Il vend 15 000 euros une sculpture invisible... et prévoit d'en "fabriquer" d'autres

Il vend 15 000 euros une sculpture invisible... et prévoit d'en "fabriquer" d'autres Un simple carré de ruban au sol sert à délimiter l'œuvre que personne ne peut voir.

14 820 euros. Une somme colossale dépensée pour... du vide. Du vide et un certificat d'authenticité tout de même ! La transaction peut sembler ridicule et pourtant l'acheteur ou l'acheteuse doit en être très heureux. En effet, pour près de 15 000 euros, il ou elle a fait l'acquisition d'une œuvre d'art d'un des artistes les plus côtés d'Italie. Censée être une sculpture, cette œuvre a toutefois la curieuse particularité d'être invisible. Comme on peut s'en douter, il n'existe donc aucune photographie ou vidéo de l'œuvre, si tant est qu'elle existe réellement.

Seules preuves de son existence : un certificat de la célèbre maison d'art milanaise Art Rite, une facture de plusieurs milliers d'euros et un carré blanc, de 1,5 mètre carré, tracé sur le sol pour délimiter l'emplacement théorique de cette "sculpture immatérielle". Estimée à l'origine à 6 000 puis 9 000 euros, l'œuvre baptisée "Io Sono" ("Je suis" en italien) a donc été vendue aux enchères, le 18 mai 2021, pour plus de 5 000 euros supplémentaires. L'artiste derrière ce vide très onéreux est Salvatore Garau, un ancien élève de l'académie des beaux-arts de Florence aujourd'hui âgé de 67 ans.

Pour ce qui est de faire des œuvres avec du vide, l'artiste italien n'en est pas à son coup d'essai. Il avait déjà installé un "Buddha in contemplazione" ("Bouddha en contemplation") sur la grande place devant la Scala de Milan. Là encore l'œuvre était invisible, simplement marquée par un carré de ruban adhésif au sol. À New York, Salvatore Garau avait posé un cerceau sur les pavés devant le Federal Hall National Memorial pour signaler la présence de son "Afrodite piange" ("Aphrodite pleurant"). Une œuvre qui, une fois de plus, ne risque pas de bloquer l'accès au bâtiment...

Toutes ces œuvres invisibles s'inscrivent dans un projet plus global : une collection de 7 œuvres immatérielles. Reste à savoir ce que Salvatore Garau a imaginé pour ces 4 prochaines créations, c'est le cas de le dire "imaginaires". Selon l'artiste, créer une sculpture invisible constitue "la parfaite métaphore de l'époque que nous vivons". "Après tout, ne façonnons-nous pas un Dieu que nous n'avons jamais vu ?" explique-t-il.

Cette démarche artistique, bien qu'elle puisse surprendre le grand public, s'inscrit dans une tradition de l'art contemporain. Le mouvement conceptuel, apparu dans les années 1960, privilégie l'idée et le concept plutôt que l'œuvre matérielle. Les artistes créaient, par exemple, des œuvres sous forme de protocoles ou d'instructions, permettant à chacun de reproduire l'acte artistique. Dès 1958, Yves Klein, célèbre pour son "bleu Klein", avait organisé des expositions d'œuvres invisibles, ouvrant la voie à cette forme d'expression. En 2005, le Centre Pompidou à Paris avait accueilli le "Labyrinthe invisible" de l'artiste danois Jeppe Hein, et quatre ans plus tard, l'institution parisienne consacrait une exposition rétrospective aux salles vides dans l'art contemporain.