Plateformes MaaS : le dilemme du partage de la valeur
Si le concept de Mobility as a Service (Maas) n’est pas nouveau en ce qu’il est l’aboutissement logique des évolutions des outils d’information voyageurs, de vente et de billettique observés ces dernières années, il s’impose désormais comme un objectif concret à atteindre pour l’ensemble des acteurs de la mobilité…
Le MaaS vise au report modal de la voiture individuelle vers un mix de services de mobilité alternatifs, publics ou privés, fournis à l’usager final à travers une interface unique. L’enjeu de cette plateforme multimodale et multi-services est ainsi d’apporter souplesse, choix et simplicité d’utilisation pour réussir à concurrencer l’autosolisme sur le plan de la praticité. L’attrait est tel qu’aujourd’hui tous - constructeurs, opérateurs de transport public, compagnons de mobilité, services de mobilité à la demande, gestionnaires de flottes, spécialistes du MaaS, acteurs des infrastructures ou encore collectivités et autorités organisatrices des transports - cherchent à maitriser la relation avec les utilisateurs finaux…
Une technologie en maturation
Pour tendre vers une adoption massive, l’outil MaaS doit permettre aux différents usagers d’un territoire d’accéder facilement, au sein d’un même média, à l’information sur les différentes offres de mobilité disponibles (publiques et privées, partagées et collectives), mais aussi de rechercher les solutions adaptées à leurs besoins (en temps différé ou réel), d’acheter leurs titres de transports (titres monomodaux ou multimodaux, packs…), ainsi que de réaliser leurs déplacements (guidage en temps réel, validation, contrôle de titres…).
Autant de fonctionnalités qu’il est parfois difficile de mettre en œuvre au regard du grand nombre d’acteurs – et par la même occasion de systèmes – entrainant de fait des problématiques d’interfaçage et d’interopérabilité. Mais la technologie semble aujourd’hui prête pour offrir des solutions de mobilité de bout en bout, via une infrastructure IT capable de combiner des modes B2C et B2B, des transports publics et privés, en permettant une expérience fluide pour l’usager. Preuve en est, le MaaS trouve d’ores et déjà des traductions abouties en Europe du Nord notamment Whim à Helsinki ou UbiGo à Göteborg, qui proposent des systèmes très intégrés faisant référence dans le secteur.
En France aussi des systèmes précurseurs de MaaS se sont développés depuis quelques années. Le compte mobilité de Mulhouse s’est par exemple récemment illustré en proposant un compte unique pour voyager sur le réseau urbain et accéder aux services de vélos en libre-service, autopartage et taxis. Une technologie de plus en plus mature donc, dont les différentes parties prenantes souhaitent toutes tirer parti, et ce qu’elles appartiennent à la sphère privée comme publique, tel qu’on le constate à travers l’essor actuel d’appels d’offres publics sur le sujet.
Freins massifs
Bien que les mentalités en matière de déplacements évoluent
progressivement ces dernières années, les individus – et tout particulièrement
les Français – restent encore très attachés à leurs voitures personnelles. Il
faudra donc nécessairement faire preuve de patience avant de pouvoir observer
un report durable des habitudes de transport des individus au profit des outils
MaaS. Mais là n’est pas la seule problématique au développement de ces
plateformes multimodales. La mise en place du MaaS au sein des territoires
nécessite d’articuler trois visions – celle des usagers d’une part, mais aussi
celles des acteurs de la mobilité et des politiques publiques de mobilité –
dont la convergence fait émerger plusieurs défis majeurs :
- S’adapter aux besoins et attentes des usagers et des territoires dans leur diversité (urbains, péri-urbains, ruraux…) en intégrant notamment des offres longues et moyennes distances à l’échelle d’un bassin de mobilité ;
- Assurer une gouvernance efficiente et équilibrée entre les différents opérateurs et les collectivités et/ou autorités organisatrices des transports autour d’un acteur légitime qui se positionnera comme agrégateur ;
- Trouver un modèle économique viable et acceptable pour l’ensemble des opérateurs, dans un contexte de divergence des modèles existants et au sein d’un secteur à faibles marges.
Si le marché de la mobilité était jusqu'ici oligopolistique - les gestionnaires de transport en commun étant les seuls acteurs en présence - l’environnement concurrentiel se complexifie avec l’émergence du MaaS : les différents acteurs étant désormais à la fois concurrents et partenaires. On observe ainsi aujourd’hui de nombreux mouvements stratégiques au sein de la chaîne de valeur. Dans cette nouvelle jungle concurrentielle, la répartition de la valeur entre l’opérateur MaaS et les opérateurs de transports est cruciale pour envisager une intégration pérenne des différents acteurs aux plateformes multimodales. L’opérateur MaaS doit prouver qu’il sera capable de conquérir de nouveaux clients pour chacun des partenaires, notamment lorsque des concurrents coexistent au sein d’une même offre.
Pour maintenir un environnement concurrentiel sain, il est donc préférable d’imaginer une gouvernance articulée autour des Autorités organisatrices des mobilités (AOM) du territoire, capables de jouer le rôle de chef de file du consortium tout en étant légitimes aux yeux de tous pour définir les principes directeurs qui orienteront les services MaaS. Des autorités organisatrices qui devront par ailleurs adopter une approche de co-construction avec l’ensemble des partenaires de l’écosystème, aux business model traditionnels hétérogènes, afin d’imaginer un modèle économique commun et acceptable pour tous.
S’il reste ainsi encore plusieurs conditions à réunir pour permettre le développement pérenne des plateformes MaaS sur les différents territoires, tout porte à croire que ce Graal tant recherché par le secteur de la mobilité se généralisera dans les prochaines années. Et bien que l’on ne puisse garantir - en raison d’un phénomène de rationalisation des offres présentes sur tout marché en phase de maturation - que l’ensemble des acteurs en présence perdureront à long terme, ces plateformes uniques constituent bel et bien une promesse plus que séduisante pour les usagers, facilitant leurs déplacements au quotidien via des moyens davantage en phase avec les enjeux environnementaux actuels.