La seconde vie des batteries : un enjeu de sobriété

Avec l'électrification de nos modes de vie, le nombre de batteries est en constante augmentation. Pour limiter leur impact, il est de temps de réfléchir à leur seconde vie.

Cela fait 10 ans que la part de la voiture électrique ne cesse de croître sur le marché automobile. 10 ans, c’est aussi l’espérance de vie moyenne des batteries. Alors que les deux tiers de l'empreinte environnementale d'une batterie surviennent aux impondérables phases de production et de fin de vie, il est temps de parler d'espérance de vieS au pluriel pour allonger leur durée d'utilisation et ainsi, tenir les promesses de réduction d'impact. Pour reculer l’inéluctable moment du recyclage et dépasser le schéma production/destruction, l’option du réemploi doit être considérée à sa juste valeur. Un schéma qui, pour être crédible, appelle à une gestion plus éclairée de la première vie des batteries, et un fléchage adapté en seconde vie.

Entre 2015 et 2023, la capacité installée de batteries lithium-ion dans le monde est passée de 75 GWh à un peu plus de 1 000 GWh (S&P Global market outlook). Une tendance qui n’est pas prête de s’enrayer, comme le souligne l’agence internationale de l’énergie, qui estime qu’entre 2019 et 2030 nos besoins seront multipliés par 17. Or, si elles apparaissent aujourd'hui comme solution de premier plan pour assurer la transition énergétique de nos sociétés, leur impact sur l’environnement n’est pas neutre. L'extraction et l’exploitation des matériaux utilisés pour les fabriquer - lithium,  cobalt, nickel, … - présentent des risques pour l’environnement et la santé humaine (destruction des écosystèmes, épuisement des ressources, contamination de l’eau, pollution …). 

Une situation qui interroge également sur l’avenir, lorsque ces batteries d’aujourd’hui fabriquées en masse seront demain déclarées hors d’usage. Paul Anderson, professeur d’éléments stratégiques et de durabilité des matériaux à l'Université de Birmingham, redoute même une “bombe à batteries” d’ici 10 à 15 ans.

Les limites du recyclage

Par essence, le recyclage se circonscrit à une logique consumériste : tri, démantèlement, sélection des matériaux réutilisables… et re-production (en intégrant également des nouveaux matériaux) ! 

Dans le cas des batteries, cette logique est encore plus forte, car seul en moyenne 60% du poids d’une batterie est aujourd’hui recyclé, selon un processus complexe et lui-même énergivore (e.g étape de pyrométallurgie), principalement pour récupérer les matériaux rares au prix fluctuant.

Le recyclage, c’est donc déconstruire pour reconstruire. Or, la véritable problématique de la sobriété est de réussir à maximiser l’existant, sans mobiliser de ressources additionnelles. 

Une multiplication des projets de seconde vie

De manière générale, les batteries sont considérées “en fin de vie” lorsqu’il leur reste autour de 70% de capacité disponible. Si ces 70% ne sont plus suffisants pour l’utilisation initiale, ils le sont en revanche souvent pour d’autres cas d’usage. C’est alors que débute leur seconde vie. 

De nombreuses solutions visant leur réemploi sont déjà en cours de développement et les possibilités à explorer sont multiples.

Parmi les exemples les plus marquants, il faut citer la Johan Cruijff Arena, stade de l’équipe de football de l’Ajax Amsterdam. Dans cette enceinte, 150 anciennes batteries de Nissan Leaf sont utilisées pour stocker l’énergie générée par 4 200 panneaux solaires installés sur le toit. Le dispositif est capable de délivrer jusqu’à 3 MWh, énergie permettant d’alimenter 7000 foyers d’Amsterdam pendant une heure.

Autre illustration, celle de Toyota. En pionnier de la mobilité électrique, le constructeur a lancé un plan de reconversion des batteries de ses véhicules hybrides et électriques. Avec ce dispositif, la firme nippone est l’une des premières à avoir fait le pari du stockage d’énergie à grande échelle sur batteries de seconde vie. Ce premier projet mené dans la centrale électrique de Yokkaichi permet d’ores et déjà de fournir une puissance de 485 kW. À terme, le géant de l’automobile espère pouvoir fournir 100 MWh aux habitants des villes japonaises.

Pas de seconde vie, sans une gestion précise de la première

Il serait naïf de considérer la seconde vie comme une recette miracle dénuée de tout risque. 
Sans analyse préalable de l’état de santé des batteries de réemploi, les gestionnaires de parc s’exposent à des complications. En 2022, un acteur japonais opérant un système de stockage d’énergie de 1MWh composé d’anciennes batteries de bus pour alimenter une usine pendant les pics de consommation d’électricité journaliers a ainsi été confronté à d’importants problèmes de performances. La cause ? De nombreux déséquilibres provoqués par des batteries provenant d’usages différents et manquant d'homogénéité.

Pour limiter ce risque, il est primordial d’établir régulièrement un diagnostic précis de l’état des batteries au cours de leur première vie, à la fois en matière de performance et de sécurité. L’objectif est double: non seulement permettre de déclarer la fin de la première vie au bon moment (les fameux 70% mentionnés plus haut par exemple), mais également connaître précisément ce qu’elles sont encore capables de délivrer à ce moment pour les flécher vers le bon second usage. Avec une telle stratégie, les batteries sont revalorisées au bon niveau, et assemblées intelligemment en packs présentant des niveaux de vieillissement similaires. Une manière efficace pour le vendeur de valoriser ses anciennes batteries, et à l’acheteur de se prémunir des problèmes.

Malgré tout, les installations composées de batteries de seconde vie nécessitent une attention accrue. Pour s’assurer que leur vieillissement suit une trajectoire homogène, la surveillance doit être régulière, et multi-dimensionnelle (suivre les déséquilibres de cellule, la capacité disponible, les indicateurs de sécurité…)

Plus globalement, la mise en place d’un cadre de sûreté, incluant des tests ainsi qu’un historique d’utilisation, est nécessaire sans quoi le large déploiement du réemploi des batteries ne sera possible. Des discussions sont déjà en cours à l’échelle européenne, notamment via le projet Battery Pass, qui vise à accélérer la mise en œuvre et l’encadrement d’un écosystème de batterie durable et circulaire. 

Si l’on souhaite réussir à conjuguer le tout électrique à un monde plus sobre et économe en ressources, la seconde vie des batteries est un passage obligé. Gageons de prendre le sujet à sa juste mesure. Nous en sortirons tous gagnants. Pour que l’électrification des usages et les batteries remplissent leurs promesses environnementales, nous devons adopter une approche d’optimisation de l’existant. Avant de recycler, cyclons à nouveau !