Marc Lolivier (Fevad) "Nous dénonçons le projet de taxe sur les achats en ligne"

Le Sénat s'apprête à instaurer une taxe portant sur les achats réalisés, sur Internet notamment, par les entreprises. Le délégué général de la Fédération du e-commerce s'oppose au projet. Il s'explique.

JDN. A l'occasion de l'examen du projet de loi de Finances 2011, la Commission des finances du Sénat a proposé un amendement qui instaurerait une taxe sur les achats en ligne des entreprises. En quoi consiste-t-elle ?

Marc Lolivier. Il s'agit d'une taxe BtoB s'appliquant aux entreprises privées et publiques établies en France et réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 460 000 euros par an. Elles seront imposées à hauteur de 0,5 % sur leurs achats de biens ou de services réalisés "au moyen d'une communication électronique". Autrement dit pas uniquement sur Internet, mais aussi par EDI, par télécopie et par téléphone, compte tenu de la définition des communications électroniques établie dans l'article L 32 du Code des postes et des communications électroniques. Cette taxe dite TasCoE, sur les "achats de services de commerce électronique", a donc un nom très trompeur, puisque contrairement à ce qu'a présenté le rapporteur général de la Commission des finances Philippe Marini, son périmètre est beaucoup plus large que les seuls achats en ligne. Il recouvre quasiment l'ensemble des achats des entreprises.

Pourquoi dénoncez-vous cette taxe ?

En France, 20 % des achats des entreprises se font en ligne, contre 40 % en Allemagne. Nous sommes très en retard sur le reste de l'Europe, nous sommes au même niveau que la Slovénie. Or la dématérialisation est un enjeu extrêmement important de la modernisation des entreprises. Direction dans laquelle, d'ailleurs, l'Etat pousse en temps normal ses collectivités. En outre, taxer un secteur crucial pour le développement des entreprises serait aussi aberrant que taxer des investissements écologiques, ou encore exiger une surtaxe des personnes qui paient leurs impôts en ligne, alors qu'on désire précisément encourager ces pratiques !

De plus, cette taxe s'appliquant aux entreprises établies en France, on voit très bien les multinationales déplacer leurs centrales d'achat à l'étranger pour y échapper. On favorise la délocalisation ! Le rapport du cabinet Greenwich Consulting remis au Sénat en avril établissait déjà que la fiscalité française repoussait les entreprises à l'étranger. Cette taxe va complètement à l'encontre des préconisations du rapport. En outre, il s'agit une fois de plus d'une taxe franco-française. Or il est essentiel, en matière de fiscalité de l'économie numérique, de raisonner au moins à l'échelon européen.

Si elle est adoptée, combien cette taxe va-t-elle rapporter à l'Etat ?

Dans son exposé des motifs, l'amendement n°13 de la loi de Finances 2011 précise : "En retenant un taux de 0,5 % du montant hors taxe des sommes versées par le preneur, et une assiette taxable de l'ordre de 80 à 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel réalisé sur Internet au titre des transactions entre entreprises, le produit potentiel de cette taxe représenterait de 400 à 500 millions d'euros. Un chiffrage plus fin devrait réviser, à la baisse, cette estimation, pour tenir compte du fait qu'environ les deux tiers des entreprises devaient être exonérées pour des raisons tenant à leur chiffre d'affaires" (inférieur à 460 000 euros, ndlr). Même les promoteurs de la taxe ne savent pas très bien combien elle devrait rapporter. D'autant plus que son assiette s'étend au-delà des 80 à 100 milliards d'euros d'achats en ligne : elle comprend aussi les 170 milliards d'achats par EDI et les 250 milliards d'achats BtoB intragroupes, qui s'effectuent également par voie électronique. Finalement, le seul type d'achat qui échapperait à cette taxe est l'achat conclu au moyen d'un courrier envoyé par la Poste !

Outre des délocalisations, à quel type de répercussions faut-il s'attendre ?

Les entreprises, qui vont devoir payer plus cher leurs approvisionnements, risquent fort de répercuter cette taxe sur le prix de leurs propres produits et services, au détriment du client final. Ceci en particulier dans les secteurs comme l'e-commerce, où les marges sont très faibles.

Quelle est la suite du calendrier ?

Nous espérons que cet amendement, qui ne faisait pas partie du projet initial et que nous avons découvert le soir du 10 novembre, ne sera pas adopté par les sénateurs, qui doivent l'examiner le 19 ou le 22 novembre. Si l'amendement est voté par le Sénat, il n'aura plus ensuite qu'à passer en Commission mixte paritaire : la loi de Finances ne fait pas l'objet d'une deuxième lecture.