Snapchat, nouveau terrain de jeu et d'expérimentations des médias français
20 Minutes, Le Figaro et Le Parisien ont investi l’application de partages de photos éphémères. Contenus postés et audiences réalisées, le JDN fait le point.
Le Figaro, Le Parisien, 20 Minutes… Les principaux quotidiens français n'ont pas attendu que Snapchat leur ouvre sa rubrique Discover pour investir le terrain de l'application de partage de photos et vidéos éphémères. Il faut dire qu'avec près de 10% des internautes français inscrits, et surtout un tiers des 15-24 ans, en 2015 selon les chiffres de Médiamétrie//Netratings, Snapchat n'est plus une niche qui suscite simplement la curiosité.
Rajeunir les audiences
L'application est en effet devenue le meilleur moyen pour des médias aux audiences parfois vieillissantes de s'offrir une cure de rajeunissement, tant du point de vue du lectorat que du packaging de l'information. 20 Minutes a ainsi profité d'un numéro spécial, #Generation404, adressé à cette cible pour s'installer au sein de Snapchat, fin novembre 2015. Le quotidien, qui a notamment pris conseil auprès… d'une lycéenne, y envoie depuis quotidiennement des séries de snaps, les Stories.
"Chacune d'entre elles est un véritable paquet-surprise qui mélange montages vidéos et micro-interviews, avec un ton le plus souvent décalé", illustre Anne Kerloc'h, rédactrice en chef adjointe du quotidien gratuit et responsable de son pôle "participatif".
Une approche très ludique également adoptée par Le Figaro où, après quelques initiatives personnelles et ponctuelles de certains membres de la rédaction, le quotidien a décidé de formaliser sa présence sur l'application début mars avec le lancement d'un bulletin quotidien alimenté par les journalistes du pôle "social media".
"Le flash vidéo dure entre une minute et une minute et trente secondes, le matin et le soir", explique Marie-Amélie Putallaz, responsable du pôle. Ici aussi, une revue décalée de l'actualité qui peut paraître inhabituelle pour le quotidien. "C'est l'occasion de montrer qu'il y a aussi des jeunes au Figaro", affirme dans un sourire le directeur du digital, Bertrand Gié.
La responsable du Parisien TV, Anne De Kinkelin, ne dit pas autre chose lorsqu'elle explique que l'arrivée du quotidien francilien sur Snapchat procède de l'envie de "sortir d'une logique Dailymotion centric" et de celle d'aller "parler aux différentes audiences sur les plateformes qu'elles fréquentent".
L'enjeu est de créer un format conversationnel, nous explique-t-elle. "Les abonnés au compte du Parisien commentent les snaps qu'ils reçoivent en lui répondant directement et font même remonter de l'information lorsqu'ils sont, eux-mêmes, au plus près des événements."
Un ping-pong qui peut venir nourrir le travail d'investigation du Parisien. "Nous avons embeddé des contenus envoyés par nos lecteurs à l'occasion des manifestations étudiantes qui se tenaient à Toulouse, Nantes, Marseille", illustre Anne De Kinkelin. Une complémentarité entre journalisme et communauté, qu'elle estime "trouver de moins en moins sur Facebook et Twitter".
"On se parle un peu entre initiés sur Snapchat", ajoute Bertrand Gié, qui remarque également que "les Snapchatteurs sont généralement plus bienveillants que les membres des autres plateformes".
Du côté de 20 Minutes, on essaie d'établir des rendez-vous réguliers comme "l'info du troll", avec une mascotte qui égrène une info souvent un peu tech et suscitant le débat pour faire réagir les mobinautes.
On n'hésite pas non plus à mettre les équipes à contribution à l'image de ce journaliste musical qui, "le temps d'un snap, accoudé au comptoir d'un bar, passait en revue les commentaires les plus désobligeants postés à son encontre, suite à une critique un peu dure du dernier album de Renaud". Le tout avec un maximum d'autodérision, légèreté de Snapchat oblige, et une connivence qui donne aux followers l'impression d'un "entre soi" toujours valorisant.
Un sentiment généré aussi par des audiences encore confidentielles. Faute d'analytics communiqués par Snapchat, les médias français sont pour l'instant plutôt chiches en indicateurs de performance. "Cela reste marginal, nous estimons avoir entre 5 et 10 000 abonnés", confirme Bertrand Gié.
Même flou du côté du Parisien où on estime que les snaps font entre "plus de 2 500 vues". "L'apport d'audience sur les sites est proche de zéro car il n'y a pour l'instant pas de renvoi de liens depuis Snapchat", ajoute, de son côté, Anne Kerloc'h.
Pas étonnant dans ces conditions que les médias ne communiquent pas outre-mesure sur leur présence sur Snapchat. La plupart se contentent de donner leur compte Snapchat dans leur bio Facebook et Twitter. Et certains renvoient de temps en temps vers l'application de partages de photos depuis leurs sites. Mais on est encore loin d'en faire la publicité.
"Il ne s'agit pas de gagner à tout prix 10 ou 20 000 abonnés", résume Bertrand Gié. Pour cause, l'expérimentation Snapchat ne s'accompagne d'aucun modèle de monétisation pour le moment, dans l'attente de l'arrivée de Discover en France.
Snapchat Discover trop exigeant
L'enjeu est ailleurs. Les médias français interrogés évoquent plutôt une "bouffée de créativité". On va même plus loin au Figaro, qui voit Snapchat comme un laboratoire d'idées. "Nous y avons tiré quelques enseignements qui vont nourrir la prochaine refonte de notre application Le Figaro, avec l'arrivée de formats vidéos compréhensibles sans le son et de montages qui seront plus présents car on voit que ça marche sur Snapchat", précise Bertrand Gié.
Car si son reach au sein de l'application de partage de photos est faible, les taux d'engagement obtenus sont tout bonnement hallucinants. "80% des inscrits y visionnent nos stories, quasiment du début à la fin", chiffre-t-il. De quoi donner envie d'aller plus loin et postuler à une présence sur Discover pour son lancement ?
Alors qu'il se murmure que les prétendants à l'unique place qu'offrira Snapchat aux médias français sont légions, nos interviewés font plutôt la fine bouche. "Snapchat est très exigeant et impose aux candidats des engagements, en termes d'équipes dédiées, difficiles à tenir", explique Anne Kerloc'h.
Là où les médias français mettent aujourd'hui à contribution, ponctuellement, deux ou trois journalistes "social media", Snapchat leur demande de mettre en place un pôle de cinq à six journalistes exclusivement dédiés à sa plateforme.
"C'est difficilement justifiable pour un outil aux revenus aléatoires et aux audiences qui le sont tout autant", juge Bertrand Gié. D'autant que ce dernier estime que Discover est un peu contradictoire avec la philosophie de Snapchat. "On n'y rentre pas par le contenu contrairement à nos Stories. Il faut aller dans une rubrique dédiée." Une friction dans l'expérience utilisateur qui risque de nuire aux retombées d'audience.