Un Black Friday pas comme les autres

Le débat qui oppose les "petits commerçants" parés de toutes les vertus et les monstrueuses plateformes online mercantilistes a atteint son paroxysme cette année. En 2019 déjà, plus de 200 marques nationales s'étaient associées pour boycotter le Black Friday et dénoncer son impact environnemental. L'édition 2020 cristallise encore plus les tensions, comme le montre l'étude menée auprès de la communauté online d'Ipsos, #Home*.

Interdire de vente les commerces jugés « non essentiels » (hygiène-soin-beauté-parfum, Luxe, culture, électronique, etc.), c’est avoir créé les conditions pour que les achats se reportent dès le premier confinement sur les plateformes online et surtout vers de nouveaux marchés, que ce soit auprès des clients déjà usagers ou de nouvelles recrues. Une fois découverte par de très nombreux Français la vente online et les plateformes, ils pu comparer leurs prix à ceux de leurs commerçants habituels et certains, des mois plus tard, ont définitivement changé leurs comportements pour des raisons économiques et pratiques (achat de chez soi, livraison à domicile, etc.).

Résultat : le commerce online, Amazon en priorité, est devenu l’alternative « essentielle » et réflexe pour encore plus de clients. Pour ceux-là, le Black Friday est synonyme d’opportunités et d’aubaines à saisir : « Je souhaitais acheter un parfum et j'ai profité d'une réduction de 25% proposée à l'occasion du Black Friday. Je pense que c'est le seul achat que j'effectuerai dans ce cadre. »

La question du « petit commerçant » ne se pose pas dans ce contexte, parce qu’il n’est pas présent à l’esprit dans le cadre d’un événement mondial porté par des plateformes internationales : « Ce n’est pas Français, le Black Friday. Habituellement pour cet événement, j'achète surtout en ligne, donc cette année, avec le Covid, ça ne changera pas grand-chose ».

Le multicanal au service du porte-monnaie

Parce qu’elle a désormais pleinement intégré les plateformes à ses canaux d’achats, cette nouvelle clientèle attend que ses « petits commerçants » vendent aussi bien en boutique qu’online et est prête à les faire profiter du Black Friday en achetant chez eux avec les facilités du click & collect ou autres usages mis en place au nom de la distanciation sociale.

Et, parce que l’impact social et financier de la gestion sanitaire de la crise se traduit par la volonté de dépenser moins (par précaution, parce que le pouvoir d’achat a été réduit, pour épargner, parce que le poids des dépenses contraintes est plus lourd…), le Black Friday est même susceptible de recruter de nouveaux clients : « Les années précédentes, je n'y faisait pas attention, c'est le contexte qui me fait changer cette année » et d’accélérer des dépenses jugées importantes : « Je n'ai jamais participé à cette tendance, mais je crois que cette année je vais tenter le coup dans l'informatique. Ça peut être intéressant aussi dans l’électroménager ». 

Pour les habitués, c’est le moment de saisir les opportunités : « Généralement, j'essaye de faire les achats de Noël pour mes enfants (téléphone, console de jeux vidéo, vêtements...) », ce qui ne les détourne pas a priori, bien au contraire, du Black Friday 2020 : « Je pense que c’est une aubaine pour faire de belles économies comme pour les Soldes, le cyber monday, les French days et autres. J’ai tendance à attendre ces moments de l’année, car c’est toujours ça d’économisé. Je le fais par plaisir et pour des raisons économiques ». Un autre participant est encore plus explicite : « C'est uniquement pour me faire plaisir et avoir l'impression d'avoir fait une bonne affaire. J'ai tout-à-fait les moyens de l'acheter à prix fort, mais je me dis tout le temps – pourquoi payer plus cher quand on peut payer moins cher ? ».

Pourquoi ne pas aimer le Black Friday ?

Les participants hostiles au Black Friday le sont pour deux raisons antagonistes :

  • Par rejet d’une orgie consumériste : « Je suis totalement contre cet évènement ! J'ai du mal à comprendre cette folie qui pousse à acheter n’importe quoi. C’est créer du besoin là où il n'y en avait pas vraiment. Il faut le boycotter. » et pour manifester leur soutien aux « petits » : « Hors de question !!! Je n'ai jamais participé à cette grosse messe commerciale consumériste et compte encore moins le faire cette année ! Si on pouvait plutôt encourager les petits commerçants et producteurs… ». Pour eux, Black Friday + online + Amazon = le mal absolu.
  • Ou à l ’inverse, pour consommer plus malin, parce qu’ils se méfient des fausses bonnes affaires, « certains commerçants en profitant pour augmenter les prix quelques jours avant » et se posent des questions sur la réalité des prix : « On peut obtenir des remises pouvant aller jusqu'à 80 %, ce qui reste inimaginable, et je me pose la question des marges réalisées tout au long de l’année… ».
  • Dans cette logique, le Black Friday n’est plus un rendez-vous incontournable parce que « globalement entre cet événement, les ventes privées, les pré-Soldes et les Soldes, les promotions, on en a pour trois mois minimum. Cela saisonnalise notre consommation. ». C’est le risque majeur pour l’événement, sauf à des ristournes de plus en plus exceptionnelles, « la concurrence étant telle sur Internet qu'on trouve maintenant des promotions tout au long de l'année ».

Ce profil de participants est aussi le plus nombreux à ne pas comprendre comment des marques ou des enseignes peuvent « fermer le rideau » pour dénoncer le Black Friday ; c’est une forme de suicide commercial qui les dépasse : « Je ne savais pas que certains le faisaient. S'ils ont les moyens de perdre des clients, pourquoi pas ? », « Je trouve ça un peu aberrant. S'ils ne veulent pas proposer d'offres particulières, ils en ont le droit, mais de là à fermer le site, c'est ridicule. Ça tombe au moment où on commence à faire ses courses de Noël, c'est plutôt le moment de mettre les bouchées doubles ! » ; au mieux, on y voit une sorte de contestation Black washing « C’est de l’image pour eux alors qu’ils devraient en profiter pour vendre mieux et plus. De toutes façons la société de consommation étant mondiale il y aura toujours des enseignes pour vendre, donc essayons d’être dans le lot ! ».

Continuer à faire acheter le moins cher possible avec une expérience-client gratifiante pour le consommateur, vendre en étant présents sur tous les canaux possibles pour les commerçants, intégrer les impératifs RSE et environnementaux pour les plateformes, voilà les défis économiques, logistiques et d’engagement pour les acteurs du Black Friday.

*#HOME, une communauté en ligne permanente, pour interroger la manière dont les Français vivent, leur perception de la gestion de la crise sanitaire, leurs nouvelles habitudes, leur vision de l’avenir... Plus de 26.000 posts et 500 médias sont traités et analysés.