Le Sénat explore différentes voies pour taxer l'e-commerce

Au cours d'une table-ronde au Sénat, Philippe Marini a remis sur le tapis sa taxe e-commerce et Jean Arthuis préconisé de se concentrer sur la TVA.

Poursuivant ses travaux engagés en 2010 sur la fiscalité du commerce électronique, la commission des finances du Sénat organisait ce 18 mai une table ronde consacrée au sujet.  "Notre problème est de trouver une fiscalité équitable et applicable", a d'abord posé son président, le centriste Jean Arthuis.

 

arthuis benoit deshayes linternaute
Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat © Linternaute.com

Evasion fiscale et harmonisation européenne

Il y a un an, le rapport Greenwich remis au Sénat mettait en évidence le manque à gagner considérable pour l'Etat français – 400 millions d'euros en 2008 –, du fait que les gros sites marchands étrangers tels qu'Amazon, eBay ou Apple déclarent légalement leurs revenus dans des pays fiscalement plus intéressants que la France, Luxembourg et Irlande en particulier (lire l'article Comment les e-commerçants US échappent au fisc français, du 07/04/2010). "Jean-Claude Juncker (premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe, ndlr) nous appelle à équilibrer les comptes publics, mais en captant l'argent des autres, il ne nous y aide pas du tout", s'est irrité Jean Arthuis. Un phénomène qui, selon Gilles Babinet, président du Conseil national du numérique, engendre une "distorsion fondamentale de concurrence" dans tout le secteur numérique.

Maïté Gabet, chef du bureau des affaires internationales à la direction générale des finances publiques (DGFiP), a rappelé que les pays membres n'avaient jamais réussi à entamer une harmonisation fiscale, mais que "le projet ACCIS est sur la table en ce moment à Bruxelles pour répondre à cette problématique de délocalisation à l'intérieur de l'Union." Gilles Babinet a précisé qu'en matière d'impôt sur les sociétés, les entreprises du numérique réinvestissent massivement leurs bénéfices pour renforcer leurs fonds propres, un élément de compétitivité qui fait plutôt défaut aux sociétés françaises et qu'il conviendrait d'encourager.

D'autres dispositifs fiscaux sont dans le viseur du président de la commission des finances. Dans le secteur de la vente à distance, si une entreprise facture plus de 100 000 euros dans un pays, elle doit facturer aux consommateurs la TVA de ce pays et la lui verser. Jean Arthuis lui demandant comment cela était contrôlé, Maité Gabet a expliqué que depuis 2005, au-delà de 100 000 euros de ventes sur le territoire, les sociétés étrangères devaient s'immatriculer en France pour recevoir un numéro de TVA. La DGFiP peut donc contrôler directement qu'elles versent cette TVA, ou poser la question à son homologue du pays où la société est immatriculée, ce pays étant censé redistribuer la TVA perçue aux autres pays, en fonction des ventes de l'entreprise. Un dispositif impraticable, selon Jean Arthuis, qui a estimé qu'il fallait le remettre à plat.

Une taxe spécifique à l'e-commerce ?

La question d'une taxation spécifique des e-commerçants a également fait l'objet d'un débat. Le sénateur UMP Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances qui avait proposé l'automne dernier un amendement prévoyant une taxe dite Tascoe sur les achats en ligne des entreprises, finalement retirée après avoir suscité une levée de boucliers des professionnels du secteur (lire l'interview de Marc Lolivier, délégué général de la Fevad, du 19/11/2010), est revenu à la charge. "Est-il normal que l'e-commerce ne paie pas un équivalent de la Tascom, taxe sur la surface de vente que paient les magasins physiques ? Est-ce équitable ?"

Pour Claude Boulle, président de l'Union du grand commerce de centre-ville, beaucoup de taxes sectorielles s'appliquent déjà au commerce : Tascom, taxe Poisson, TLPE... "Si on doit chercher des recettes, il est peut-être plus simple de le faire via la TVA ou l'impôts sur les sociétés". Claude Boulle a également mis l'accent sur la convergence entre les pure players de l'e-commerce et le commerce physique, qui concerne aussi bien le catalogue que les prix et la mise à disposition des produits. Hammerson propose par exemple des e-coupons sur Vente-Privée.com et à l'inverse, Pixmania ouvre des points de vente : "Le jour où ils ouvrent un magasin, les e-commerçants pourront payer la Tascom et bien d'autres taxes".

Réagissant à l'idée de taxer la logistique, Jean Arthuis a expliqué que cette voie n'est pas la bonne : "Si vous taxez la logistique, un jour la logistique aussi sera au Luxembourg". Le président de la commission des finances du Sénat estime pour sa part que ces taxes verticales "polluent" le système fiscal français. Quant à Gilles Babinet, il s'est également élevé contre l'idée de créer des taxes très verticales, qui donneraient au secteur "le sentiment d'être persécuté". Jean Arthuis préconise de se concentrer sur la TVA, qui présente l'intérêt majeur, puisqu'elle porte sur la consommation, de ne pas être délocalisable.

 

Premier bilan de la "taxe Google"

Au cours d'une première table-ronde autour de l'application de la taxe sur les services de publicité en ligne, Maxime Gauthier, chef du service de la gestion fiscale à la direction générale des finances publiques, a exposé que cette taxe était parfaitement applicable et que les interrogations qui se posaient portaient surtout sur son assiette. Les différents acteurs du secteur présents, Olivier Esper et Yoram Elkaïm de Google, François Momboisse de la Fevad, Daniel Saada de Vivaki, ainsi que Gilles Babinet du CNN, n'ont eux pas manqué de souligner combien de méthodes très simples existaient pour contourner cette taxe.

Sur la taxe Google comme sur la fiscalité de l'e-commerce, Jean Arthuis a conclu que la commission des finances du Sénat allait poursuivre sa réflexion, et a indiqué ne pas exclure de corriger ou d'améliorer la loi sur la publicité en ligne dans une prochaine loi de finance rectificative.