Patrice Bertrand (Smile) "L'Open Source a encore une carte à jouer dans le cloud computing"

Les projets Open Source mis en œuvre par Smile se rapprochent du cœur du système d'information. Certains contrats dépassent les 500 000 euros.

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JDN Solutions. Comment avez-vous vécu l'année 2009 chez Smile ?

Patrice Bertrand. L'intérêt pour l'Open Source ne s'est pas démenti en 2009 malgré la crise. Smile a réalisé 10% de croissance organique, et 7 à 8% de croissance par le biais d'acquisitions. Au début de la crise, beaucoup pensaient que les entreprises allaient se tourner massivement vers l'Open Source. A l'époque, je trouvais ces prises de position un peu exagérées. Finalement, ce mouvement s'est révélé en partie vrai.

Côté projets, nous avons signé des contrats de plus grandes envergures fin 2009 et début 2010. Certains atteignent plus de 500 000 euros. Ils portent sur des chantiers plus proches du cœur du système d'information. Force est de reconnaitre que les entreprises sont prêtes à faire confiance à l'Open Source pour leurs systèmes métiers critiques. Nous sommes par exemple intervenus pour mettre en place plusieurs plates-formes d'e-commerce pouvant nécessiter des liens vers l'ERP du client. Ces projets se développent du fait de la maturité de solutions d'e-commerce Open Source comme Majento. Mais c'est avant tout la qualité de cette offre qui a entrainé son adoption, et moins son caractère Open Source.

"95% des instances Amazon EC2 sont basées sur des piles Open Source"

Quelle est votre vision sur l'émergence du cloud computing et du SaaS. Ce nouveau modèle de logiciel fait-il bon ménage avec l'Open Source ? 

C'est l'un des thèmes que nous avons abordé lors de l'Open Source Think Tank 2010 en début de semaine à San Francisco. Un chiffre assez emblématique a été communiqué sur ce point par les acteurs Open Source américains, selon lequel les offres SaaS s'appuient presque systématiquement sur des technologies Open Source. 95% des instances Amazon EC2 sont basées sur des piles Open Source, et majoritairement Linux.

On constate aussi que les éditeurs Open Source se tournent vers le cloud. La mise en place d'une telle offre n'est pas très compliquée techniquement. A plus long terme, on peut néanmoins se demander si ces éditeurs qui utilisaient l'Open Source comme produit d'appel ne seront pas tenter de proposer à la place des offres d'entrée de gamme gratuite en mode SaaS avec un effet marketing équivalent.

Un projet de cloud Open Source a été initié dans le cadre du consortium OW2 (lire l'article). Que pensez-vous de cette initiative ?

Sur la couche infrastructure de services du cloud ou IaaS [ndlr : Infrastructure as a Service], des acteurs sont déjà positionnés. C'est le cas du projet Open Source Eucalyptus qui implante les APIs du cloud d'Amazon. Il permet permet de bâtir un cloud privé ou une plate-forme d'hébergement. La couche haute, SaaS, est plus l'affaire des offres commerciales. Elles présentent un intérêt plus métier et moins technologique.

Mais sur la couche intermédiaire du cloud, qui permet de s'affranchir des contraintes du serveur d'applications, il n'existe pas de technologie Open Source à ma connaissance. Google avec AppEngine, Microsoft avec Azure et Salesforce proposent des solutions PaaS [ndlr pour Platform as a service]. Mais il existe une place à prendre pour l'Open Source pour des acteurs dans le reste du monde, et c'est bien l'une des ambitions du projet que vous évoquez.

Quels sont les autres sujets marquants abordés lors de l'Open Source Think Tank ?

Une question revenait sur toutes les bouches : quelle place prendra l'Open Source dans le domaine de la mobilité ? Pour l'instant, la réponse reste floue. Du côté des plates-formes, on commence à observer des initiatives fortes face à l'Iphone d'Apple, notamment Google Android et plus récemment l'ouverture de Symbian. Ces initiatives devraient être considérées comme avantageuses par les constructeurs.

"Les DSI veulent reprendre la main sur les applications Open Source qui entrent par la porte de service"

Du côté des applications, force est de reconnaître que les développeurs ont du mal à s'intéresser à la mobilité. Ce qui s'explique sans doute par le verrouillage de l'iPhone imposé par Apple. Windows, Blackberry, iPhone, tous les groupes de réflexion du Think Tank centrés sur cette thématique ont pointé du doigt la disparité des plates-formes mobiles comme principal obstacle au développement d'applications, et la nécessité de choisir un système avant de se lancer. Pour ma part, je pense que ce verrouillage ne va pas tenir longtemps. Apple reviendra sur sa décision. Dans le cas contraire, les éditeurs se tourneront à défaut vers la solution du navigateur pour réaliser un déploiement multiplate-formes.

Avez-vous eu des échanges avec des DSI américaines sur la question de l'Open Source ?

A l'occasion du Think Tank, plusieurs DSI de grandes organisations américaines ont présenté des projets d'élaboration de politique Open Source. Parmi ces retours d'expérience figuraient les cas de l'Etat de Californie, de la Bank of America ou encore de plusieurs universités américaines. Ces projets partent du constat que des applications Open Source sont forcément présentes dans les systèmes d'information. Elles sont entrées par la porte de service, sans passer par la DSI ni le département des achats dans la mesure où elles sont gratuites. Ces logiciels ont été installés par des responsables métier qui trouvaient en eux une solution immédiate à un besoin.

Face à ce phénomène Open Source non-maitrisé, les DSI souhaitent reprendre la main, et définir des politiques pour cadrer le choix des offres. Notamment définir des bonnes pratiques en termes de sécurité, de licences, de conformité aux standards internes, mais aussi statuer sur des règles éventuelles en matière de reversement des codes sources. Il est clair que les DSI françaises vont suivre le même chemin, et adopter ce type d'approche.

Patrice Bertrand est directeur général de Smile

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