Dick Sullivan (EMC) "Il faut être sérieux, le véritable green IT, c'est le boulier"

Pour cet expert de l'efficience énergétique, le green IT n'est que la conséquence de gains de compétitivité. Mais cela n'empêche pas les entreprises d'avoir conscience des questions environnementales.

Vous travaillez sur la question de l'efficience énergétique et du développement durable. Donc pour vous le green IT dépasse le simple cadre de l'environnement ?

Si vous voulez faire strictement du green IT, vous devriez acheter un boulier, ou utiliser vos doigts ! L'idée même du Green IT est anormale et ne se pose pas en des termes absolus. C'est en étant plus efficient qu'il est possible d'avoir un geste écologique, mais le but même du business, c'est d'utiliser l'électricité pour bénéficier d'un gain de compétitivité vis-à-vis de la concurrence.

Si vous voulez être vraiment green, il vous faut débrancher tous vos équipements, ce qui va bien évidemment rendre vos clients sceptiques ! C'est pourquoi nous parlons aujourd'hui d'efficience plus que de green IT.

Oui mais la question de l'efficience de la consommation énergétique des systèmes d'information est aussi récente que celle du green IT. Depuis quand est-ce une préoccupation pour EMC ?

La recherche de l'efficience n'a pas commencé comme vous le dites il y a quelques années seulement. Les produits de stockage que nous avons proposés dès la fin des années 80, les systèmes symétriques, étaient déjà plus efficients que ceux de nos concurrents.

Mais il est vrai que par la suite, les acteurs de l'informatique se sont beaucoup plus concentrés sur la question du bug de l'an 2000. Et puis ensuite, la question de l'efficience est revenue sur le devant de la scène.

"A Paris, New York, ou Londres, il n'y a plus assez d'électricité pour tout le monde"

Il faut dire que depuis deux ans on assiste à la croissance générale de l'IT dans l'entreprise. Dans le même temps, le coût de l'énergie s'est accru. Dans des villes comme Paris, New York, ou Londres, il n'y a plus assez d'électricité pour tout le monde. En fait, la production électrique est en croissance, mais pas assez pour combler la demande grandissante.

Mais la question de l'énergie devient aussi sociétale. Avant, cela n'était qu'une question de business. Aujourd'hui, on se met à parler d'empreinte écologique, de manière de consommer, d'impact sur l'environnement et d'impact sur nos petits-enfants...

Mais pensez-vous réellement que les entreprises ont une conscience écologique ?

Pour beaucoup d'entre elles c'est le cas. 60% des chefs d'entreprises qui sont nos clients ont des préoccupations sur la manière dont ils pratiquent leur business, et font du business avec des entreprises qui ont des politiques environnementales. L'impact du consommateur final, qui a une démarche individuelle et responsable est essentiel dans leur prise de conscience.

Certes, mais un nombre important d'entreprises IT ont des relations de type BtoB, donc la prise de conscience par le consommateur final n'existe pas. Le coût reste quand même un levier de choix majeur, non ?

C'était peut être le cas encore il y a deux ou trois ans, mais il y a des signes de changement évidents. En fait, les décideurs aujourd'hui regardent les multiples bénéfices de l'optimisation d'un point de vue environnemental, d'un point de vue économique et d'un point de vue business.

"Beaucoup de consommateurs voient croître les données, et n'ont aucune idée de ce qu'est l'information"

Et en plus, le coût n'est pas la seule problématique ! Beaucoup de consommateurs voient croître les données, et n'ont aucune idée de ce qu'est l'information. Nous voulons réfléchir en terme de technologie de l'information, alors que la plupart des gens dans le domaine de l'IT pensent en tant que technologistes : en termes de service, de système de stockage, de vitesse de rotation des disques durs,...

Si l'on prend la perspective informationnelle, on peut simplement considérer que la technologie est là comme un outil, mais que les sujets d'importance sont "d'où vient l'information ?", "comment puis-je la contrôler ?", "quelle est sa valeur ?", "est -ce que je possède un responsable de la qualité de mes données ?".

Donc pour vous, la question de la gouvernance est essentielle ?

Oui, le problème de la croissance des données, c'est qu'il n'y a aucune gouvernance pour la maîtriser. Sur la question de l'optimisation du stockage par exemple, c'est très souvent une discussion autant organisationnelle que technique.

Et en conséquence, c'est la question du périmètre des responsabilités qui se pose. Je connais un DSI qui a négocié que la consommation électrique de son système d'information soit intégrée à son budget de manière à ce qu'il puisse facturer à ses consommateurs en interne le coût réel de son service, en incluant l'électricité. Ce coût a pratiquement doublé la facture pour certains d'entre eux. Et donc ils se sont mis a réfléchir différemment sur leur consommation !

EMC possède VMware, l'acteur majeur de la virtualisation. Que change cette technique en termes de consommation d'énergie ?

La gouvernance, le cloud computing, tous ces sujets sont reliés les uns aux autres, et la virtualisation est ce qui rend tout cela possible. Il y a deux ans, rien de tout ceci n'existait. Aujourd'hui par exemple, le Nasdaq n'a pas de centre de données physique. Leur système d'information est complètement virtuel, dans le cloud et réparti autour des Etats-Unis.

Mais la virtualisation n'est pas tout en termes d'efficience de la consommation d'énergie. Aujourd'hui, la moitié de la consommation électrique de l'IT se passe à l'extérieur du centre de données, sur le poste de travail, sur l'imprimante, sur le réseau, ...

Donc si je suis en charge de l'IT de mon entreprise et que mon directeur général me demande de réduire la facture d'électricité, je dois avant tout regarder à l'extérieur de mon centre de données pour réduire les coûts. Et si je choisis de passer à la virtualisation, c'est parce que mon infrastructure sera plus efficace ainsi, avec moins de serveurs physiques dans le centre de données.