Peut-on (vraiment) devenir développeur en trois mois ?

De nombreux bootcamps tech proposent des formations de trois mois pour devenir développeur. Si ces formations existent, c'est qu'elles répondent à un vrai besoin, pour les candidats et les entreprises.

Trois mois : la promesse paraît trop belle pour être vraie ! C’est pourtant ce que proposent depuis 10 ans de nombreux bootcamps tech qui forment des milliers d’individus aux métiers de la tech les plus en tension, tels que développeur web, data scientist, UX designer, product manager, analyste cybersécurité… Dans un contexte où l’Institut Montaigne prévoit plus de 845 000 nouveaux emplois dans la tech d’ici 2030, les formations initiales classiques ne peuvent tout simplement pas répondre à la demande des employeurs de tous les secteurs. En formation initiale, les écoles d’ingénieurs prennent 5 ans pour former leurs étudiants. Alors qu’en est-il ? Ces formations vendent-elles le mirage d’opportunités économiques ou permettent-elles réellement d’apprendre un nouveau métier technique en seulement trois mois ? 

Un investissement en travail et en motivation conséquent

Disons-le d’emblée : se former à un nouveau métier requiert toujours une somme importante de travail, a fortiori pour un domaine technique comme le développement web. Quelle que soit l’école retenue, le message sera généralement le suivant : une formation en bootcamp se fait à temps plein, et exige un investissement personnel à la hauteur. En clair, il faudra réviser le soir, pratiquer régulièrement les nouvelles compétences sur un projet en fil rouge, et réduire considérablement sa vie sociale les fins de semaine. En termes de volume horaire, on parle donc de plus de 400 heures de cours dispensés sur campus (ou en ligne, selon les modalités des écoles), en sus des heures de travaux personnels.

Il va de soi qu’avec un tel volume de travail, une solide motivation est de rigueur. Avant de se lancer dans une telle formation, nous recommandons systématiquement de prendre le temps de réfléchir à son projet professionnel et d’en définir les motivations profondes. Pourquoi souhaitez-vous vous former au développement web ? Est-ce par un besoin de nouveau sens à votre carrière ou parce que c’est le métier de votre cousin qui gagne bien sa vie ? Est-ce un domaine qui vous stimule par son évolution et son innovation constante ou est-ce simplement une formation que votre conseiller Pôle Emploi vous a suggérée ? 

Si ces bootcamps ne requièrent pas de compétences techniques préalables (au-delà de la maîtrise fondamentale des outils bureautiques), certaines écoles à l’instar de General Assembly, où j’ai longtemps travaillé, n’hésitent pas à demander la complétion d’un pre-work (cours préalable) d’une quarantaine d’heures. Cela présente le double avantage de vous mettre à niveau avant le début de la formation, tout en testant votre motivation à compléter un parcours de 40 heures. Si vous ne le faites pas, il y a peu de chances que vous alliez au bout de 400 heures !

Alors, peut-on devenir développeur en 3 mois ? Oui assurément, mais cela ne signifie en rien que l’on maîtrise le développement web. Cela permet de se faire embaucher à un niveau junior pour continuer son apprentissage. Cela fait 10 ans que le modèle des bootcamps s’est développé, avec des acteurs comme General Assembly aux Etats-Unis, ou comme Le Wagon, Ironhack, Wild Code School en France. Et s’ils existent, c’est qu’ils répondent à un besoin à la fois des candidats, mais aussi des employeurs. Avec un taux d’employabilité qui dépasse souvent les 80% dans les 6 mois, les bootcamps proposent un modèle alternatif de recrutement pour répondre à la pénurie des talents tech qui ne fait que croître avec les années. En France, c’est plus de 50 000 alumni de ces écoles que l’on retrouve sur LinkedIn et qui exercent dans le domaine de la tech !

Une culture du diplôme qui reste forte en France

Au cours de mon parcours professionnel, j’ai travaillé à Londres pour un bootcamp américain. C’était fascinant de voir que les différences culturelles entre la France et le monde anglo-saxon ne sont pas un mythe : j’ai pu côtoyer de nombreux collègues dont la formation initiale avait peu à voir avec le poste qu’ils occupaient, et ce sans compter les milliers d’individus (infirmières, chauffeurs VTC, juristes, etc) qui réinventaient leurs carrières dans la tech grâce à nos formations. En clair, dans un monde en perpétuel mouvement, je défendais -et continue de défendre- l’idée que la compétence doit primer sur le diplôme. 

Cette idée progresse en France. Il y a quelques années, Pôle Emploi commençait à remarquer que pour 59% des employeurs, le diplôme n’était pas un critère essentiel. Pourtant, il subsiste en France une forte culture du diplôme qui détermine encore largement l’accès à certaines professions en fonction de la formation initiale. Je me rappelle de ce rendez-vous que j’avais eu avec le CIO d’un grand groupe français, qui devait à la fois gérer un plan social et recruter des centaines de développeurs pour ses équipes. Alors que je lui proposais un plan pour apporter des compétences à ses salariés à risque vers les métiers visés, et ainsi éviter les doubles coûts de licenciement et de recrutement, il a vite coupé court à ma proposition : “Vous êtes gentil Monsieur Pinet, mais ça prend 5 ans pour former des développeurs, pas trois mois”. Lui-même était ingénieur, et souhaitait manifestement ne recruter que des ingénieurs… 

Ce n’est donc pas une surprise si de nombreux apprenants en sortie de bootcamp en France peinent à décrocher des entretiens. Face à cette problématique, ma startup, Go Fenix a publié dans Les Echos une étude sur les startups qui recrutent le plus de profils en reconversion. En analysant plus de 1500 profils issus des principaux bootcamps en France, nous avons recensé quelles startups parmi le French Tech 120, à l’image de Doctolib, Leboncoin et ManoMano, avaient effectué le plus de recrutements de ces profils. 

Ce que ces données nous enseignent, c’est que les startups en croissance sont plus enclines à choisir la compétence plutôt que le diplôme. Ayant des équipes plus structurées avec des leaders senior, elles peuvent recruter des profils en reconversion et les faire monter en compétences. Cela leur permet de diversifier leurs canaux de recrutement pour répondre à leurs besoins humains.

Une formation qui ne s’arrête pas au bout de 3 mois

Alors, est-ce à dire qu’une formation de trois mois suffit pour être développeur ? Je posais la question récemment Olivier Bazin, le CTO de l’ESN Wishow, lors d’une récente interview (“L'atout de la reconversion est d'être un parcours choisi”), et il me partageait que cela dépend de la définition que l’on mettait à “apprendre à coder”. Selon lui, trois mois permettent largement de maîtriser les bases de l’algorithmique d’un langage de programmation, d’en comprendre les bonnes pratiques et de pouvoir échanger avec d’autres développeurs. Et sur cette base, on peut tout à fait prétendre à un rôle de développeur junior en entreprise. Cela étant, il estime qu’il faut au moins 9 mois d’expérience pratique, à coder sur divers projets, pour être pleinement opérationnel dans ce rôle.

La clé pour progresser ? Ne jamais cesser d’apprendre et de se former. Même les développeurs expérimentés doivent mettre à jour leurs connaissances face à l’émergence de nouvelles technologies ou de nouveaux frameworks de langage. Pour un profil junior, il est donc recommandé de pratiquer sans cesse, et de chercher des feedbacks en continu, auprès de ses collègues ou dans les communautés dédiées aux développeurs. Avoir un portfolio sur Github permet de solliciter des profils expérimentés et d’avoir des retours précis et constructifs sur sa production de code.

Au final, ce qui est à retenir, c’est que loin d’être la promesse d’une carrière “facile” que l’on peut obtenir en seulement un trimestre, c’est un parcours exigeant qui demande un véritable investissement personnel. Pour autant, c’est un métier qui est effectivement accessible en trois mois, et cette temporalité n’est pas anodine : dans un contexte où plus d'un Français sur deux envisagent une reconversion professionnelle, proposer des formations courtes (mais intenses) répond à un réel besoin économique, tant pour les candidats, pour retrouver des revenus le plus rapidement, que pour les entreprises, qui devront tôt ou tard accepter que les compétences vont primer de plus en plus sur les diplômes.