Comment l'IA peut sublimer la relation dans le luxe ?

Le point sur quatre facteurs clés de réussite de transformation autour de la data et de l'intelligence artificielle dans le secteur du luxe.

Dans un secteur comme le luxe où l’expérience détient autant de valeur que le produit lui-même et où personnalisation et qualité de la relation humaine font excellence, comment sublimer l’expérience par la data ? Quelle valeur supplémentaire l’IA peut-elle apporter dans la relation ? Quels points d’attention dans un secteur où une mauvaise interprétation et activation de la donnée n’est pas permise ?

Les opportunités portées par la data au service de l’expérience de luxe

Les maisons de luxe ne sont pas les pionnières dans l’utilisation des données et de l’IA à cause des freins historiques du secteur. Concentrées sur l’artisanat au cœur de leur ADN et sur les canaux traditionnels de vente, et des relations intuitu personae, les marques ont avancé plus tardivement dans leur transformation digitale, qui va de pair avec la transformation data. Coté clients, encore aujourd’hui, 92% des consommateurs de luxe préfèrent acheter en magasin[1].

Cependant, face à la crise du Covid-19, à ces changements de comportement des consommateurs dans le secteur, ainsi qu’à l’émergence des DNVB (digital native vertical brands) qui fondent leur business sur l’exploitation des données et le numérique, les marques de luxe se sont mises à rattraper leur retard. D’autant plus que, d’ici 2025, 20% des achats dans le luxe seront effectués par les millenials[2], la génération qui a déjà l’habitude d’acheter des bijoux et des sacs via les chatbots et de vivre les expériences digitalisées dans la plupart des boutiques.

Louis Vuitton est la première maison de luxe à lancer son chatbot sur Facebook Messenger : permettant de chercher des produits, les partager avec des amis, demander du conseil… Ce chatbot, qui atteint déjà 5 000 demandes par mois, est un vrai succès du secteur.

Mais au-delà des nouveaux canaux de vente, le luxe est un secteur où l’expérience et le service sont tout aussi importants que le produit en soi. Aujourd’hui, de nombreuses marques de luxe investissent dans l’intelligence artificielle pour pousser encore plus loin l’expérience notamment via le clienteling : l’application qui permet aux conseillers d’identifier quel client contacter et avec quel message. Cette approche a été adoptée par plusieurs marques des groupes LVMH (Céline) et Kering (YSL, Bottega Veneta, Gucci).

Prenons l’exemple de l’accueil dans une boutique de mode. Lorsqu’un client fidèle rentre dans un magasin, le conseiller peut le reconnaître tout de suite. Via l’application sur son iPad, il a accès à son profil client, son historique d’achat et à des recommandations automatiques personnalisées pour ce profil. Grâce à "l’accueil parfait", le conseiller va renforcer la vente, mais aussi le lien d’excellence avec le client et laisser l’impression d’une expérience sans faille. C’est grâce aux analyses prédictives et à son application de clienteling, que le conseiller en boutique a une connaissance approfondie de sa clientèle. Ces méthodes analytiques permettent d’identifier les clients à haut potentiel dès leurs premiers achats, de mieux les transformer en "repeaters", d’identifier les bons messages et la parfaite cadence des campagnes marketing.

Ces usages de la data permettent en définitive aux marques haut de gamme de pousser encore plus loin l’ultra-personnalisation, tout en la laissant à la main du conseiller personnel de vente, qui tient un rôle clé dans la relation avec les clients dans le secteur.

L’hôtellerie haut de gamme n’est pas exclue dans l’exploitation de la data pour délivrer un service d’excellence. Qu’est-ce qu’une arrivée parfaite dans un hôtel ? Suite à votre précédent séjour, la marque vous recommande une sélection de destinations et d’hôtels à découvrir, vous êtes reconnu comme client fidèle à la réception et l’enregistrement est déjà fait : vous pouvez le faire à distance depuis le taxi, et dans la chambre, dont la température est réglée au préalable selon vos préférences, la bouteille de votre vin préféré vous attend. Tout cela est possible aussi grâce aux analyses de comportement et segmentations client, au service de tous les métiers : du CRM et au marketing digital à la réception de l’hôtel. Par ailleurs, toujours suite à ce séjour, l’équipe e-commerce pourra recibler ce même client avec les bonnes campagnes pour le faire revenir. Le tout orchestré parfaitement avec la posture d’empathie, de bienveillance et de centricité client des équipes au contact du client, formées par les grands hôtels. 

En définitive, il s’agit d’exploiter la manne de données clients disponibles, et réussir à les scénariser dans une posture de service client.

Comment réussir sa stratégie de transformation autour de la data et de l’IA ? 4 clefs de réussite.

1. Éviter l’impair auprès des clients dans un univers d’excellence

Une base de données de bonne qualité est primordiale. En effet, partir d’une base de mauvaise qualité (avec les données incomplètes, fausses, en doublon…) peut rapidement impacter négativement l’expérience client à tous les niveaux : à partir d’un mail incorrect envoyé au client jusqu’aux fausses prédictions de CA et de comportement de consommateurs. Les analyses descriptives viennent avant les prédictives : la connaissance client basée sur les données existantes est essentielle. 

Dans le secteur du luxe, les attentes en termes de qualité de l’expérience sont telles, que l’erreur parfois tolérée dans d’autres secteurs, aura des impacts catastrophiques sur la satisfaction des clients du luxe.

Habitués au cousu main, les clients du luxe s’attendent à la perfection et la reconnaissance de leur parcours avec la marque. Pas question donc de pousser un email bijoux fantaisie à un homme client de l’horlogerie, un message en anglais à un client francophone, ou de ne disposer que d’un historique de séjour incomplet dans un hôtel limitant la personnalisation de l’expérience du deuxième séjour…

2. Entreprendre le chantier de la gouvernance de la donnée

Pour réussir sa stratégie basée sur l’IA, l’entreprise doit prendre les décisions importantes au niveau de la gouvernance : qui prend les décisions sur l’organisation et l’usage de la data ? Faut-il créer une équipe dédiée ? Introduire les data scientists dans l’équipe digital ou IT ? Ou bien faire appel aux partenaires ?

L’IA est souvent un sujet transverse qui impacte plusieurs équipes au sein d’une maison. L’usage de la data va aujourd’hui au-delà du département marketing et CRM et touche aussi les équipes produit, logistique et retail. Les bonnes intégrations des flux de données sont les fondations du bon fonctionnement de l’entreprise (activations marketing, ventes en magasin, livraisons et retours, service client).  Il est donc essentiel de recenser toutes les sources des données, prioriser les plus fiables et dédier des ressources à la bonne gouvernance de la data au niveau global. Plus les données sont centralisées, plus ils ont de la valeur.

Dans les grands groupes qui rassemblent plusieurs marques, il n’est pas question de centraliser les données cross-clients mais de créer un centre d’innovations data mutualisés au niveau groupe, et qui accompagnent ensuite les différentes marques du groupe dans leurs stratégies d’activations de la data et d’IA.

3. Rassurer sur la collecte et l’usage de la donnée, afin d’allier ultra personnalisation et discrétion…

Comment maintenir la discrétion légendaire dans le luxe autour des clients, de leur profil, leurs habitudes et préférences, tout en poussant l’usage de la data et des applications IA ? Plus la data collectée est intime (ex : préférences de matières, de coupes, de type de chambre, le nombre et les prénoms d’enfants, de conjoint, profession …), plus la valeur ajoutée qu’elle doit apporter au client doit être forte.

Le principe clé est la transparence vis-à-vis du consommateur :  quelles sont les données collectées et à quoi sert la collecte, et de lui donner le choix de consentement au traitement de ses données. Une fois le consentement du client obtenu, la maison peut personnaliser ses interactions et développer la relation avec lui.

Un autre risque à éviter est la dépendance vis-à-vis de la data. Si les analyses prédictives vous disent que ce client a une préférence pour un parfum particulier selon ses dernières visites, il ne faut surtout pas lui pousser le même produit à chaque occasion, ou, dans le cas d’hôtellerie, de servir sa boisson préférée au petit déjeuner, goûter et dîner.  Si l’IA ouvre un champ des possibles, elle reste un outil au service du secteur et des métiers qui l’exploitent pour optimiser leurs performances. Attention à ne pas aller trop loin et à ne pas perdre ce qu’un algorithme ne peut remplacer (pour le moment), c’est-à-dire ce qu’un conseiller de vente ou un concierge seul pourrait capter : l’état d’esprit, le moment, l’émotion. 

4. Prendre la route de l’IA, mais sans perdre de vue que l’émotionnel reste au cœur de l’expérience client dans le luxe

Avant que la pandémie accélère la digitalisation et l’e-commerce, les consommateurs préféraient les expériences uniques aux produits, surtout dans le luxe (d’où l’ambition des marques de créer des expériences en plus des collections : les pop-ups, les événements privilège, les expositions, l’hôtellerie…[3]).  Cette tendance se poursuit malgré le Covid : par exemple, Chanel a ouvert les portes de ses boutiques de joaillerie aux client VIP, en leur proposant un accueil privilégié.

Aucune notification push personnalisée ne remplacera une carte manuscrite, de la part du conseiller, de la créatrice de la robe ou du directeur de l’hôtel.  L’humain est la vraie valeur ajoutée du luxe. L’accueil, l’accompagnement, l’attention portée au client créent un moment singulier et une relation d’exception. L’effort data que poursuivent aujourd’hui les maisons de luxe doit sans cesse s’évaluer à l’aune de la valeur apportée aux clients et toujours répondre à la question suivante : comment l’IA peut m’aider à fluidifier, accélérer ou augmenter mes interactions avec les clients ?

[1] Fashion Network, 2020

[2] BCG & Altagamma, 2019

[3] State of Fashion 2021