Stanislas de Bentzmann (Devoteam) "Les clients de Devoteam les moins touchés par la crise se sont mis en mode survie"

Le JDN poursuit sa série d'interviews de dirigeants face au coronavirus. Le président et cofondateur de l'ESN française dresse son bilan de la période de confinement.

JDN. Quel est l'impact de la crise du Covid-19 sur vos activités ?

Stanislas de Bentzmann est co-président et co-fondateur de Devoteam. © Devoteam

Stanislas de Bentzmann. Nous avons enregistré un impact différent selon les secteurs d'activité. Les secteurs les plus touchés ont été l'aéronautique, les transports aérien et ferroviaire, l'hôtellerie et l'industrie. On l'a bien vu. Les acteurs positionnés sur ces segments ont dû faire face à une chute extrêmement violente de leur chiffre d'affaires. En fonction de nos bases de clientèles, les géographies ont été plus ou moins touchées. La Scandinavie, où notre emprunte est forte dans le secteur public, a été moins atteinte. De même en Espagne, où nous sommes positionnés dans la santé et les télécoms. En Allemagne et en France, en revanche, où Devoteam est plus présent dans l'industrie, le contrecoup a été important.

Nous avons désormais une visibilité claire sur les conséquences du confinement sur nos résultats au deuxième trimestre. Nous anticipons sur la période une baisse de notre chiffre d'affaires de 5 à 7% (comparé au deuxième trimestre 2019, ndlr). Mais il est encore trop tôt pour estimer l'impact dans les mois qui suivront. Nos clients sont relativement inquiets compte tenu du caractère global de la crise. Au terme du confinement, beaucoup envisagent de revisiter leur base de coûts et leur plan d'investissement. Nous aurons une visibilité beaucoup plus claire en septembre, le temps que les clients prennent la mesure de l'impact sur leurs propres activités. Certains clients dans l'industrie n'ont pas attendu et ont stoppé la plupart des projets et prestations qu'ils nous avaient confiés, et sur lesquels des dizaines voire des centaines de collaborateurs étaient mobilisés.

Des lignes de produits spécifiques ont-elles été impactées ?

Nos clients moins touchés par la crise se sont mis en mode survie. Les systèmes d'information ont été ouverts pour permettre le télétravail et le nombre d'attaques ciblant les grands groupes français, notamment, a très fortement augmenté durant le confinement. Du coup, notre activité de cybersécurité a été soutenue. Paradoxalement, nous n'avons pas eu beaucoup de nouvelles demandes sur la digital workplace. Mais c'est un domaine sur lequel les clients devraient se mobiliser plus activement dans les mois qui viennent, ne serait-ce que pour se préparer à une potentielle nouvelle crise.

"Nous avons enregistré 50% de nouveaux projets en moins pendant le confinement"

Les projets jugés importants ont été maintenus. Mais le lancement de nouveaux a été mis en suspens. Les salariés étant en télétravail et de facto en mode de collaboration dégradé, la situation était peu propice aux nouvelles initiatives. Nous avons enregistré 50% de nouveaux projets en moins pendant la phase de confinement.

Y-t-il des signes de rebond ?

La courbe a commencé à s'infléchir. Il n'en demeure pas moins que cette chute des nouveaux projets s'est étalée sur trois mois, et qu'il est encore prématuré d'estimer l'impact qu'elle va avoir sur nos résultats aux troisième et quatrième trimestre.

Quels sont les premiers enseignements que vous tirez de cette crise ?

Premier enseignement : les crises sont par nature imprévisibles. Il est donc irréaliste de vouloir les anticiper. Partant de là, le levier principal pour les gérer est l'agilité. C'est elle qui permet d'appréhender l'incertitude, l'imprévu total. Une organisation lourde et trop structurée ne permet pas de se transformer à la vitesse de la crise. Deuxième enseignement : le numérique, et en particulier le cloud, la digital workplace, les réseaux ouverts, les API, ont permis de sauver les meubles. Ce qui valide la stratégie de transformation que nous avons amorcée il y a une petite dizaines d'années. Ensuite, cette crise (avec les besoins qu'elle a engendrés en termes de cybersécurité, ndlr) démontre qu'il est important pour Devoteam de se spécialiser.

Enfin même si nos clients vont certainement réaliser des économies à court termes ils ne pourront pas faire l'économie d'une accélération de leur transformation digitale à moyen terme. Les entreprises qui n'avaient pas pris le virage du cloud et du SaaS ont été infiniment plus touchées. Leurs collaborateurs n'ont pas pu travailler dans de bonnes conditions. En même temps, le confinement a poussé les consommateurs à adopter plus massivement le digital. Ce qui va engendrer des changements de comportement profonds vis-à-vis du numérique que les entreprises devront également prendre en compte.

Comment jugez-vous les changements d'organisation qui ont eu lieu, notamment en matière de télétravail ?

Je suis persuadé que le télétravail va massivement s'installer, et les mètres carrés de bureau diminuer. Ce qui impliquera pour les entreprises de revoir leur mode d'organisation et de gestion RH. Les collaborateurs devront être formés à ce nouveau mode de fonctionnement. Le télétravail implique de l'autodiscipline et de la structuration pour être aussi efficace que le présentiel. Les salariés le réclament, et les directions générales ont pris conscience que c'était possible et que la technologie pour le mettre en œuvre était mûre.

Le télétravail a beaucoup d'avantages. En évitant les inconvénients et la fatigue du temps transport, les collaborateurs gagnent en concentration et en efficacité. Sans compter un meilleur impact carbone. Eviter les déplacements permet aussi d'être plus ponctuel pour les réunions. Les meetings sont organisés avec des temps de parole optimisés. En revanche, le télétravail est peu propice au débat, à la créativité. Ce qui implique de conserver une partie du temps en présentiel, et de réserver cette plage aux réunions, aux brainstormings, à la dynamique de groupe. Nous avons prévu chez Devoteam de nous pencher sérieusement sur le sujet.

Stanislas de Bentzmann est diplômé de l'INSEEC et titulaire d'un BA en marketing de l'Université de San José (Silicon Valley). Il a rejoint le groupe Randstad comme directeur régional, avant de piloter l'intégration d'une société nouvellement acquise. En 1995, il crée Devoteam avec Godefroy de Bentzmann. Il est aujourd'hui co-président du directoire de Devoteam.

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