Smart grids : le test d'Issy-les-Moulineaux se termine sur un goût d'inachevé

Smart grids : le test d'Issy-les-Moulineaux se termine sur un goût d'inachevé Un consortium d'entreprises de l'énergie, du BTP et de l'informatique a expérimenté pendant six ans un réseau d'énergie intelligent dans un quartier... mais a été limité par la législation.

C'était l'une des premières expérimentations d'un réseau d'énergie intelligent à l'échelle d'un quartier en France. Lancé il y a six ans à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et opérationnel depuis 2016, le projet Issygrid touche à sa fin. L'heure de tirer le bilan. Pour expérimenter les smart grids et développer de nouvelles compétences, un consortium d'une dizaine d'entreprises (Bouygues, EDF, Enedis, Microsoft, Total, Sopra Steria, Schneider Electric…) s'était formé, permettant de grouper des savoir-faire dans le bâtiment, l'électricité, l'informatique et les télécoms. L'objectif d'Issygrid : concevoir un démonstrateur qui favoriserait la production, la consommation et le partage d'énergie au niveau local, en se reposant le moins possible sur le réseau électrique national. Mais aussi assurer un suivi plus fin de la consommation afin de l'optimiser.

Concrètement, deux zones de cette commune de 70 000 habitants (l'espace résidentiel du Fort d'Issy et le quartier d'affaires Seine Ouest, composés de 2 000 logements et 160 000 mètres carrés de bureaux) ont été dotés de panneaux photovoltaïques assurant la production d'électricité. Mais l'un des gros problèmes de la production d'énergie solaire est son irrégularité : les énormes pics de production constatés à certains moments de la journée ne peuvent pas être absorbés par les besoins du réseau local au même moment, provoquant des pertes.

Batteries d'occasion

Cette production excédentaire a donc été stockée dans des batteries pour être réutilisée au moment où les bâtiments en ont le plus besoin. Ce qui permet par exemple à un bâtiment résidentiel peu occupé durant la journée de conserver sa production électrique pour les soirées riches en demande. "Mais les batteries neuves coûtaient trop cher pour que ce soit rentable", explique Christian Grellier, directeur R&D et open innovation chez Bouygues Immobilier. "Nous avons donc passé un accord avec Renault, qui nous a fourni les batteries de ses véhicules électriques devenues moins performantes." Malgré des pertes d'énergie, il assure qu'il devient rentable de stocker l'électricité avec des batteries d'occasion et s'attend à ce que leur prix continue de baisser à mesure que les voitures électriques se démocratiseront.

L'autre grand volet du projet visait à développer un meilleur suivi de la consommation. Particuliers et entreprises ont eu accès à un tableau de bord détaillant leur consommation, heure par heure, grâce aux informations relevées par des compteurs communicants Linky. Ces données sont aussi remontées aux gestionnaires du réseau afin d'obtenir des informations agrégées. Il a fallu trouver un cadre réglementaire avec la Cnil pour récupérer ces informations sensibles sans qu'un foyer soit identifiable : la solution arrêtée consiste à collecter les consommations par groupes de dix logements anonymisés aux caractéristiques similaires.

Ces données agrégées aident à détecter des comportements de consommation anormaux, qui peuvent par exemple indiquer qu'un équipement est défaillant, ou permettre d'identifier des sources d'économies. "Lorsque nous avons connecté les logements du Fort d'Issy au smart grid, nous ne comprenions pas pourquoi il y avait des pics de consommation tous les jours à deux heures du matin", se souvient Eric Legale, directeur d'Issy Media, une structure qui pilote la démarche d'innovation de la ville. "Nous nous sommes en fait aperçu qu'il s'agissait des chaudières qui se remplissaient toutes en même temps à l'heure où les prix diminuent, alors que ces tarifs bas durent toute la nuit". Une découverte qui a permis de lisser la consommation en l'étalant tout au long de la nuit,  évitant ainsi de trop solliciter le réseau d'un coup.

lssy Grid n'a pas pu tester une fonctionnalité essentielle des smart grid : l'organisation de transferts d'électricité entre les membres du réseau

Malgré toutes le déploiement. Car les factures d'électricité sont loin d'avoir disparu. Même dans les bâtiments les plus récents du projet, seulement 50% de l'électricité consommée vient de la production renouvelable locale, le reste étant apporté par le réseau traditionnel d'Enedis. L'une des raisons est que les parties prenantes d'Issy Grid n'ont pas pu tester une fonctionnalité essentielle des smart grid : l'organisation de transferts d'électricité entre les membres du réseau. En effet, tout le sens d'un smart grid est de mélanger des bâtiments aux usages différents (commerces, habitations, bureaux) qui ont besoin d'énergie à des moments différents et pourront ainsi transférer leur production électrique lorsqu'elle n'est pas utilisée. Par exemple, les bureaux désertés le weekend peuvent envoyer toute leur électricité aux habitations et aux commerces. "La réglementation ne permet pas d'organiser des transferts d'énergie entre bâtiments dans l'espace public. Nous espérions qu'elle évolue avant la fin de notre expérimentation, mais ça n'a pas été le cas", déplore Eric Legale.

Les industriels du consortium, qui ont développé des compétences dans la gestion de smart grids via cette expérimentation, vont à présent entrer en compétition pour proposer leurs outils de pilotage énergétique aux gestionnaires des différents immeubles impliqués dans le projet. Le pilotage énergétique à l'échelle du quartier va donc s'arrêter. Un autre smart grid, cette fois-ci basé sur la géothermie, sera testé à Issy-les-Moulineaux dans un nouvel éco-quartier en cours d'élaboration. Si les partenaires du projet estiment avoir démontré la viabilité des smart grids dans le cadre de la construction de nouveaux logements, ils devront réussir à les généraliser aux bâtiments déjà construits. "Très clairement, c'est trop compliqué et trop cher aujourd'hui", reconnaît Eric Legale. "Mais j'ai bon espoir que les prix de ces technologies diminuent". Il concède cependant que cette baisse des prix pourrait être lente si la technologie ne se répand que par le biais des nouveaux bâtiments. De l'expérimentation à l'industrialisation, il y a un monde.