Souffrez-vous d'énantiodromie ?

« Il n'y a rien dont l'exécution est plus difficile ou la réussite plus douteuse ou le maniement plus dangereux que l'instauration d'un nouvel ordre des choses. » (Machiavel).

Rêvez du Paradis, vous aurez l’Enfer. Le monde nous paraît simple. Mais il ne l’est pas. C’est cette apparente simplicité qui le rend kafkaïen. Une introduction à la systémique. 

Enantiodromie

On construit un gigantesque hangar pour protéger de gigantesques fusées des intempéries. Il pleut dans le hangar ! Un microclimat est apparu.
Exemple d’énantiodromie. Lorsque l’on va trop fort dans une direction, on obtient l’inverse de ce que l’on voulait. L’énantiodromie est la maladie de la pensée théorique, de l’idéologie et du changement.
C’est ainsi que le libéralisme thatchérien a produit une bureaucratie qu’un biographe compare à celle de Lénine. Il va jusqu’à qualifier les membres de son ministère des finances « d’énarques » ! Du laisser-faire ne sort pas le meilleur, mais la mauvaise herbe du jardin à l’abandon. Du contrat américain qui veut tout prévoir résulte l’irresponsabilité. De même que le « fais-ci, fais pas ça… » de la mère qui veut le bien de son enfant. Ou, encore, du Taylorisme et de sa « seule bonne solution ». La plupart des calamités qui se sont abattues sur l’homme, en particulier les épidémies, proviennent de ce qu’il a voulu nier la nature. Le rapport du Club de Rome sur les limites à la croissance ne dit pas autre chose.
D’ailleurs, la physique constate que vouloir l’ultime précision donne l’ultime imprécision !

Nous vivons dans des systèmes

L’énantiodromie est la propriété des systèmes. Le système est « quelque chose » qui défend des fonctions vitales.
Exemple ? Le thermostat. Les machines sont des systèmes. Mais surtout, vie = système. A commencer par l’homme, système de contrôle d’une multitude de paramètres : température, pulsions cardiaques... Autre système : l’entreprise et sa rentabilité impérative, et tous ses contrôles, qualité, de gestion, etc. Mais aussi la Terre : avez-vous remarqué que la composition de l’air est strictement constante, sans quoi nous mourrions ?

Si notre vie est un cauchemar, c’est la faute des systèmes

Le système est donc une résistance au changement institutionnalisée. Quand vous voulez modifier un système, il réagit. C’est l’énantiodromie.
Et cela produit des cercles vicieux. La pensée humaine est linéaire. « Travailler plus pour gagner plus ». Pour l’homme, toute conséquence résulte d’une cause.
Il attribue donc l’échec de ses plans à un coupable. D’où guerre entre Israéliens et Palestiniens, Allemands et Français, déflation et politique de rigueur, couples qui se déchirent… Les malheurs du monde, de la nation, de l’entreprise, de la famille… viennent de là.
Et si la cause des mauvaises notes de votre fils, c’était vous ? Et si vous deviez faire le contraire de ce que vous faites ? Idée centrale de la systémique : nous confondons la cause et la conséquence.

Le comportement collectif comme mécanisme d’autocontrôle

Principe d’une entreprise innovante ? Utiliser au mieux ses ressources rares : sa recherche. Pour cela, elle concentre son talent sur ce qui lui rapporte le plus. Imaginons que, un jour, elle n’arrive plus à trouver des idées suffisamment rentables. Continuant à refuser ce qui ne « rapporte rien », elle s’arrêtera de produire. Elle s’effondrera sous ses coûts fixes.
Si vous suivez un cours de management, on vous donnera peut-être un « business case » sur cette question. Votre professeur vous parlera de « marge brute ». L’erreur de l’entreprise ? Ne pas avoir réduit ses coûts fixes.
Mais comment peut-on être aussi bête ? poursuivra-t-il probablement.
Parce que seuls les professeurs obéissent à des règles comptables.
Pour l’entreprise, c’est la combinaison des actions de ses membres qui fait « comme si » elle le faisait. C’est le comportement collectif qui assure l’autocontrôle du système. De même que, dans une ruche, c’est le battement des ailes qui maintient la température.

Le changement est à effet de levier

Dans l’entreprise innovante, chacun se comporte en innovateur, inconsciemment. On n’y vit que d’idées neuves. Dans ces conditions, que produit une réduction « de coûts fixes » ? Une  recherche et développement privée de moyens.
Donc, l’impossibilité de toute innovation. Le médicament a tué le malade.
L’entreprise en difficulté ressemble souvent à une baleine échouée. Il faut la remettre à l’eau. Pas lui dire de marcher, comme le fait l’universitaire.
Ne pas persévérer dans l'erreur. Voilà la clé du succès dans un monde de systèmes. C’est ce que l’on appelle « l’effet de levier ». Le changement bien mené ne coûte rien ! Enfin un bénéfice des systèmes. Il est immense !

Pour en savoir plus

Enantiodromie vient des racines grecques enantios, contre (cf. « anti »), et dromos, course. L’origine du concept se trouve chez Héraclite, et les grandes idées de cette chronique sont de WATZLAWICK, Paul, Les cheveux du baron de Münchhausen, Seuil, 1991. JENKINS, Simon, Thatcher and sons, Penguin, 2007, est à l’origine de mes remarques sur la bureaucratie anglaise.