Amélie Poulain (Cabinet Cornet Vincent Segurel) "La révision des contrats Amazon aura un impact positif pour les vendeurs"

Amélie Poulain, avocate spécialisée, revient sur les enjeux de la condamnation d'Amazon à une amende de 4 millions d'euros, du point de vue des vendeurs de la célèbre marketplace.

JDN. Le tribunal de commerce de Paris a condamné Amazon à une amende de 4 millions d'euros en raison de 7 clauses contractuelles "déséquilibrées", qui devront être corrigées dans les six mois. Pourquoi  la DGCCRF, qui a conduit l'enquête, s'est intéressée en premier lieu à Amazon ?

Amélie Poulain. Il s'agit d'une action somme toute classique dans la distribution, étendue plus récemment aux grands acteurs du marché de la vente en ligne alors que ces actions concernaient auparavant davantage les distributeurs des canaux traditionnels. Mais Amazon, ou encore, Booking (condamné par le tribunal de commerce de Paris en 2016 pour clauses abusives, ndlr), suscitent désormais naturellement l'intérêt de la DGCCRF.

Au-delà de l'amende prononcée à l'égard d'Amazon, à première vue considérable mais minime par rapport à son bénéfice, l'intérêt pour les vendeurs d'Amazon est réel. En effet, le tribunal de commerce de Paris ordonne la modification des clauses visées par la DGCCRF. Amazon doit donc modifier son contrat et corriger le déséquilibre instauré dans les clauses épinglées. La révision des contrats aura un impact positif pour les marchands de la marketplace.

Amélie Poulain, avocate associée spécialiste du droit de la concurrence, commercial et des affaires. © A. Poulain

Le tribunal a notamment considéré comme abusive la possibilité pour Amazon de remanier unilatéralement les contrats des vendeurs...

Normalement, la loi impose aux distributeurs de négocier les contrats, du moins de favoriser l'échange entre les distributeurs et les fournisseurs. Or, Amazon fort de 170 000 fabricants et distributeurs sur le territoire national, a indiqué être dans l'incapacité de proposer à chacun d'entre eux la négociation de leur contrat. De fait, cet argument sur l'automatisation des contrats a été entendu par le tribunal de commerce de Paris. Mais cette situation particulière implique la rédaction de clauses équilibrées à la responsabilité d'Amazon, car les vendeurs n'ont pas la possibilité d'effectuer des corrections ou de réagir sur une clause quelconque. Une option envisageable pour Amazon est qu'il propose un délai durant lequel le vendeur pourra accepter le contrat, le modifier ou le résilier.

Dans le détail, en quoi les vendeurs étaient-ils particulièrement défavorisés par rapport à Amazon ?

Par exemple, le tribunal de commerce de Paris a condamné la clause autorisant Amazon à interdire ou restreindre, en toute liberté, l'accès à son site à sa discrétion. Amazon ne détermine ni les raisons ni les conditions. Par ailleurs, Amazon ne précise pas les critères d'analyse retenus en cas de défaut de performance d'un produit. Cela ne permet pas aux vendeurs d'anticiper. Sur ce point, Amazon est accusé de contribuer, arbitrairement, à la baisse de performance de certains produits sans pour autant réviser les indicateurs. Cela pourrait être un moyen pour Amazon de valoriser ses propres produits dans l'intervalle. Or, 25% des vendeurs d'Amazon collaborent uniquement sur cette marketplace. En d'autres termes, si leur performance décline sans motif et que leur accès au site est en plus limité, ces derniers perdent leur seul canal de distribution. Sans compter que le changement de partenaire reste une démarche complexe pour les marchands.

"Amazon est en position de concurrence vis-à-vis de ses propres vendeurs"

Autre clause contestée par la justice : le droit d'Amazon de rembourser un client même en cas de non-retour du produit du vendeur tiers. Que vous inspire cette situation ?

C'est assez incroyable. Le motif du retour n'est pas clairement défini et le remboursement s'effectue avant même le renvoi du produit. Amazon prend ainsi le risque, pour le vendeur, de débiter son compte avant même le renvoi du produit par le client. Cette clause devra être modifiée, voire supprimée, car elle crée un déséquilibre de traitement. Le caractère automatique du débit par Amazon rend la clause déséquilibrée pour le vendeur. Cette situation est d'autant plus surprenante qu'Amazon attend le retour produits de ses clients en propre avant de les rembourser.

Ce déséquilibre révèle un autre point : Amazon évolue en position de concurrence vis-à-vis de ses propres vendeurs. D'un point de vue juridique, l'acteur économique qui instaure des clauses déséquilibrées dans son contrat dessert non seulement le vendeur mais tire également un profit dont son concurrent ne bénéficiera pas, dû au respect du contrat. Amazon s'est défendu en invoquant l'intérêt du consommateur, sauf que l'intérêt du consommateur reste intrinsèquement lié à celui d'Amazon…

Quels sont désormais les recours possibles si Amazon conteste cette décision ? Pensez-vous que ce jugement pourrait conduire d'autres places de marché à repenser leurs contrats ?

Amazon peut solliciter la cour d'appel de Paris, puis entreprendre un pourvoi en cassation. Objectivement, le jugement du tribunal de commerce de Paris s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris. Peut-être que celle-ci révisera en partie le jugement mais probablement pas en totalité. Finalement, cette condamnation n'est pas aussi inédite que cela.

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