Sabina Gros (Unify) "Le problème, ce n'est pas que les annonceurs ne reviennent pas… mais qu'ils le font au dernier moment"

Coronavirus, Cnil… La nouvelle patronne de Unify, l'entité qui chapeaute les pure players digitaux du groupe TF1, évoque les défis qui attendent en cette fin d'année Auféminin, Doctissimo et autre Marmiton.

JDN. Le CA d'Unify a reculé de 20% lors des 6 premiers mois de l'année, sous l'effet du coronavirus. Comment voyez-vous la fin de l'année ?

Sabina Gros est directrice général d'Unify. © S. de P. Unify

Sabina Gros. C'est très compliqué de se projeter à ce stade. Tous nos concurrents vous le diront, le comportement des annonceurs a fortement changé. Le problème, ce n'est pas qu'ils ne reviennent pas… mais qu'ils le font au dernier moment. Ils comptent leurs sous et n'appuient sur le bouton qu'à la dernière minute. C'est difficile dans ces circonstances de savoir comment nous allons terminer la fin de l'année. Ça l'est même pour la fin du mois d'octobre, c'est vous dire.

L'année dernière, à la même période, nous étions occupés à faire des arbitrages dans les campagnes, la demande étant très forte, black Friday et période Noël oblige. Cette année, les annonceurs sont plus attentistes même si les prises de briefs sont encore très nombreuses. Nous restons toutefois optimistes car notre modèle hybride nous a permis de limiter la casse durant cette période compliquée. Certes le chiffre d'affaires a reculé de 20%, à l'unisson du reste du marché, mais certaines activités, comme l'e-commerce, l'affiliation ou la production de contenu, se sont bien défendues. L'activité d'affiliation a par exemple crû de 40% sur la période de mars à mai 2020, par rapport à l'année dernière.

Le content commerce a été la planche de salut de certains médias français durant cette crise. C'est donc aussi votre cas ?

C'est évident que le confinement a contribué à démocratiser les usages e-commerce, les gens s'équipant en matériel tech, pour travailler depuis chez eux, par exemple. Des marques comme Aufeminin ou Doctissimo ont profité du savoir-faire du groupe en matière de guides d'achats pour accompagner les lecteurs dans ces nouveaux usages. Sur Doctissimo, vous retrouvez désormais des classements, du type les crèmes hydratantes bio, sur lesquels nous touchons une commission lorsqu'une vente est réalisée.

"Les visiteurs de Marmiton pourront commander les ingrédients d'une recette auprès de commerçants partenaires comme Casino, Franprix et Intermarché"

Un site comme Les Numériques, spécialisé dans le high tech, a élargi son périmètre, en s'ouvrant aux secteurs de l'automobile, du vélo et du bricolage… Et sur Marmiton, notre site culinaire, nous allons bientôt permettre aux internautes de commander les ingrédients d'une recette auprès de commerçants partenaires comme Casino, Franprix et Intermarché grâce à une technologie développée en interne. Cela concernera le drive dans un premier temps puis nous pourrions élargir l'initiative au e-commerce.

La Cnil vient de publier ses recommandations concernant la gestion du consentement. Au programme, quelques petites concessions qui pourraient permettre aux éditeurs de sauver leurs taux de consentement. Qu'en pensez-vous ?

J'en pense qu'il est un peu tôt pour tirer des conclusions. Nous allons travailler avec notre DPO pour bien comprendre ces recommandations et voir les possibilités qui s'offrent à nous. Nous avons des taux d'acceptation très élevés, qui oscillent entre 90 et 95% selon nos sites, et avons conscience qu'ils vont vraisemblablement chuter. Ceci étant dit, je pense que l'enjeu sera de réussir à créer des environnements identifiés et à proposer des services à valeur ajoutée qui inciteront l'internaute à s'enregistrer. Cela peut être de l'envoi de recommandation de contenus ou un affichage personnalisé de sa page. Il faut lui proposer le meilleur deal possible, de façon à ce qu'on soit sur du donnant-donnant. Nous restons confiants sur ce sujet car les internautes sont fidèles à nos sites. 30% de notre audience revient entre 8 et 15 fois par mois chez nous. C'est bien la preuve qu'elle y trouve son compte et que le contenu proposé est pertinent.

Pourquoi ne pas vous appuyer sur MyTF1 et créer un pont d'identification entre votre plateforme VOD et le reste de vos sites, pour permettre aux de gens de s'y loguer sans friction ?

"Nous testons l'affichage d'une interface permettant de recueillir un double consentement, le premier pour MyTF1, le second pour les sites Unify"

La Cnil a bien expliqué qu'un utilisateur qui donne son consentement à un site ne le fait pas pour un autre site du même groupe. Pour respecter cette règle, nous testons l'affichage auprès des utilisateurs de MyTF1 d'une interface permettant de recueillir un double consentement, le premier pour MyTF1, le second pour les sites Unify. C'est lancé depuis fin juillet et cela doit nous permettre de voir si nous réussissons à capitaliser sur l'audience de MyTF1 pour recueillir des volumes significatifs.

Unify passe par Google Ad Manager pour diffuser de la publicité en ligne. Ce dernier a annoncé qu'il ne monétiserait plus le trafic pour lequel les éditeurs n'ont pas le consentement de l'utilisateur à la dépose de cookies. Même pour des publicités non ciblées. Vous attendez-vous à des baisses de revenus ?

Cette annonce est très récente, il est encore compliqué d'estimer les conséquences. D'ailleurs, je note qu'entre ce que Google annonçait vouloir faire au début et ce qui est aujourd'hui proposé avec Limited Ads, il y a du changement. Les choses pourraient donc encore évoluer. Bien sûr, cela ne signifie pas que nous restons les bras croisés. Nous avons annoncé récemment le lancement d'une plateforme data, en partenariat avec Permutiv, pour remédier à la disparition des cookies tiers au sein de navigateurs comme Chrome et Safari.

Cette plateforme d'un nouveau genre nous a permis de multiplier par quatre le volume de certains segments d'audience car elle nous permet de cibler les internautes dont c'est la première visite (contrairement à l'ancien outil qui ne le faisait qu'au bout de 48 heures, voire plus). Elle nous permet également de ne plus être bloqués sur Safari et Mozilla, deux environnements qui excluent les cookies tiers. Ces deux derniers représentant 20 à 50% de notre audience selon les marques, les bénéfices sont évidents. La segmentation et la connaissance de l'audience s'appuient ici sur les informations disponibles via le local storage de l'utilisateur. Cela nous a permis de passer d'un cookie 3d party à un identifiant maison Unify user, exclusivement 1st party.

Sabina Gros est directrice générale France et Europe du pôle de pure players (Doctissimo, Aufeminin, VerticalStation…) du groupe TF1. Elle est, à ce titre, en charge des revenus et des éditeurs. Elle gérait, avant cela, la direction générale de l'agence Carat en France, fonction qu'elle occupait depuis 2017, après avoir intégré le groupe Dentsu Aegis Network. Elle avait rejoint le groupe en 2012 en tant que directrice générale adjointe de l'agence digitale Isobar.