Marketplace : quand les enjeux réglementaires favorisent les oligopoles

Grands retailers qui cherchent à développer leur propre marketplace, places de marché BtoC qui s'étendent au BtoB ou encore marketplace de niche visant l'international, sans oublier celles ne faisant que du CtoC et prônant l'économie circulaire, la marketplace est devenue incontournable.

Si la marketplace est devenue omniprésente, à tel point que certains experts envisagent sérieusement le fait, qu’à terme, il n’y aura d'ailleurs plus de sites marchands indépendants, mais uniquement des marketplaces, ces dernières vont cependant devoir gérer des contraintes réglementaires risquant de grandement limiter leur souplesse. Cet intérêt à développer des marketplaces risque cependant d'être atténué à l'avenir compte tenu des contraintes réglementaires qui s'amoncellent de plus en plus.

Quatre sujets majeurs vont ainsi se présenter :

  • Celui de la fiscalité avec la TVA marchand
  • La transparence vis-à-vis des vendeurs
  • La lutte contre la contrefaçon
  • Les règles issues de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

La fiscalité 

Face au développement des places de marché et à la vente, sur ces plateformes, de biens et de services provenant d’entreprises non établies en France, la directive européenne 2017/2455 en matière de e-commerce à effet au 1er janvier 2021, a modifié les règles de TVA régissant le commerce transfrontalier de biens au profit de particuliers.

En voici les deux principales mesures pour les marketplaces :

  • La redevabilité de la TVA par les places de marché, et autres plateformes en ligne lorsque celles-ci facilitent les ventes à distance de biens importés de moins de 150 €, ou lorsqu'elle facilitent les livraisons domestiques ou les ventes à distance intracommunautaires de biens réalisées  par un vendeur non établi dans l’Union européenne.

Afin de rendre pleinement effectif ce dispositif, il est prévu de rendre redevable de la TVA à l’importation la marketplace elle-même, et ce, à la place du destinataire du bien figurant sur la déclaration d’importation (en règle générale, le client).

  • À des fins de contrôle, les interfaces électroniques seront également astreintes à la tenue d’un registre qui devra être conservé dix ans afin de permettre, aux États membres où ces livraisons et prestations sont imposables, de vérifier que la TVA a été correctement acquittée.

Ces dispositions très contraignantes pour les places de marchés vont peut-être être complétées par d’autres suite à la publication, en novembre 2019, du rapport de l’Inspection Générale des Finances sur la sécurisation du recouvrement de la TVA. La finalité annoncée du rapport était de trouver des solutions « pour lutter contre la fraude à la TVA et moderniser le recouvrement de cet impôt ». Parmi les différents instruments dont dispose déjà l’administration aujourd’hui pour rendre le recouvrement de la TVA efficace figure celui de « la représentation fiscale » .

Il permet au fisc de "disposer " d’un intermédiaire [le représentant fiscal] pour accomplir l'ensemble des formalités requises. L'avantage pour l'administration est qu'il sera tenu solidairement responsable des sommes de TVA dues par l’entreprise si cette dernière ne les paie pas. Cependant, cet outil serait inefficace voire impossible à applique pour le e-commerce.

En effet, après enquête, l’IGF dénonce le fait que les entreprises étrangères, qui commercialisent leurs produits en France via des places de marchés, ne sont, dans leur immense majorité (98% selon le rapport), ni représentées, ni déclarées sur le territoire et n’acquittent donc... aucune TVA. Cela paraît colossal et interloquant.

Afin de remédier à cette situation, l’IGF propose 11 options parmi lesquelles la création d’un  régime de représentation fiscale spécifique au e-commerce avec le désignation des places de marché comme représentant fiscal. Les conséquences sont très claires : elles seraient alors responsables du paiement des sommes dues à hauteur du montant des transactions facilitées par leur intermédiaire.

La transparence vis-à-vis des vendeurs

Le règlement 2019/1150 du parlement européen et du conseil du 20 juin 2019 visant à promouvoir l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d’intermédiation en ligne indique quels sont les prochains défis à relever pour les marketplaces. Ce qui a motivé les instances européennes à se saisir du sujet était le fait qu’il n’y avait aucune législation traitant de la question des relations entre entreprises dont « l’intermédiation » était assurée en ligne.

En outre, l’asymétrie entre la puissance de certaines plateformes et « le morcellement intrinsèque de l’offre constituée de milliers de petits commerçants » pouvait, potentiellement, entraîner un rapport de force au détriment des vendeurs. Les dispositions les plus emblématiques du règlement peuvent être réparties comme suit :

  • Relations avec les vendeurs

Les places de marché ne pourront plus modifier les conditions et modalités régissant leurs relations contractuelles vis-à-vis d’un vendeur sans au préalable respecter un délai de préavis raisonnable et proportionné avec un plancher minimum de 15 jours.

  • Résiliation

Toute décision de résiliation décidée par une marketplace devra être motivée (avec indication des circonstances et des motifs en lien avec les dispositions contractuelles).

  • Classement des produits proposés

 Les places de marchés devront indiquer les principaux paramètres déterminant le classement, les raisons justifiant de ce classement ainsi que les critères permettant d’influencer ces classements (i.e. système de rémunération directe ou indirecte).

  • Restriction de liberté du vendeur

Lorsqu’une plateforme limite la capacité pour un vendeur de vendre le même produit ailleurs à d’autres conditions, elle doit, là aussi, motiver cette restriction (considérations économiques, commerciales…).

  • Traitement des plaintes

Les plateformes en lignes devront mettre à disposition un système interne de traitement des plaintes émanant des vendeurs (analyse, suivi, réponses argumentées...)

  • Médiation

C’est généralement là où le bât blesse avec l’existence de clauses léonines. Le règlement européen indique ici très clairement que les « fournisseurs de services d’intermédiation en ligne » indiqueront dans leurs modalités et conditions un ou plusieurs médiateurs avec lesquels ils sont prêts à prendre contact en vue de parvenir à un accord avec les entreprises utilisatrices pour un règlement extrajudiciaire des litiges y compris les plaintes qui n’ont pu être résolues dans le cadre du système interne de traitement des plaintes.

Voici quelles seraient les nouvelles règles applicables : Il ne pourra pas être fait appel à des médiateurs proposant leurs services de médiation depuis un lieu situé en dehors de l’Union européenne sauf s’il est garanti que les entreprises utilisatrices concernées bénéficieront des mêmes garanties juridiques que celles qu’elles détiennent au sein de l’Union européenne ou dans des Etats membres.

Par ailleurs, les médiateurs devront répondre aux conditions suivantes : être impartiaux et indépendants ; proposer des services de médiation abordables pour les entreprises utilisatrices des services d’intermédiation en ligne concernés ; être en mesure de fournir leurs services de médiation dans la langue régissant la relation contractuelle entre le fournisseur de services d’intermédiation en ligne et l’entreprise utilisatrice concernée ; être facilement accessibles, soit physiquement sur le lieu d’établissement ou de résidence de l’entreprise utilisatrice, soit à distance au moyen des technologies de communication ; être en mesure de fournir leurs services de médiation sans délai indu. Enfin, précision importante, les plateformes en ligne supporteront une part raisonnable du coût total de la médiation dans chaque cas.

La lutte contre la contrefaçon

En février dernier, la Cour des comptes a publié un rapport intitulé : « La lutte contre les contrefaçons – Une organisation et des outils pour mieux protéger les consommateurs et les droits de propriété industrielle » dans lequel elle indique notamment que selon l’Union des Fabricants (UNIFAB - étude IFOP), 37 % des Français, et 43 % des 15-18 ans, ont acheté de la contrefaçon sans le savoir, via des marketplaces ou les réseaux sociaux.

« Sur les places de marché et certains sites, il peut parfois être impossible de déterminer, y compris pour les détenteurs de droits, si certains produits vendus sont des contrefaçons ou non ». La Cour des comptes juge défavorablement les places de marché dans la lutte contre la contrefaçon au motif « qu’elles ne sont que des intermédiaires sans obligation de vigilance particulière ».

Le régime applicable aux plateformes en ligne résulte de la directive commerce électronique 2000/31/CE qui dispense les plateformes du contrôle général des contenus qu’elles hébergent. Plus précisément, la Directive distingue, d’une part, les éditeurs d’un service de communication au public (soumis à une responsabilité civile et pénale sur ces contenus dont ils ont la charge) et, d’autre part, les intermédiaires techniques, prestataires d’un service d’hébergement ayant un rôle « purement technique, automatique et passif ».

La CJUE a estimé, sur le fondement de cette Directive européenne, concernant une place de marché que « ledit exploitant joue un [rôle actif] quand il prête une assistance, laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celle-ci ». CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal c/ eBay.

Ainsi, en pratique, pour déterminer l’appartenance à l’une ou l’autre des catégories, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a arrêté une grille d’analyse reposant sur le caractère actif ou passif de l’acteur concerné et le fait de savoir s'il a ou non une connaissance ou un contrôle sur les données stockées.

La Cour des comptes souligne que cette qualification au cas par cas est source d’insécurité juridique et nullement incitative pour les plateformes en ligne. Dès lors, il serait capital que la Directive 2000/31/CE soit révisée « afin de renforcer les obligations juridiques des plateformes et les inciter à des diligences renforcées dans la lutte contre les contrefaçons » et contraindre les marketplaces à :

  • Vérifier l’identité des vendeurs et communiquer cette information aux consommateurs ;
  • Faire les meilleurs efforts pour effectuer un traçage des flux permettant d’identifier les étapes de la chaîne de distribution, communicable aux ayants droit concernés ;
  • Mettre en place une procédure de notification des contenus contrefaisants, avec un délai de retrait homogène et rapide (« notice and take down »), et visant également à empêcher que des contenus déjà signalés soient remis en ligne (« stay down ») via la mise en place d’outils techniques adaptés ;
  • Informer le consommateur que l’annonce du bien qu’il a acheté a été retirée après la vente au motif qu’elle concernait une contrefaçon ;
  • Communiquer aux consommateurs et aux ayants droit les mesures de vigilance mises en œuvre par la plateforme concernée, afin de permettre en toute transparence une évaluation du niveau de confiance dans les transactions sur le site concerné.

Les règles issues de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

Au-delà des motivations légitimes ayant conduit à l’adoption de cette loi, il n’en demeure pas moins que son application aux marketplaces sera très impactante. Passage en revue des contraintes qui seront mises en œuvre :

  • Les indices de réparabilité et de durabilité

L’indice de réparabilité vise à informer le consommateur sur la capacité à réparer le produit concerné. Les vendeurs d’équipements électriques et électroniques, ainsi que ceux utilisant un site internet, une plateforme ou toute autre voie de distribution en ligne dans le cadre de leur activité commerciale en France, devront informer sans frais le consommateur, au moment de l’acte d’achat, par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié de l’indice de réparabilité de ces équipements.

Selon quels critères ? C’est toute la question. Un décret précisera les choses mais l’on sait déjà que les critères devront inclure obligatoirement le prix des pièces détachées nécessaires au bon fonctionnement du produit et, chaque fois que cela est pertinent, la présence d’un compteur d’usage visible par le consommateur. En complément, un indice de durabilité incluant des critères tels que la fiabilité et la robustesse du produit devra aussi être établi et communiqué.

  • La reprise sans frais des produits usagés sur le lieu de livraison

En cas de vente avec livraison, il peut également être fait obligation aux distributeurs de proposer la reprise sans frais des produits usagés au point de livraison du produit vendu, ou auprès d’un point de collecte de proximité lorsqu’il s’agit de produits transportables sans équipement. L’utilisateur final du produit est informé lors de sa commande des modalités de reprise des produits usagés.

  • L’interdiction de l’élimination des produits neufs invendus

Le nouveau principe est le suivant. Les producteurs, importateurs et distributeurs de produits non alimentaires neufs destinés à la vente sont tenus de réemployer (notamment par le don des produits de première nécessité à des associations de lutte contre la précarité), de réutiliser ou de recycler leurs invendus. Les marketplaces, quant à elles, seront tenues de gérer les produits invendus lorsqu’elles en assurent la détention.

  • Le paiement de l’éco-contribution

Le nouveau dispositif légal prévoit qu’une contribution financière devra être versée par le « producteur » à un éco-organisme afin de couvrir les coûts de prévention, de collecte, de transport et de gestion des déchets. Ledit « producteur » étant toute personne ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits générateurs de déchets ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication.

A compter du 1er janvier 2022, il est prévu par le nouvel article L. 541-10-9 du Code de l’environnement que les places de marché en ligne devront payer cette contribution, sauf à démontrer que le vendeur proposant ses produits sur la marketplace l’a déjà fait. Ainsi donc, c’est à la marketplace qu’incombera, en premier lieu, la responsabilité du paiement. 

Les conséquences prévisibles

Qui pourra assumer le respect de ces réglementations ? Certainement pas les places de marché de taille modeste. Les coûts liés à la mise en conformité vis à vis des dispositions légales et l'importance de la responsabilité applicable en cas de défaillance feront office de tamis. Seules les places de marchés déjà solides et importantes, celles qui pourront répartir, pour ne pas dire diluer, ces coûts sur l'ensemble des coûts structurels existants, resteront compétitives et survivront.