Pour une vision dépassionnée des cryptomonnaies

Disruptives, polémiques et très critiquées, les cryptomonnaies pourraient cependant être une opportunité pour les banques de mieux connecter avec les besoins clients, notamment sur le sujet stratégique de l'épargne financière.

Depuis quelques mois et la récente explosion des investissements vers les cryptomonnaies, la plupart des institutions et des établissements bancaires ont formulé des prises de position extrêmement offensives à l'égard de ces actifs, à l’échelon national comme international.

En France, cette posture se manifeste par une réticence de certaines banques à réaliser les virements des investisseurs vers les "exchanges" comme Kraken, Binance ou Coinbase, ces plateformes qui vous proposent d’acheter des cryptomonnaies et de les détenir pour vous.

Le choix qui est fait aujourd’hui est donc principalement de décourager ces investissements. Si la position des banques peut se comprendre comme une démarche de protection de leurs épargnants, un chemin plus orienté client est peut-être possible, sans perdre de vue cet objectif de protection.

Haro sur les cryptos

Les arguments mis en avant ne manquent pas pour décrédibiliser les cryptomonnaies auprès des potentiels investisseurs. Ces arguments sont néanmoins vigoureusement contestés par les défenseurs desdites cryptomonnaies, et pas toujours sans pertinence.

Résumons les principales objections et leurs contre-attaques par les crypto-fans :  

  1. Les cryptomonnaies seraient très volatiles. Difficile de contester ce point, et c’est peut-être le seul qui ne sera pas remis en cause par les défenseurs des cryptomonnaies. On observe en effet de fréquentes variations quotidiennes de valorisation de l’ordre de + ou – 20%. Autre point : pas de clôture des cotations à 17h30 ni de fermeture le week-end. Les cours des cryptos sont actifs 24h/24 et 7 jours sur 7, ce qui ajoute au risque de perte potentielle. Vous pouvez ainsi vous réveiller un dimanche matin avec un portefeuille sérieusement amputé si vous avez omis de paramétrer les ordres adéquats.
  2. Les cryptos contribueraient à financer des activités illégales du fait de leur manque de traçabilité. Certaines transactions illicites sur le Darknet ou des opérations classiques de phishing ont effectivement recours à des cryptomonnaies. Cependant les adeptes de Bitcoin aiment à rappeler que les monnaies traditionnelles, notamment sous forme d’espèces, restent les principaux véhicules financiers de la délinquance. En France par exemple, le seul marché des stupéfiants représente chaque année 3,5 milliards d’euros en espèces, avec une traçabilité également contestable.
  3. Les cryptomonnaies seraient un désastre écologique. Là-aussi les contre-arguments fusent. Certains rétorqueront que le minage utilise beaucoup de sources d’énergie qui ne seraient de toute façon pas consommées, d’autres que certaines blockchains (notamment Ethereum) sont en train de prendre un virage écologique avec le passage de la "preuve de travail" à la "preuve d’enjeu".  Avec ce nouveau process, la validation des transactions nécessitera à l’avenir beaucoup moins de puissance de calcul que celle requise aujourd’hui.
  4. Plus directement, les cryptomonnaies ne serviraient tous simplement à rien. A l’heure du sans contact sur mobile, pas vraiment de valeur ajoutée en effet à acheter sa baguette de pain avec des bitcoins. Elles ne constitueraient même pas une réserve de valeur, au regard de leur forte volatilité. Mais il s’agit là d’une vision occidentale, formulée depuis un pays dans lequel l’inflation est mesurée, la monnaie stable, et la confiance dans les institutions financières relativement forte. Comment, à l’inverse, reprocher à un Argentin d’investir dans le Bitcoin quand sa monnaie, le peso argentin, a perdu plus de 30% de sa valeur face au Dollar en 2020 ?

Un engouement à transformer en opportunités pour les établissements bancaires classiques

Au-delà de ces querelles d’arguments, il convient de s’interroger sur ce que cet engouement nous dit des besoins plus profonds des investisseurs. Nous nous intéresserons ici au marché français, les contextes étant en effet fortement différents selon les pays.

Voici donc quelques constats qui pourraient représenter autant d’opportunités pour les acteurs bancaires :

  • Les cryptomonnaies séduisent de nouveaux investisseurs, souvent plus jeunes. Là où il est parfois difficile de parler d’épargne aux jeunes générations, celles-ci se tournent naturellement vers les crypto-actifs. Pour un établissement bancaire, détecter un crypto-investisseur peut être l’occasion de générer une discussion plus large sur l’épargne, avec les atouts et les risques de chacun des types de placements. Une façon de sortir par le haut de la posture d’obstruction systématique lors d’une demande de virement vers une plateforme, comme mentionné plus haut. Le crack actuel constitue d’ailleurs une bonne illustration des risques potentiels, et pourrait permettre de réorienter l’investissement. Et dans le pire des cas, cette discussion permettra d’améliorer la connaissance-client !
  • Les cryptomonnaies ont du sens, et cela peut expliquer une part de leur attractivité. Il s’agit d’un aspect moins connu, mais la vocation principale d’une cryptomonnaie est d’être utilisée dans le cadre d’un projet concret, décrit généralement dans un livre blanc. Les noms de la cryptomonnaie et du projet correspondant sont d’ailleurs souvent confondus. Ainsi VeChain vise à assurer l’authentification de propriété et la traçabilité des biens (application dans le luxe ou la santé). De façon plus ludique, le Chiliz ambitionne de permettre d’investir dans des clubs sportifs de haut niveau. Cette approche thématique nous fait sortir du seul angle spéculatif pour aller sur le terrain affinitaire. L’occasion, une nouvelle fois, pour la banque d’échanger sur les objectifs d’investissements, là où les actions et autres fonds thématiques ont également un rôle à jouer.
  • La fiscalité sur la détention et les plus-values réalisées sur les crypto-actifs n’est pas simple. Là-aussi, le rôle de la Banque peut être de créer du dialogue et d’éclairer sur les obligations et les risques encourus en cas de non-déclaration. Une démarche qui ne peut qu’être appréciée dans un contexte où il n’est pas toujours aisé de remplir les formulaires (les fameux 2042C et 2086), les cas d’usages étant très nombreux, notamment sur le calcul de la plus-value.
  • La sécurité informatique est un enjeu réel avec des risques de pertes de fonds. En cas de hacking de votre compte-client sur une plateforme, il n’est pas évident que vous soyez remboursé. Une même situation avec un acteur bancaire français et l’issue sera sans doute plus favorable au regard de la législation et des obligations de la banque. L’occasion, pour les établissements bancaires, de valoriser auprès de leurs clients les engagements pris en matière de sécurité informatique, notamment en cas de piratage.

Au final, il y a sans doute matière pour les banques à développer un discours moins martial, tout en préservant leurs intérêts et ceux de leurs clients, comme l’a fait récemment Boursorama. La banque en ligne a fait le choix d’intégrer dans son agrégateur bancaire la possibilité de visualiser les fonds détenus sur les plateformes de cryptomonnaies, une approche "crypto-friendly" relativement unique sur le marché, et évidemment bien perçue par les investisseurs concernés.

Il y a quelques années, l’industrie musicale a réussi à lutter contre le piratage le jour où elle a considéré les plateformes P2P non plus comme plus comme de vulgaires hors-la-loi, mais comme des concurrents, ce qui l’a amenée à s’interroger sur les besoins-clients non couverts par les solutions légales. Le résultat fut le développement d’offres résolument orientées client (Spotify, Apple Music ou Deezer). Même si le parallèle est très lointain, il permet de replacer le client au centre du débat. Peut-être un exemple à méditer pour les banques ?