Twitter devient X : derrière le chaos, une véritable stratégie ?

Twitter devient X : derrière le chaos, une véritable stratégie ?

Elon Musk transforme peu à peu l'ex réseau de microblogging pour se rapprocher de la super app qu'il imagine depuis des années. Un pari risqué.

En devenant X, Twitter ne change pas seulement de logo et de nom. Le réseau de microblogging devra à terme devenir une super app, comme le précise Linda Yaccarino, sa directrice générale. "X est l'avenir de l'interactivité illimitée – centrée sur l'audio, la vidéo, la messagerie, les paiements, les opérations bancaires – créant une place de marché mondiale pour les idées, les biens, les services et les opportunités. Propulsé par l'IA, X nous connectera tous d'une manière que nous commençons à peine à imaginer", indique-t-elle dans un tweet publié ce dimanche 23 juillet. Le changement radical de stratégie consistant à transformer Twitter en une "application à tout faire" est donc acté, comme Elon Musk l'avait publiquement déclaré à l'occasion de la nomination de sa nouvelle DG le 12 mai dernier. Mais ce pari est-il réaliste ? Et les mesures annoncées depuis l'arrivée de son nouveau patron, cohérentes ?

Une vision et des actions

Le changement de stratégie est en tout cas cohérent avec la réalité économique du réseau, analyse Arthur Kannas, président de Heaven, agence digitale spécialisée dans les réseaux sociaux. "Twitter perd beaucoup d'argent tous les jours et c'était déjà le cas avant l'arrivée d'Elon Musk, du moins d'après les déclarations de ce dernier. Le modèle publicitaire s'essoufflant il est cohérent que son dirigeant décide de rompre et de changer de stratégie et de modèle", poursuit-il.

Une super app selon le modèle de WeChat en Chine génératrice de revenus issus de l'e-commerce, des services bancaires, des abonnements, du brand content serait ainsi bien moins dépendante de la publicité pure et dure. "Twitter est une entreprise privée, elle n'appartient pas à ses utilisateurs, son patron peut par conséquent prend des décisions fortes", rappelle Arthur Kannas. En mode Elon Musk: il annonce et c'est fait du jour au lendemain. Le nom "X" n'est pas une surprise : Elon Musk adore ce terme, qu'il a déjà employé à de nombreuses reprises. "Pensez au nom historique qu'il voulait donner à PayPal (X justement, ndlr), songez à SpaceX ou encore au modèle X de chez Tesla", ajoute le président de Heaven.

Mais quid de Twitter, une entreprise qui a coûté au patron sulfureux quelques 43 milliards de dollars  et dont il fait disparaître la marque emblématique ? "Depuis toujours, ce n'est pas la marque ni le produit Twitter qui intéresse Elon Musk mais bien sa base conséquente d'utilisateurs et quelques briques technologiques", analyse Jérôme Colin, directeur général média et stratégie chez fifty-five, cabinet de conseil en data marketing. Du moins ce qu'il en reste. "Malgré tous les changements de cap de ces derniers mois les audiences ne partent pas rapidement, c'est un désengagement progressif. Il peut par conséquent encore construire quelque chose de beaucoup plus gros et changer vers un modèle de super app", poursuit-il.

Dans ce cas, cette annonce est-elle la suite logique des nombreuses mesures décidées ces derniers mois, certes pour la plupart annoncées dans le désordre ? On serait tenté de croire que oui. Par exemple, l'introduction "en douce" des Twitter Coins en février dernier et la fin du modèle gratuit de nombreuses fonctionnalités grand public de l'API pourraient être annonciateurs d'une préparation vers l'offre de nombreux nouveaux services payants. De même le lancement le 14 juillet dernier d'un programme de rémunération de créateurs de contenu indique une volonté claire non seulement de relancer la croissance des audiences comme de promouvoir l'essor dans la plateforme du contenu sponsorisé et du branding via les influenceurs et pourquoi pas de la vente de produits en direct. D'autant que les Twitter Coins, s'ils serviront dans un premier temps à gratifier les créateurs, pourraient être utiles aux achats et transfert d'argent demain.

Des faux pas et des embûches

"Le souci, c'est que le patron de Twitter fait tout à l'envers : il annonce sa vision alors que les bases n'y sont pas. Pire, il détruit les fondements pour le faire", s'étonne Nicolas Vanderbiest, fondateur de Saper Vedere, cabinet d'intelligence stratégique spécialisé dans l'analyse des réseaux sociaux. L'expert fait référence à de très nombreux exemples, à commencer par l'annonce toute récente de limitation du nombre de messages privés pouvant être échangés sur Twitter par les non-abonnés. "Comment voulez-vous devenir une app de messagerie dans ces conditions ?", s'interroge-t-il.

Autre exemple, la diffusion ratée par de nombreux problèmes techniques le 24 mai dernier de l'annonce de la candidature de Ron DeSantis à la présidentielle américaine : "C'est un très mauvais signe pour quelqu'un dont l'ambition est de devenir aussi une plateforme de streaming vidéo. Pourtant Twitter avait déjà beaucoup investi dans le streaming – c'était son but de développer le direct."

Enfin, la transformation du certificat Twitter Blue en programme d'abonnement payant ne favorise pas la mise en valeur des créateurs, bien au contraire, estime Nicolas Vanderbiest : "Musk a rendu payant un badge qui avait précisément le rôle de mettre en valeur les personnalités qui avaient pignon sur rue dans le débat public. Aujourd'hui tout le monde est logé à la même enseigne : celle de l'abonnement." 

"Rien de mieux que de partir sur une base d'audiences forte pour construire autre chose"

Et les soucis ne sont pas que ceux du passé. D'autres attendent le dirigeant, qui va devoir dépenser s'il veut réussir son pari. "Pour parvenir à construire sa super app, il lui faudra beaucoup investir en technologie et surtout recruter massivement des professionnels disposant de nouvelles compétences. Or, le patron de Twitter n'est pas tout seul : il a des dettes et des partenaires investisseurs. Son pari est risqué", analyse Jérôme Colin. On peut justement se demander où est la cohérence d'importantes mesures prises ces derniers mois au vu de son objectif. Pourquoi licencier massivement dans ce cas ? Pourquoi recruter une professionnelle venue de la publicité chez un média traditionnel (Linda Yaccarino a passé près de 12 ans de sa vie chez NBCUniversal) alors que le modèle publicitaire est en perte de vitesse ?

Une chose est quasi certaine : la fonction première de Twitter d'agora pour les conversations et débats publics sera sérieusement amoindrie voire totalement vidée de son sens actuel. "C'est un coup dur pour les utilisateurs de Twitter, sans compter que cela brouille sérieusement les pistes pour les marques et les agences pour l'instant. On a presque l'impression, si l'on s'attache au passé, qu'Elon Musk se tire une balle dans le pied en faisant disparaître sa marque. Mais si on regarde au contraire vers le futur, rien de mieux que de partir sur une base d'audiences forte pour construire autre chose. D'autant qu'en étant bien plus petit que les autres plateformes, X aura sans doute moins de difficultés à construire sa super app vis-à-vis des autorités de la concurrence que les plateformes en situation de quasi-monopole, comme Meta", anticipe Arthur Kannas. Organisé ou pas, le pari reste immense.