Il est urgent d'attendre …

Le coronavirus et la crise que nous commençons seulement à vivre ne nous permet pas encore de dessiner un monde meilleur, mais nous invite dans un premier temps à poser les bases d'un nouveau regard sur notre vie.

Nous ne sommes qu’au début de cette crise profonde, sanitaire et économique qui casse subitement le fonctionnement de nos modèles sociétaux et économiques. On voit partout des interventions se multiplier en faveur d’un nouveau monde dans lequel "l’empathie" prédominerait.

C’est un beau projet. Pourtant, il est urgent d’attendre et de prendre le temps de se poser avant de se lancer dans la construction de ce nouveau monde : nous n’avons aucune visibilité sur l’échéance de cette crise, ni sur les conditions de reprise économique. Restons humbles et contentons-nous d’observer ce qui se déroule. Restons simplement attentifs, ce sera déjà beaucoup.

En effet, être observateur pourrait constituer une approche nouvelle pour penser sa vie et son modèle de société en prenant en compte quatre dimensions :

Avec le confinement, la dimension spatiale est modifiée. Nos mouvements sont désormais contraints à un espace très délimité. Il nous faut donc apprendre une certaine forme d’humilité et accepter de ne plus être libre de nos mouvements. C’est un premier pas vers un recentrage de chacun.

Autre conséquence, l’arrêt de presque toute forme de mobilité bouleverse nos modes de vie. Sans avions, trains, voitures, nous découvrons une traduction très concrète du circuit court. Cela représente une puissante opportunité de réflexion autour de notre relation spatiale : avons-nous besoin de tant de mobilité ? Est-ce si pertinent de se déplacer ainsi ? ; cette thématique en appelle d’autres, notamment celle de la relation aux territoires. La tendance dans notre précédente mobilité excessive résidait dans le fait que nous étions devenus des consommateurs de territoires, plutôt que des acteurs sur les territoires.  Nos modèles classiques d’approvisionnement doivent être repensés pour trouver une cohérence. Des critères clés de bon sens comme consommer local, ou encore ancrage territorial ont maintenant un avenir. Et si le critère financier n’était pas le bon indicateur ou en tout cas le seul ?

Deuxième dimension, le temps et notre rapport à lui. C’est une rupture forte que nous avons connue il y a 3 semaines. Nous courrions tous avec force, douleur, plaisir, inconscience vers des objectifs pas toujours durables : argent, réussite, avoir, image sociale. Subitement tout cela s’est arrêté, et nous nous retrouvons à regarder le temps s’égrener lentement, très lentement. Il nous faut accepter cette rupture au temps, et nous réapproprier le temps de ne rien faire, le temps de l’essentiel, le temps de soi. Pour quelle finalité ? Essentiellement afin de se réapproprier le pouvoir de décider quoi faire et quand. En d’autres termes, repréciser les vrais buts de nos vies, et donc notre relation aux autres. 

Troisième dimension, la relation humaine devient un manque exprimé par tous. Expérimenter la solitude, ou se retrouver dans un foyer délimité, vient perturber nos habitudes, et fait naître une nouvelle envie de chacun de veiller aux relations humaines. Cet altruisme est un premier pas vers la conscience articulée autour de "qui suis-je et qui sont les autres". Nous sommes ce que nous sommes, avec notre persona et notre part d’ombre, cela ne changera pas ; simplement nous prenons conscience que notre chemin individuel a pris trop de place dans notre modèle de société, dans notre environnement professionnel. En prendre conscience est énorme, car cela constitue un nouveau fondement : être pleinement acteur de notre société.

Quatrième dimension, la raison d’être. Cette crise nous permet de mieux comprendre la notion de sens dans nos vies. Nous sommes poussés à nous interroger sur notre raison d’être personnelle, mais aussi sur la raison d’être des entreprises et de notre société, qui restent à définir. Cette interrogation est pour nous un premier pas vers la prise en compte de la dimension durable dans nos pensées et nos réalisations. Après ce premier pas, il faudra agir.

En pleine crise, ces quatre enjeux restent compliqués à faire vivre à tout moment ; ils représentent certainement un moyen de définir une première trajectoire. Si chacun de nous avance en ce sens alors la réalisation collective sera possible. Mais pour l’heure, rien n’est encore visible, il est donc urgent d’attendre !