Job van der Voort (Cofondateur et CEO de Remote) "La pénurie de talents va s'accentuer et devrait stimuler l'adoption du travail à distance"

Persuadé que le télétravail est parti pour durer, le cofondateur et CEO de Remote.com veut développer ses services RH pour aider les entreprises au travail à distance. Il nous explique comment.

JDN. Comment est né le concept de Remote ?

Job van der Voort est le cofondateur et CEO de Remote.com. © Remote

Job van der Voort. L'idée de Remote est née après mon départ de GitLab, une entreprise "fully remote" où j'ai occupé le rôle de vice-président produit.  Pendant cette période, j'ai eu l'occasion d'embaucher beaucoup de collaborateurs en distanciel. Il n'existait cependant aucune solution nous permettant de recruter, gérer et payer facilement ces collaborateurs, tout en restant en conformité avec la législation locale . Ma conviction est que cette tendance du travail en distanciel va perdurer et que les entreprises vont continuer à chercher des talents à l'international. Nous avons donc créé Remote en 2019, une plateforme RH qui facilite l'embauche et la gestion de la paie des collaborateurs et freelances des entreprises distribuées. L'entreprise compte des clients dans 80 pays.

Comment facilitez-vous le recrutement de collaborateurs à travers le monde ?

D'abord en rendant possible les recrutements dans des pays où une entreprise n'a pas d'entité juridique. Nous disposons de structures dans un grand nombre de pays, de sorte que nous pouvons embaucher un collaborateur à la place d'une entreprise. Nous pouvons ensuite gérer la paie dans la devise locale et ainsi que différents avantages. Si une entreprise dispose d'une structure juridique dans le pays en question, elle peut également utiliser Remote comme outil de gestion RH. Notre plateforme couvre aussi bien les besoins des petites start-up jusqu'à ceux des multinationales. Nous comptons aujourd'hui plusieurs milliers de clients dans des secteurs très variés. Parmi eux, je peux citer Burger King, Loom ou encore Doordash.

Les nouvelles recrues deviennent alors des employés de Remote ?

Oui, à travers un système appelé "employer of record" (EOR). Imaginons que vous êtes une entreprise française et que vous souhaitez embaucher quelqu'un en Inde. Dans des circonstances normales, vous devriez ouvrir une entité en Inde, puis vous renseigner sur les lois locales, le fonctionnement de la paie, etc. Sur Remote.com, il suffit de remplir les informations concernant ce futur collaborateur que nous pourrons ensuite employer par l'intermédiaire de notre entité Remote India. Nous garantissons ensuite la conformité du processus de recrutement et nous nous occupons de le rémunérer. Nous faisons ainsi gagner un temps précieux aux entreprises tout en leur garantissant d'être toujours en conformité avec la législation locale.

Outre cette solution liée au recrutement, quels sont les autres services proposés ?

Remote permet de gérer l'ensemble des besoins RH avec un seul outil. Certaines entreprises nous utilisent en complément de leur outil RH et d'autres comme leur plateforme principale pour gérer l'intégralité de leurs processus RH. Cela inclut tous les autres avantages légaux et complémentaires que vous souhaitez proposer : assurance santé, épargne salariale et stock options, etc. Nous disposons d'une expertise locale dans un grand nombre de pays, nous permettant d'accompagner les entreprises sur des questions fiscales, comme le montant d'impôts à payer, les déductions pouvant être opérées, etc. Nous conseillons les entreprises sur ce qu'elles peuvent faire ou pas. Nous pouvons aussi les aider à créer leurs programmes d'attribution de stock d'actions.

Une autre fonctionnalité importante de Remote consiste à faciliter l'embauche de personnes en statut freelance. Que proposez-vous concrètement ?

Nous facilitons en effet l'embauche de freelances indépendants dans 170 pays. Le premier avantage est que nous réduisons ou éliminons les frais liés aux virements bancaires et à la conversion de devises. Nos partenariats avec les banques locales et nos intégrations avec différents systèmes de paiement nous permettent d'effectuer des paiements dans presque toutes les devises. Un employeur avec des milliers de freelances peut ainsi les payer de manière automatisée, sans avoir à se soucier de la gestion des coûts liés aux transferts.

Notre deuxième argument est la gestion des contrats dont nous assurons la conformité. Nos experts peuvent par exemple aider les entreprises à éviter une reclassification, ce qui peut arriver si une entreprise embauche un freelances qui devrait bénéficier d'un statut d'employé. En conclusion, nous facilitons la vie des employeurs tout en optimisant leur argent, et nous aidons les freelances à être payé en temps et en heure.

Quel est le modèle de revenus et combien facturez-vous ces différents services ?

Nous facturons un abonnement mensuel allant de zéro à environ 600 euros par employé. Le prix va vraiment dépendre des services utilisés. Si vous utilisez uniquement notre outil de gestion RH, nous ne facturons presque rien. Pour la gestion de la rémunération des freelances, nous facturons davantage. Pour notre service "employer of record" où nous employons un collaborateur localement à la place d'une entreprise, nous facturons entre 500 et 600 euros par mois. Notre solution reste l'une des plus abordables du marché. D'autant que nous garantissons à nos clients une intervention humaine, avec un expert qui va systématiquement examiner les dossiers des collaborateurs. Ce n'est pas uniquement de la technologie.

Dans un contexte de pénurie de talents, aidez-vous également les entreprises à trouver des candidats à l'international ?

C'est effectivement un défi pour les entreprises, mais aujourd'hui, nous ne les accompagnons pas dans la recherche de candidats. Nous intervenons une fois que nos clients ont trouvé les candidats qu'ils souhaitent embaucher et qui habitent le plus souvent à l'étranger. Pour l'instant, ce n'est pas quelque chose que nous proposons, mais nous verrons si cela change dans le futur.

Le travail à distance a connu un énorme coup d'accélérateur pendant la crise du Covid mais certaines entreprises exigent désormais un retour au bureau. Quel regard portez-vous sur l'avenir du travail à distance ?

Vous avez souligné la pénurie de talent qui touche certains secteurs et régions. En décidant de ne pas se limiter à une zone spécifique, une entreprise peut recruter des profils talentueux en dehors des certaines zones métropolitaines. Je crois que cette pénurie de talents va s'accentuer et devrait stimuler l'adoption du travail à distance. Certaines entreprises peuvent exiger un retour au bureau, mais cela ne changera pas la dynamique actuelle du marché du travail. De plus, je ne suis pas convaincu qu'il faille faire confiance à des personnes qui travaillent depuis des décennies dans des bureaux pour imaginer le futur du monde du travail. Le travail en distanciel offre plus d'avantages que d'inconvénients même si, bien entendu, tous les métiers ne peuvent pas être réalisés à distance.

Quels seraient vos conseils pour les entreprises qui souhaitent organiser le travail à distance de manière efficace ?

Mon premier conseil est d'être vraiment intentionnel dès le départ à ce sujet. Il ne faut pas hésiter à lire sur ce sujet et à échanger avec des entreprises qui ont déjà effectué cette transition. Car il est très facile de perdre en efficacité si l'organisation du travail est mal pensée. Les méthodes de travail à distance ne doivent pas être une copie conforme à celles du bureau. Une entreprise doit tout repenser et réinventer la manière dont elle fonctionne. Il faut avoir une vision et des attentes claires, adopter les bons outils et créer de nouveaux process. Tout cela n'est pas toujours évident à mettre en place mais c'est une énorme opportunité sur le long terme pour les entreprises. Et c'est la direction actuelle que prend le monde du travail.

Qu'en est-il du rapport humain et des rencontres au travail ?

Se réunir entre collègues est toujours un moment agréable mais je ne pense pas que cela soit indispensable. Ma conviction est que ce qui peut être fait en ligne doit se faire en ligne. Il ne faut jamais être contraint d'attendre une réunion physique pour avancer sur un sujet. C'est pourquoi il est important de rendre l'expérience du travail à distance aussi efficace et optimale que possible. Les réunions en physique doivent permettre de passer du temps ensemble, créer du lien et apprendre à se connaître, sans forcément travailler sur une tâche spécifique.

Par exemple, notre entreprise travaille entièrement à distance. J'habite de mon côté aux Pays-Bas, mon cofondateur est à Lisbonne, notre directeur commercial est à Sydney et notre responsable marketing est à Portland.  Organiser des réunions en physique est toujours plus amusant et nous essayons de le faire de temps à autre. Mais cela a aussi un coût et nous fait perdre en flexibilité.

Comment voyez-vous Remote évoluer dans les années à venir ?

Nous voulons continuer à intégrer davantage de services RH, que ce soit pour gérer la paie, les congés, etc. Ce marché représente plusieurs milliards de dollars. Remote est aujourd'hui une entreprise parmi les mieux positionnées pour pouvoir fournir ces services à une échelle mondiale. Nous avons récemment annoncé notre partenariat avec Gusto, leader dans les solutions de gestion RH et de paie aux US, pour créer Gusto Global. En utilisant notre API, Gusto va ainsi pouvoir assurer la gestion de la paie à travers le monde pour ses nombreux clients. Nous voulons développer davantage ce type de partenariats afin d'apporter notre infrastructure et notre expertise à d'autres entreprises qui pourront l'intégrer dans leurs propres produits.

Remote a levé 300 millions de dollars via une Serie C en avril 2022 auprès de SoftBank Vision Fund 2, Accel, Sequoia ou encore Index Ventures dans un contexte économique difficile. Une entrée en bourse est-elle prévue ?

Nous sommes actuellement en phase de croissance et nous disposons encore d'argent en banque car nous ne dépensons pas beaucoup. Nous ne prévoyons donc pas de lever à nouveau des fonds à court terme. Une introduction en bourse est une étape que nous franchirons dans les prochaines années mais je ne sais vraiment pas quand. Remote a déjà bien grandi puisque nous sommes passés de 50 salariés en 2021 à 650 aujourd'hui, et nous serons à 1 100 à la fin de l'année, tous en distanciel. Notre mission pour les années à venir est claire : aider les entreprises de l'ère moderne à se développer à l'international en facilitant le recrutement. Cela aura pour effet d'aider les individus partout dans le monde à accéder à de nouvelles opportunités d'emploi et ainsi développer leurs carrières.

Job van der Voort est le cofondateur et le CEO de Remote. Auparavant, et après quelques années passées dans le monde universitaire en tant que neuroscientifique, il a occupé le poste de vice-président produits chez GitLab, la plus grande entreprise mondiale opérant exclusivement à distance. Il a contribué à agrandir les équipes de l'organisation en embauchant des personnes dans 67 pays différents. Il est diplômé d'un master en neurosciences de l'université d'Amsterdam.