de cas de type Harvard, dont la méthode date des années 20 (1920 !).

La pandémie a retiré aux apprenants le côté expérientiel de la vie étudiante. Cette source importante d’enrichissement personnel s’est tarie, que ce soit au travers de la vie associative, des travaux de groupes mais aussi des activités festives. La faiblesse des enseignements est alors apparue au grand jour.

Il reste, bien sûr, l’atout de l’employabilité liée à l’obtention du diplôme d’une École de Commerce. Mais, là aussi, cela est remis en cause. Nous ne reviendrons pas sur la baisse continue du niveau de sélection de la plupart des Écoles de Commerce, amplement documenté, mais sur la situation future de l’étudiant.

Avec la pandémie, les entreprises prennent peu de jeunes en stage ou en alternance. Les débouchés post formation sont également moroses. D’autant plus, quand nous serons tous en "coronanorme" c’est-à-dire quand nous aurons appris à vivre avec la Covid,, la génération actuelle se retrouvera, pour une partie d’entre elle, en concurrence avec les nouveaux entrants qui n’auront pas subi, eux, ces ruptures.

La pandémie n’a pas seulement permis de lever le voile sur l’écart entre le coût toujours plus élevé de la formation et une qualité d’enseignement en régression. Elle a également mis en lumière, par la réponse négative apportée à la détresse exprimée par les étudiants dans la pétition susmentionnée, la dissonance cognitive de la direction de ces Écoles.

Peut-on donner une fin de recevoir aussi abrupte à ses clients privés de stages, de petits boulots, de vie étudiante, aux perspectives d’avenir inquiétantes, quand on est dans des démarches de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) ?

Pour mettre en perspective cette réponse, soulignons-le fait que les personnes répondant ainsi à ces appels bénéficient, quant à elles, d’une situation stable et peu exposée. Tout le contraire des étudiants qui, eux, pour reprendre le titre de l’excellent livre de Nassim Nicholas Taleb, "jouent leur peau" dans cette situation.

Des débouchés compromis, un enseignement de moindre qualité, une expérience étudiante inexistante, tout cela pour des frais toujours plus élevés : le compte n’y est clairement plus.

Or cette dichotomie n’est pas, à notre sens, conjoncturelle mais structurelle. D’autant plus que les facs d’éco-gestion s’affirment comme des concurrentes sérieuses. Mais bien plus menaçants, les Big Techs rentrent dans le secteur de la formation car ils ont besoin de forts leviers de croissance pour tenir leurs valorisations !

Depuis 2020, Google propose, dans le cadre de "Grow with Google" des formations de 6 mois pour des métiers où la demande est forte : Data Analyst, UX Designer, Project Manager. Pour 600 $ vous avez une formation pour des secteurs porteurs avec une certification Google à la clef ! Nous assistons au début du dégroupage de la formation supérieure, comme ce fut le cas de la Presse dans les années 90 !

De son côté, le 9 février, la Commission Formation de la Conférence des Grandes Écoles a fait envoyer à l’ensemble des directions et des corps enseignants des Écoles de Commerce une "étude prospective de grande envergure sur la formation en 2030"… la réponse n’est clairement pas à la hauteur des enjeux.

Issu du cursus des Écoles de Commerce, nous ne pouvons que faire le constat qu’une page se tourne. Bienvenue dans l’ère de la Grande Diffraction post-Covid !