Sacha Morard (Groupe Le Monde) "Le Monde a débranché Google Analytics cet été"

La Cnil considérant désormais illégale l'utilisation de Google Analytics, Le Groupe Le Monde a décidé de s'en séparer, bien aidé par son recours à AT Internet et à la collecte de données first party, nous explique Sacha Morard, CTO groupe.

JDN. Vous avez décidé de ne plus vous servir de Google Analytics (GA) à la suite de la décision de la Cnil de considérer son utilisation non conforme au RGPD. Comment cela s'est-il passé ?

Sacha Morard est le CTO du Groupe Le Monde. © Eleonore Groux

Sacha Morard. Dès que la Cnil a commencé à s'accorder avec d'autres Cnil européennes sur le fait de considérer l'utilisation de GA illégale, nous avons tenté d'en comprendre les raisons. Nous ne savions pas si la décision concernait précisément l'usage que les éditeurs mis en demeure en faisaient ou si c'était l'outil qui était remis en question pour l'ensemble du marché. Nous avons alors demandé et obtenu des clarifications de la Cnil juste avant l'été. Cet échange a été déterminant pour nous. À peine quelques jours plus tard, la Cnil publiait sa clarification, qui était sans appel. Nous avons alors décidé de nous séparer de GA. Nous l'avons fait sereinement car nous prenons très au sérieux la protection des données personnelles de nos lecteurs.

Nous étions donc en juin. Qu'est-ce que cela a impliqué ?

Débrancher un outil d'analytics n'est pas simple à faire. Fort heureusement, pour les études d'audience de tout le groupe, nous n'utilisions pas GA, mais AT Internet, une solution française rachetée récemment par Piano. Cela faisait de nombreuses années que nous utilisions AT Internet, un des premiers outils à avoir été certifiés OJD par l'ACPM. L'arrêt de GA a pris quelques semaines et s'est organisé tranquillement pendant l'été. De plus, cela fait quelques années que le Groupe Le Monde investit dans la collecte de données 1st party. Cela nous permet d'être plus souverains sur la donnée collectée et sur l'usage que nous en faisons. Si toutefois un jour nous devions nous passer de tout autre outil équivalent à un GA, nous aurions toujours ce matelas de sécurité qui est la collecte de données first party. C'est le sens de l'histoire.

"Il n'y a pas qu'AT Internet qui nous mettrait dans la panade si jamais elle venait à être interdite"

Piano est une société américaine. Le fait que GA soit le logiciel d'une société américaine était au cœur de la décision de la Cnil. Ne craignez-vous pas que la même chose se passe avec Piano ?

Je ne spécule pas sur ce que la Cnil va autoriser ou interdire. Je respecterai toujours leur décision. Certes AT Internet, solution certifiée par la Cnil comme consentless, n'est plus une entreprise française. Mais il n'y a pas qu'AT Internet qui nous mettrait dans la panade si jamais elle venait à être interdite. On peut aussi penser à Apple, Android, Microsoft Azure, Google Cloud ou AWS et je peux vous citer des milliers d'autres exemples. J'ose malgré tout espérer que d'ici à ce que la Cnil ait à se prononcer sur AT Internet ou sur n'importe quel autre outil américain, les autorités européennes et américaines auront défini un dispositif légal pour encadrer les transferts de données entre les deux régions. L'Europe et les Etats-Unis le négocient déjà. Il est difficile pour nous, éditeurs du numérique, de naviguer entre ces différentes guerres de territoire. Nous devons garantir aux utilisateurs un traitement et un stockage de leurs données à la hauteur de leur consentement. Pour cela, nous avons besoin d'un cadre légal. J'ai confiance dans le travail que font la Cnil et l'Europe en ce sens. Je pense que nous sommes dans le bon chemin et que nous aurons d'ici la fin de l'année ou au début de l'année prochaine des nouvelles qui nous rassureront tous.

"Je pense que nous aurons d'ici la fin de l'année ou au début de l'année prochaine des nouvelles qui nous rassureront tous"

Si AT Internet faisait déjà le gros du travail, à quoi vous servait GA ?

GA nous servait pour analyser les performances de nos propres campagnes publicitaires de promotion des contenus du Monde sur les différentes plateformes (search, social, etc.). Ce n'était donc pas un usage critique. Aujourd'hui nous nous appuyons sur les données qui nous sont fournies directement par ces différentes plateformes. Beaucoup d'éditeurs se servent de GA pour le brancher notamment à des outils d'activation. Cela n'était pas notre cas parce que nous avons voulu développer notre propre outil de collecte de données 1st party propriétaire. Dans un avenir proche, nos données 1st party nous permettront également de comprendre de manière croisée l'attribution de nos campagnes.