Antoine Bluy (Lime) "L'objectif de Lime est de déployer 2 000 vélos Jump à Paris à la rentrée"
Le responsable des opérations en France de l'opérateur de trottinettes Lime revient sur ses performances depuis le déconfinement et sur le rachat à Uber des vélos Jump, redéployés à Paris mi-juillet.
JDN. Lime a-t-il récupéré en France ses volumes de trajets d'avant le confinement ?
Antoine Bluy. Nous avons même des volumes supérieurs à avant le confinement. En comparaison avec la même période l'année dernière, les mois de juin et le mois de juillet en cours sont encore légèrement en-deçà des volumes de trajets de l'année dernière, mais nous y sommes presque. Nous constatons aussi que nos trajets sont aujourd'hui 20 à 25% plus longs qu'avant. Ce qui indique un report modal de trajets que l'on réalise aujourd'hui en trottinettes, alors qu'ils se faisaient auparavant via d'autres moyens de transport. Ces trajets plus longs n'améliorent pas forcément nos marges, car les batteries sont davantage utilisées, mais ils font grossir notre chiffre d'affaires.
Vous inquiétez-vous de l'absence de touristes étrangers en France cet été ?
C'est la première fois que nous réaliserons un été sans touristes internationaux. En moyenne sur toute l'année en France, ils représentent 20 à 25% de nos trajets. C'est encore plus l'été, a fortiori à Paris. Pour l'instant, au 20 juillet, nous ne constatons pas de décroissance de l'activité.
Vous avez annoncé en juin l'acquisition de Jump, la filiale de vélos électriques partagés d'Uber, et un investissement de ce dernier dans Lime. En échange de ces fonds, votre mandat est-il d'assainir Jump pour qu'Uber vous rachète par la suite ?
"Nos trajets sont 20 à 25% plus longs qu'avant le confinement"
Ces deux opérations sont concomitantes, mais n'ont rien à avoir. D'un côté, il y a cette levée de fonds de 170 millions de dollars, dont la moitié est apportée par Uber. Et de l'autre le rachat de Jump par Lime. Nous sommes sur un marché en consolidation, ce mouvement avait déjà commencé au début de l'année avec le rachat de Circ par Bird. C'est un signal fort au marché et un pas de plus vers notre vision d'une application de mobilités multimodale. Notre mandat est de réussir à opérer cette activité de manière durable et rentable.
Ce rachat est-il aussi une manière de continuer à monétiser vos utilisateurs avec les vélos dans les villes ou vous perdrez des appels d'offres sur les trottinettes ?
On peut le voir comme ça. Mais c'est aussi une manière de diversifier notre offre avec un outil de plus, a fortiori en France et à Paris, où les trottinettes font face à des contraintes particulières. Cela permet aussi de varier les profils d'utilisateurs, qui ne sont pas les mêmes.
Puisqu'ils sont moins encadrés et moins concurrentiels, les vélos électriques ont-ils un meilleur potentiel de croissance que les trottinettes ?
Personnellement, je ne le pense pas. Il existe déjà de nombreuses solutions de vélos. Entre les services municipaux et la première vague de vélos mécaniques Ofo et Mobike, sur 100 personnes susceptibles d'utiliser un vélo, 80 l'ont déjà fait. Alors que la trottinette était encore confidentielle il y a trois ans. Pour moi, elle a donc un potentiel de développement largement supérieur.
Avez-vous récupéré les employés de Jump au moment de l'acquisition ?
"L'autorisation que la mairie de Paris nous a accordée nous limite à 2 000 vélos"
Aujourd'hui, 100% des équipes de maintenance et de réparation sont des anciens de Jump, certains employés directement, d'autres en interim via Adecco. Quant aux salariés du bureau de Jump, nous leurs avons tous proposé de venir travailler pour Lime aux mêmes conditions salariales. Ils avaient aussi l'option de partir avec un package de départ proposé par Jump. Pour le cas de Paris, la quasi-totalité des équipes de bureau sont parties.
Où en êtes-vous des intégrations mutuelles de vos services avec Uber ?
Pour l'instant, tout reste séparé : nos trottinettes sont seulement sur l'appli Lime, et Jump est uniquement disponible depuis l'appli Uber. D'ici début août, les vélos de Jump apparaîtront sur Lime et nous avons pour objectif d'intégrer les trottinettes de Lime à Uber pour la rentrée.
Début juin, vous avez retiré pendant un mois et demi toute la flotte Jump, alors qu'il s'agit d'un des meilleurs moments de l'année et qu'il y avait de la demande pour des solutions de transport alternatives aux transports en commun permettant la distanciation sociale. Pourquoi ?
C'était d'abord une question d'autorisation. Puisque l'activité avait changé de propriétaires, nous devions demander une nouvelle autorisation au nom de Lime, même si Uber en possédait déjà une. Il nous a aussi fallu gérer la transition vers nos équipes et nos systèmes informatiques, ainsi que ramener tous les vélos en entrepôt pour les compter et les redéployer.
Le 15 juillet, Lime a relancé Jump à Paris, avec une flotte de 500 vélos, alors que Jump en avait déployé près de 5 000 avant son retrait début juin. Pourquoi si peu ?
"L'augmentation des prix fait partie de nos pistes de réflexion"
La nouvelle autorisation que la mairie nous a accordée, et qui est valable jusqu'à la fin de l'année, nous limite à 2 000 appareils. Et de toute façon, nous sommes encore en phase d'apprentissage et de rodage sur les vélos. Il est très facile de déployer 5 000 vélos. Ce qui est plus difficile, c'est d'entretenir et recharger 5 000 vélos. Nous y allons donc doucement. Notre objectif est de monter progressivement à 2 000 vélos à la rentrée.
Uber n'a pas réussi à rentabiliser de cette activité, encore plus complexe et onéreuse que les trottinettes. Comment-comptez-vous y arriver ?
En termes de chiffres d'affaires, les vélos Jump étaient très utilisés. Mais le problème était la recharge : la flotte était trop grosse pour réussir à recharger tous les vélos avant que les batteries ne tombent à plat. Ce qui pouvait provoquer leur perte puisque le signal GPS disparaissait, ou simplement faire perdre des opportunités de trajets. Nous allons donc devoir optimiser les opérations pour recharger le bon vélo au bon endroit et au bon moment. Nous pouvons aussi effectuer des économies avec des pièces détachées plus durables. Enfin, nous pensons être capables d'améliorer la productivité de la maintenance, grâce à un outil informatique de création de tâches en atelier, et une appli qui optimise les trajets des équipes qui changent les batteries en vélo-cargo.
Toutes ces petites améliorations mises bout à bout vont assainir la structure de coûts, sans compter les synergies et économies d'échelle potentielles en mutualisant toutes ces opérations entre nos trottinettes et les vélos Jump. Nous allons aussi étudier la question du prix des courses pendant que nous avançons sur ces autres sujets. Rien n'est arrêté pour l'instant, mais l'augmentation des prix fait partie de nos pistes de réflexion.
Prévoyez-vous d'étendre Jump au-delà de Paris ?
SI nous arrivons à trouver un modèle économique à Paris, l'objectif sera ensuite de proposer le service le plus largement possible.