L'heureuse nécessité de se former tout au long de la vie

Si auparavant il était possible d'avoir des trajectoires professionnelles claires, la révolution numérique a rendu de plus en plus obsolète le modèle traditionnel Education-Diplôme-Travail.

Ainsi il n’est plus possible de cantonner l’apprentissage de compétences à un moment de sa vie, celui des études. 

Du fait de la rapidité des développements technologiques, les compétences recherchées par les entreprises évoluent plus vite que les formations. Les écoles s'adaptent, des formations professionnelles voient le jour, l’apprentissage en ligne devient standard; mais malgré tout, ce décalage entre l’évolution rapide de la demande de compétences et l’adaptation de l’offre renforce la tension sur des métiers où il est déjà difficile de recruter. Ce phénomène de décalage est enclin à perdurer, voire à s'accélérer. La société l’a intégré depuis longtemps, notamment en mettant l’accent sur le développement de la formation professionnelle, destinée soit à ramener vers des emplois d’avenir des personnes éloignées de l’emploi, soit à faire monter en compétences sur des métiers en rapide évolution.

La formation professionnelle, quelle panacée !

Si elle est qualitative et bien organisée, elle permettrait ainsi de réduire le chômage et faciliter le recrutement des entreprises sur des métiers en tension. Le Plan d’Investissements dans les Compétences (PIC) de 15 milliards d’euros pour la période 2018-2022, est un exemple de la compréhension de l’enjeu crucial que représente l’apprentissage continu. Dans une autre mesure, la simplification récente du Compte Personnel de Formation (CPF) et son recentrage autour du salarié, est un autre exemple de mobilisation de fonds publics pour la formation tout au long de la vie. Ainsi que cela soit dans l’intitulé des offres d’emploi, ou dans la multiplicité des fonds disponibles pour se former, tous les signaux pointent dans la même direction : l'apprentissage continu est bien une nécessité, pas un luxe ou un loisir. 

Cette obligation de se former tout au long de sa vie est-elle un poids ou une opportunité ? Bonne nouvelle : c’est une opportunité vecteur de socialisation et de bonheur. 

Deux conditions doivent être réunies afin que les compétences s’ancrent de manière pérenne dans l’esprit des apprenants : la pratique et les interactions sociales. La pratique paraît évidente car l’apprentissage purement théorique ne trouve pas d’application dans le monde du travail. Cependant la dimension sociale, et le fait de pouvoir interagir avec plusieurs personnes passionnées du même sujet est trop souvent sous-estimée. Va-t-on pouvoir apprendre les bases d’un métier en se mettant dans une salle pendant des semaines pour lire des livres, ou regarder des heures de MOOC seul devant son ordinateur ? Sans la possibilité de valider la connaissance à travers des questions et des interactions, il est illusoire de penser que l’on apprend un savoir applicable. De plus, l’opportunité d’expliquer à quelqu’un ce que l’on vient d’apprendre force à articuler un nouveau savoir, et ainsi à mieux l’imprimer dans la mémoire. Se former à un langage de programmation peut se faire seul en ligne, mais cela passera inéluctablement par la consultation de forums d’échanges ou d’aide.

L’essor de la notion de "communauté de pratique" où l’éducation se fait au sein d’un groupe, témoigne de la relation forte entre apprentissage et socialisation. Cette dimension sociale de l’apprentissage des compétences est fondamentale mais aussi très ancienne, puisqu’on la retrouve déjà dans les principes du compagnonnage en Europe il y a plus de huit siècles. Plus récemment, dès les années 1990 les travaux du théoricien de l’éducation Etienne Wenger* renforcent ce lien entre apprentissage et relations sociales avec la définition de "communautés de pratique". L’apprentissage se fait entre des individus qui partagent un même intérêt, interagissent entre eux et partagent un répertoire commun de connaissances. Cela peut se faire en personne dans des locaux lors de formations avec des professeurs, ou virtuellement lors de cours en ligne avec des forums de discussions et/ ou mentors. Dans les deux cas l’apprentissage est lié à la notion d’interaction avec un groupe qui partage un intérêt commun. 

En plus de la socialisation qui découle du processus d’apprentissage, se former apporte une satisfaction personnelle lorsque l’on peut constater ses propres progrès. Le fait de progresser sur un sujet, quel qu’il soit, est un facteur de motivation personnelle et un vecteur de bonheur. Comme un sentiment de fierté que l’on éprouve lorsque l’on arrive à atteindre des objectifs d’apprentissage : modifier une photo grâce à Photoshop, ou écrire un programme informatique dans un nouveau langage. Certes, cette satisfaction personnelle est positive pour le développement de soi, cependant elle est décuplée lorsqu’elle est validée socialement, soit par un document type certification, soit par une validation externe (clients, collègues, pairs, etc.). Le boost de fierté est immense lorsqu’un membre de la famille demande "tu as fait ça tout seul ?", et encore plus grand lorsque l’on obtient un entretien d’embauche suite à une formation professionnelle.

Si le contexte actuel fait de l’apprentissage continu une nécessité absolue, parfois subie, cette dernière peut aussi être un plaisir, une opportunité de socialisation et de développement personnel. En encourageant la formation tout au long de la vie, non seulement nous contribuons à réduire le décalage entre l’offre et la demande de compétences, mais nous créons aussi du lien social et du bonheur. Apprendre est une chance que nous devons continuer à rendre la plus accessible et agréable possible, car c’est aujourd’hui une heureuse nécessité.

*Communities of Practice: Learning, Meaning, And Identity, (1998)