Le no ship, une escroquerie e-commerce en voie de professionnalisation

Le no ship, une escroquerie e-commerce en voie de professionnalisation

Vendre un produit sans jamais le livrer. Les auteurs de cette escroquerie, en apparence simple, font preuve d'un réel savoir-faire pour éviter les sanctions et assurer la rentabilité de leur business.

"No ship" ou "drop sans shipping", deux noms pour une seule arnaque. Mais peu importe son appellation, l'escroquerie reste la même : vendre un produit sur un site e-commerce sans jamais le livrer.  Une pratique devenue la spécialité de certains Français exilés à l'étranger dans l'espoir d'échapper aux autorités.

Cette escroquerie n'est pas nouvelle mais elle semble de plus en plus pratiquée ces derniers mois. Depuis décembre 2022, sur le site "signal arnaques", spécialisé comme son nom l'indique dans le signalement de sites e-commerce frauduleux, les avis de consommateurs n'ayant pas reçu leur commande se multiplient. Une bonne dizaine de sites est concernée. Ceux encore actifs au moment de l'écriture de ces lignes possèdent des mentions légales renvoyant vers Hong Kong et vers les Etats-Unis.

Les autres sites dénoncés, spécialisés pour la plupart dans la vente de vêtements et de chaussures, sont désormais fermés. On retrouve là l'une des pratiques communes au no ship : "La spécialité des no shippers, c'est de prendre de nombreuses commandes sur une courte période et de fermer leur site d'un seul coup", explique David Le Guillou, éditeur de plusieurs sites de dropshipping. "Avant, créer un site s'avérait assez coûteux mais cela est devenu rapide et peu cher", ajoute Laurent Foiry, cofondateur de Spring Invest, un fonds d'investissement spécialisé dans le retail tech.

Autre pratique propre au no ship : l'utilisation d'un processeur de paiement en cryptomonnaie. "Quelqu'un qui fait du no ship ne peut pas passer par un processeur classique comme PayPal ou Stripe car les comptes finiraient par être bloqués", souligne David Le Guillou. En effet, sur son site, Stripe indique bloquer les comptes associés à un business représentant un risque élevé. "Avec un processeur de paiement en cryptomonnaie, lorsque le consommateur achète un produit (inexistant) en euro ou en dollar, l'argent est directement converti en monnaie numérique".

Comptes publicitaires propres et cloaking

Créer des sites jetables et utiliser un processeur de paiement en crypto sont donc les deux conditions requises pour mettre en place l'arnaque. Mais pour que celle-ci soit rentable, cela ne suffit pas. Il faut générer du trafic. Pour gagner en visibilité rapidement, les no shippers ont trouvé la recette magique. Selon David Le Guillou, ils "acquièrent des comptes publicitaires existants et propres". De tels comptes donnent un accès pour diffuser de la publicité sur les réseaux sociaux, "un espace qui permet de cibler des personnes fragiles", note Laurent Foiry.

Concrètement, sur Facebook et TikTok, les publicités issues de ces comptes sont des contenus sponsorisés qui viennent s'immiscer sur le fil d'actualité des internautes, qui, le plus souvent tombent sur des annonces en lien avec leurs dernières recherches et leurs préférences. Des plateformes comme BlackHatWord permettent d'acheter ces comptes publicitaires, et même d'en louer, une solution idéale pour promouvoir un site voué à disparaitre.

La publicité n'est pas le seul levier utilisé par les no shippers. Le référencement naturel en est une autre. Les sites "peuvent recourir au cloaking", explique David Le Guillou. Cette technique permet de présenter un contenu différent aux robots d'indexation et aux internautes. L'objectif visé derrière cette méthode est de tromper le moteur de recherche afin de l'inciter à mieux positionner un site dans son index sur des requêtes stratégiques. Le cloaking est interdit par Google, qui considère cette pratique comme "une manipulation" dont l'objectif est "de tromper les internautes". Mais le moteur de recherche peut mettre un certain temps à pénaliser cette pratique et les sites de no ship ne sont pas destinés à durer.

"Ce ne sont pas des escrocs lambdas"

Processeur de paiement, cloaking… Les no shippers font preuve d'une "grande créativité", estime Laurent Foiry. "Ce ne sont pas des escrocs lambdas, ils maitrisent un tas de techniques", insiste David Le Guillou. Celles-ci leur permettent d'échapper aux sanctions. Contactée, la DGCCRF a préféré botter en touche, expliquant que cette escroquerie "n'entrait pas dans son domaine" mais plutôt dans celui "du ministère de l'Intérieur".

Mais peu importe l'instance concernée, la tâche pour retrouver les auteurs de cette escroquerie semble bien compliquée. "Les no shippers partent souvent à Dubai où ils peuvent tout payer en cryptomonnaie. Ils profitent de l'opacité des banques, de la faible fiscalité et ils se sentent intouchables", relève David Le Guillou. "De manière générale, le fait de sortir de l'Union européenne permet de sortir de la chaine judiciaire. Si vous avez commandé un produit à un dropshipper basé ailleurs qu'en Europe, et que ce produit n'arrive pas, il ne se passera sûrement rien d'un point de vue juridique", prévient Laurent Foiry.

Conscients du potentiel de cette arnaque et se sentant intouchables, certains no shippers ont même décidé de franchir un cap. Sur les réseaux sociaux, un dénommé "Nelim" tente de s'associer à d'autres escrocs. Avec comme objectif de leur faire bénéficier de son processeur de paiement dédié au no ship pour prendre une commission sur les transactions frauduleuses. De quoi passer d'escrocs à mafieux.