Ensevelis sous le marketing post-coronavirus, les opérateurs d'e-mails saturent
Les campagnes d'e-mails massives et non ciblées des entreprises pour prévenir de la perturbation de leurs services ou rassurer leurs clients détraquent les opérateurs comme La Poste, Free, Orange et SFR.
Le 23 mars, les services de messagerie mail de La Poste sont tombés, restant indisponibles une bonne partie de la journée. Une interruption de service qui fait suite à une précédente panne d'une demi-journée la semaine dernière, comme le confirment les données du site downdetector.fr, qui indexe les rapports de pannes envoyés par les utilisateurs. Comme La Poste, d'autres opérateurs d'e-mail français tels que Free, Orange ou SFR connaissent une saturation de leur réseau, depuis l'annonce par Emmanuel Macron du confinement de la population, le 16 mars.
"Tous les opérateurs français nous disent que leurs messageries sont en train de tomber", s'inquiète Thomas Fontevielle, secrétaire général de Signal Spam, un partenariat public-privé regroupant acteurs privés des messageries et de l'e-mailing, autorités et internautes. La raison de cette saturation selon lui : le torrent de communications déversées par les entreprises au sujet du coronavirus. "On a assisté à une hystérie collective de communication, avec une peur de passer à côté alors que les concurrents communiquent", déplore-t-il.
"Tous les opérateurs français nous disent que leurs messageries sont en train de tomber"
Ainsi, beaucoup d'entreprises ont envoyé des messages à l'intégralité de leurs bases de données, sans aucun ciblage. "En général, elles font confiance à leurs prestataires, les routeurs, chargés de les conseiller sur la stratégie à adopter, explique Thomas Fontevielle. Mais cette-fois-ci, certaines ont estimé que la situation était trop grave et qu'il fallait contacter toute la base mail". Un expert de la délivrabilité des e-mails travaillant chez l'un de ces routeurs, mais qui souhaite garder l'anonymat, confirme cette tendance. "Beaucoup de clients nous contactent pour faire des routages très importants, qu'on appelle full base, pour communiquer des informations sur le coronavirus à leurs clients. D'autres le font sans même nous demander car ils sont autonomes."
Le problème de ces énormes envois, c'est qu'ils portent sur des bases rarement mises à jour, qui comportent de nombreuses vieilles adresses, qui, si inutilisées pendant un certain temps, sont supprimées par les opérateurs. Pour chacune de ces adresses invalides, l'opérateur doit renvoyer un message expliquant qu'elle n'existe pas. Ce qui aggrave la surcharge du réseau et peut le déstabiliser. C'est d'autant plus problématique que cet excès de communication à des fins marketing a des conséquences sur d'autres professionnels prioritaires qui ont créé des adresses pour s'organiser et communiquer à l'heure du confinement et du télétravail. Des professionnels qui connaissent, à leur tour, des interruptions de service. "La moyenne de création quotidienne d'adresses chez La Poste depuis la semaine dernière est à 10 000, contre 3 000 à 5 000 en temps normal. Ce sont principalement des professionnels de santé, des académies, des écoles et des maternelles", affirme Thomas Fontvielle.
Ce regain de communication se conjugue avec une hausse des messages de spam et de phishing de pirates, qui utilisent l'actualité du coronavirus pour arriver à leurs fins, augmentant encore un peu plus les volumes à traiter pour les opérateurs. "Cette saturation, avec des envois mal ciblés, abaisse la vigilance des utilisateurs quant à la cybersécurité", déplore Thomas Fontvielle. "Cela peut également avoir un impact négatif sur le long terme pour les entreprises et la délivrabilité de leurs campagnes", ajoute notre spécialiste du routage d'e-mails. Il précise d'ailleurs que les opérateurs ont commencé à réagir pour protéger leurs réseaux. Selon lui, Orange a, par exemple, baissé le volume de mails que peut envoyer une même adresse IP chaque heure. "Les ressources des opérateurs ne sont pas infinies. Il ne suffit pas de brancher un nouveau serveur pour augmenter les capacités. Ils privilégient donc le trafic des utilisateurs au trafic marketing." Selon un autre professionnel de l'e-mailing, Orange a demandé à certaines entreprises le 25 mars de stopper leurs envois quelques heures pour soulager la congestion de ses serveurs. Si les entreprises ne modèrent pas leur communication, les opérateurs s'en chargeront pour elles.