2029 : l’année où le logiciel devient créateur d'entreprise
La puissance de calcul des ordinateurs double chaque année, si bien qu'en 2029 l'intelligence artificielle sera si proche de l'intelligence humaine qu'il n'est pas exclu qu'elle puisse créer des entreprises à la place même des Humains. Petite mise en situation fictive avec un service web.
C’est un fait, la puissance de calcul des ordinateurs
mesurée par le nombre de transistors par circuit imprimé double chaque année
depuis le début des années 1970 : c’est la fameuse loi de Moore, que rien ne
devrait faire mentir pour encore au moins 30 ans, de l’avis des spécialistes du
secteur. Il s’agit là d’une croissance exponentielle que peu anticipent ou
comprennent : les êtres humains, et en premier lieu les économistes qui
réfléchissent à l’avenir, ont tendance à regarder derrière eux, puis à
simplement prolonger les courbes de façon linéaire.
Le piège : le début d’une croissance
exponentielle ressemble à s’y méprendre à une croissance linéaire.
Cette fois-ci, tout sera donc différent
On ne parle pas simplement d’aller plus vite ou plus loin comme lors de la révolution
industrielle, mais de se rapprocher de ce qui fait de nous des Hommes : notre
capacité à identifier des objets et des comportements dans l’espace et dans le
temps, notre capacité à comprendre les langues, à faire preuve d’esprit d’analyse
et de synthèse, à formuler des hypothèses, à faire des analogies, etc.
Stephan Hawking, physicien théoricien et cosmologiste
britannique émérite pense que la Machine deviendra plus intelligente que l’Homme
au cours du XXIème siècle. Ray Kurzweil, informaticien américain, entrepreneur
en série, inventeur plusieurs fois récompensé et aujourd’hui « director of engineering »
chez Google prévoit que cela se produira dès 2029, l’année où l’Homme sera
dépassé par la Machine, le début de la toute aussi fameuse Singularité.
Permettez-moi de m’inscrire dans cette tendance et d’imaginer
avec vous comment le Logiciel, ou la Machine, appelons cela comme on veut,
pourra demain créer une entreprise grâce aux formidables capacités de traitement
de l’information bientôt accessibles. La date de 2029 est, vous l’aurez compris,
avant tout symbolique, cela pourra être un peu après, voire un peu avant, mais
très certainement au cours du XXIème siècle, probablement dans sa première
moitié.
Considérons le créneau des services internet BtoC
Toute
démarche entrepreneuriale part d’une intuition, par exemple qu'un certain public serait prêt à acheter des cartouches d’encre en ligne. L’entrepreneur va ensuite
effectuer une étude de marché, faire des recherches, regarder si des
entreprises existent déjà sur ce créneau dans son pays et/ou à l’étranger.
Si
les signaux sont encourageants, il rédigera alors sans doute un business plan
et ira le défendre avec énergie devant des business angels, afin de lever de
quoi développer un site et financer via par exemple de l’achat média l’acquisition
d’utilisateurs qu’il espèrera transformer en clients. Grâce à une multitude de
tests A/B, il peaufinera son site, s’efforcera de maximiser les taux de transformation
à chaque étape pour minimiser le coût d’acquisition d’un client et maximiser sa
life time value. En chemin, il aura
peut-être à recruter des employés et à négocier avec des partenaires.
Voyons maintenant comment la Machine pourra bientôt se
substituer à notre entrepreneur en chair et en os.
La Machine, pour avoir cette intuition, pourra
commencer par analyser les comportements des consommateurs de son époque dans
le pays cible, les comparer à ceux d’autres pays partageant suffisamment de caractéristiques
socioculturelles, discerner des écarts, procéder à des analogies, déduire que
si telle population consomme tel produit alors compte tenu de circonstances X
et Y, elle a tels pourcents de chance de plébisciter tel service.
Cela peut
commencer par un logiciel qui compare le volume de certaines requêtes sur Google
et le coût par clic demandé en face : si une requête est très souvent
renseignée, et que personne n’enchérit dessus, sans doute y a-t-il de la place
pour un nouveau service web qui en monétiserait la réponse d’une façon ou d’une
autre ? Cela supposera aussi d’avaler, croiser et interpréter des milliers
d’articles de presse, de tableaux, d’études chiffrées. Cela suppose de pouvoir
comprendre le langage, de pouvoir traduire automatiquement un texte d’une
langue à l’autre, de pouvoir reconnaître au-delà des mots, des concepts.
Impensable ?
Deux exemples sur l’état de l’art pour s’en convaincre :- Saviez-vous par exemple que là où il fallait jusqu’il
y a peu des millions de dollars, des mois et des équipes entières d’avocats
pour éplucher des milliers de dossiers et effectuer des recherches ciblées, de
nouveaux logiciels d’analyse sémantique permettent de réaliser le même travail
en quelques jours à un coût cinquante fois moindre. Ces logiciels, plus que de
simples mots, peuvent reconnaître des concepts et détecter la paraphrase (voir
l’article du NYT).
- Le logiciel Watson d’IBM a récemment gagné en finale contre les champions humains de la version américaine de « Questions pour un champion », l’émission aux devinettes truffées de subtiles références culturelles arrosées d’indices byzantins. (voir la vidéo).
La rédaction d’un tel document ne relève pas du génie
d’un romancier, elle suit des codes bien précis, un plan classique. Une
formalité pour notre Machine qui rédige à la volée des phrases et des schémas
porteurs de sens avec le degré de concision voulu par les financiers. Encore
une fois, ceci n’a rien d’original, Philip
Parker, professeur à l’INSEAD, a déjà pu mettre au point un logiciel rédigeant à la
chaîne des ouvrages techniques. Plusieurs centaines de milliers de titres
différents nés ex machina sont en vente sur Amazon !
Grâce aux tout derniers
logiciels de text-to-speech et d’animation, une présentation orale de 20
minutes est générée instantanément. Elle sera effectuée par un avatar projeté
en 3D sur un écran géant, sous les ors et lambris d’une pièce cossue d’un vieil
immeuble parisien où siège un fonds d’investissement.
Le personnage en 3D, qui
par exemple pourra reprendre l’apparence, la dégaine et le jeu de scène de
Steve Jobs, articulera à coups de
mimiques faciales théâtrales, de gestes calculés et de changements d’intonation
étudiés pourquoi nos amis financiers devraient bien mettre un billet sur cette
toute nouvelle révolution. Quand on voit où en est la
technologie de synthèse vocale d’Acapela, et quand on sait que des
logiciels permettent déjà d’écrire automatiquement
des articles sportifs, tout ceci paraît moins farfelu.
Si tant est qu’un
investisseur pionnier daigne suivre notre Machine, il ne lui reste plus qu’à
développer le site Web : pour cela, une petite analyse des sites au
business-model similaire, un peu de « reverse
engineering », d’hybridation de bouts de code disponibles en open
source et le tour est joué. Le site sera en fait développé d’entrée en
plusieurs versions, des tests A/B seront menés perpétuellement pour tenter de
voir ce qui transforme le mieux. Une dose de hasard permettra de tenter des combinaisons
ergonomiques auxquelles aucun être humain n’aurait pensé, les meilleures
itérations sont conservées et servent de support pour les suivantes. Bienvenu
dans l’ère de l’Evolutionary Computing.
La Machine sait aussi acheter et gérer des campagnes d’achat média ciblées en
optimisant en temps réel au coût par action, en prenant en compte la lifetime value calculée de chaque prospect.
La Machine aura
peut-être besoin de négocier en chemin avec des fournisseurs ou partenaires,
elle évalue ce dont elle a besoin, et formule une offre par email ou au téléphone
via à nouveau la synthèse vocale. La Machine sait jusqu’où elle peut monter en
terme de prix, et sait donc quand interrompre les négociations, elle sait aussi
moduler le ton pour faire passer un message tantôt d’ouverture, tantôt de
fermeté.
Enfin cette Machine
aura peut-être besoin d’employer un de nos congénères homo sapiens, dont les
primes voire le maintien dans l’entreprise seront soumis à l’atteinte d’objectifs
quantifiés précis. Tout sera mesuré, comme par exemple le temps moyen mis pour
écrire un e-mail. Il deviendra vain d’essayer de jouer sur les sentiments pour s’attirer
la clémence de son moteur, tout aussi vain que d’essayer d’amadouer un radar
automatique sur l’autoroute.
À force de permutations
et d’essais, notre Machine finit par trouver la martingale gagnante, l’argent peut
affluer sur le compte de cette entreprise « inhumaine » !
Après tout, qu’est-ce
qu’entreprendre dans le web, sinon taper sur les bonnes touches et prononcer
les bons mots au bon moment aux bonnes personnes ? Un double problème de
création et de curation que la puissance de calcul de demain viendra résoudre. Face
à l’imminence de la Singularité, même les entrepreneurs doivent s’inquiéter.