Pokémon Go, une fin programmée à cause de nombreux bugs ?

Perte d’intérêt pour le concept ou problème de communication de la part de l'éditeur ? Sans réfuter entièrement ces deux alternatives, pour ma part, je penche pour une troisième option : le niveau de qualité de Pokémon Go.

Avec Pokémon Go, le moindre monument ou la moindre sculpture du monde réel prend soudain un intérêt vidéoludique et il ne m’a pas fallu longtemps pour y devenir accro. Seule ombre au tableau : l’application ne fonctionne pas aussi bien qu’elle le devrait. Deux mois après sa sortie américaine, les serveurs commençaient seulement à absorber les millions de joueurs, les très nombreux bugs n’ont toujours pas tous été corrigés et certaines fonctionnalités, plutôt que d’être corrigées, ont simplement été supprimées. Au fil des mises à jour, à force de retrouver les mêmes bugs -et de nouveaux- une question s’est imposée à la testeuse que je suis : cette application a-t-elle seulement été testée avant d’être mise sur le marché ?

En tout cas, peu de chances pour que les tests de charge sur les serveurs aient été suffisants… dès les premiers jours de la mise à disposition de l'application, le nombre d'utilisateurs a dépassé les capacités des serveurs. Certes, c'est un problème assez fréquent dans le milieu du jeu vidéo, au point que lors de la sortie en fanfare de Diablo 3 en 2012, les joueurs ont parfois dû attendre une semaine entre l'installation du jeu et les premières parties ! Comme l'éditeur pouvait difficilement prétendre qu'il ne s'attendait pas au succès du jeu, les rumeurs ont commencé à courir que c'était peut-être un argument marketing. En rendant l'accès au jeu si difficile, Blizzard provoquait le besoin, faisait le buzz. J'ai supposé que Niantic en faisait autant, mais le recrutement d'un expert en serveurs quelquesjours après le lancement du jeu, ainsi que les problèmes de déconnexion récurrents plus d'un mois après, ce sont des signes que l'infrastructure n'a pas du tout été pensée pour gérer autant d'utilisateurs. En conséquence, après un long silence, le studio a annoncé la désactivation de certaines fonctionnalités afin de ne pas surcharger les serveurs. 

Soit, Pokémon Go est plein de bugs, parce qu’il n’est pas vraiment testé, et qu’en réalité, ce sont les utilisateurs qui testent. Après tout, c’est une stratégie, non ? Quand on touche autant d’utilisateurs, ça offre un panel incroyablement efficace pour les tests mobiles. N’importe quel testeur qui a touché un peu au mobile vous le dira, entre les différents OS, leurs différentes versions, les différents appareils, types de connections, espaces de stockage… Impossible de tout tester. Le meilleur moyen d’avoir des retours complets, c’est encore de demander des rapports de bugs aux milliers de joueurs qui seront ravis de faire évoluer leur jeu. 

Forte de cette réflexion, j’ai noté tous mes rapports de bugs dans le but de les fournir, gracieusement, à Niantic. Je vois ça comme un devoir envers ce jeu, en tant que membre de la communauté, en tant que joueuse. J’ai vérifié que ces bugs étaient reproductibles et j’ai détaillé comment les reproduire. Ravie de contribuer à l’amélioration de l’application, j’ai cherché à accéder au formulaire de rapport de bugs. C’est là que ça s’est corsé. Parce que dans un premier temps, trouver le formulaire n’a pas été une partie de plaisir. Il m’a fallu naviguer sur le site, d’une catégorie à l’autre, jusqu’à tomber sur un petit lien en bas de page permettant d’y accéder. Là, j'ai joyeusement entré la première fiche de bug, appuyé sur le bouton pour valider… et découvert dans la foulée un bug bloquant sur le formulaire de soumission de bugs lui-même ! 

Encore une question sans réponse : le formulaire qui ne fonctionne pas, est-ce un signe que la correction des bugs n'est pas une priorité pour Niantic ? Je suis perplexe

Manque de qualification ou manque de moyens ?

Depuis que j'ai commencé ma carrière dans le test logiciel, j'ai souvent entendu parler des soucis posés par les tests réalisés par les utilisateurs eux-mêmes. Ce n'est pas facile d'identifier ce qui tient du véritable problème dans l'application parmi les très nombreux retours utilisateurs. La plupart du temps, ces derniers vont remonter, en vrac, des bugs, des suggestions d'amélioration, des erreurs de manipulation ou des problèmes qui concernent leur appareil (problèmes de GPS, de connexion, de carte mémoire, de processeur… ce ne sont pas les risques de défaillance des smartphones qui manquent). Là où un testeur tente de reproduire les bugs avant de les soumettre, l'utilisateur va souvent faire des captures d'écran d'un événement ponctuel, sans contexte. Niantic n'a peut-être tout simplement pas les ressources nécessaires pour faire le tri efficacement. Même si la firme semble avoir recruté un nombre plus limité de bêta-testeurs (qui postent parfois sur les réseaux sociaux des images de futures fonctionnalités), rien n'assure de leur efficacité. 

A moins que les raisons de ce faible niveau de qualification soient plus stratégiques, car la priorité pour Niantic, c'est de toucher un maximum de joueurs. Peu importe la durée durant laquelle ils utilisent l'application, du moment que ce soit suffisant pour récolter des données à revendre. De ce point de vue, avec 500 millions de téléchargement de l'application et 600 millions de dollars de recette les deux premiers mois de son existence, c'est une réussite. Au détriment, malheureusement, de l'image renvoyée par la société Niantic, et du plaisir ludique des utilisateurs. Nul doute que cette drôle de gestion a contribué au départ à de nombreux joueurs acharnés. Pour l'instant, c'est plutôt bénéfique puisque les serveurs, soulagés de plus de 45% de joueurs, sont bien plus accessibles. Mais cette perte d'intérêt de la part des utilisateurs pourrait compromettre les plans de la firme : comment convaincre les investisseurs d'acheter leur propre pokestop (borne représentant un lieu réel autour de laquelle on trouve des Pokémon) si le jeu est en déclin ? Même s'il est évident que la firme n'a pas encore besoin de cette source de revenus ! 

Il y a un adage dans le monde d’Internet qui s'applique bien a ce contexte : si le produit est gratuit, c'est l'utilisateur qui est le produit. Du coup, même si l'adepte de Pokémon Go que je suis ne peut s'empêcher de trouver des excuses à Niantic, il me faut bien admettre que l'expérience utilisateur n'est pas la priorité. Je ne paie pas, alors je dois me contenter d'un jeu pensé non pas pour me combler mais pour récupérer des données sur moi, mes déplacements, mes centres d'intérêts. Je dois me contenter d'un niveau de qualification peu élevé, parce que je ne mérite pas plus… Les joueurs se sont résignés, parce qu'après tout, quel contrat avons-nous signé ? Les 2 mois, 3 semaines ou 2 jours durant lesquels nous avons joué, nous n'avons aucune idée de combien nous avons “payé” de notre personne. 

Ce qu’il se passe avec Pokémon Go est assez symptomatique de la façon dont sont considérés les tests dans le processus de développement d'un logiciel. Alors qu'ils permettraient d'éviter des coûts supplémentaires de développement et renforcent positivement l'image des entreprises, ils semblent toujours superflus. 

Il est inévitable que les joueurs quittent le jeu : plus le temps passe, moins l'intérêt des joueurs pour l'application compensera les problèmes rencontrés, moins ils auront envie de trouver des excuses à Niantic. Reste à espérer, pour les joueurs qui aiment sortir attraper des petits monstres, que les versions à venir seront un peu mieux testée et donc de meilleure qualité, autrement le succès de l'application aura été de courte durée !