CES 2020 : boudée par le grand public, la réalité virtuelle se réfugie en entreprise

CES 2020 : boudée par le grand public, la réalité virtuelle se réfugie en entreprise De nombreuses start-up du secteur ont présenté au salon CES de Las Vegas des appareils et applications dédiés aux professionnels de l'industrie, du tourisme ou encore de l'éducation.

Qu'il semble loin, le temps des mirobolantes prédictions des consultants sur le potentiel de la réalité virtuelle (VR) et de la réalité augmentée (AR). Plus de cinq ans après le rachat d'Oculus par Facebook pour trois milliards de dollars et la course à l'innovation entre grands groupes qui s'en suivit, les ventes ne connaissent pas la croissance à laquelle s'attendait l'industrie. Cette année, au Consumer electronics show (CES) de Las Vegas, les entreprises travaillant sur ces technologies étaient toujours présentes en nombre. Si la plupart continuent à croire dans son potentiel auprès du grand public, d'autres se détournent des premières applications de la VR, les jeux vidéo et le divertissement, pour adresser les besoins des entreprises.

 "Il y a eu beaucoup d'espoir et une certaine déception", confirme Antoine Jeannin, PDG de la start-up française Seenetic VR, qui commercialise un appareil censé supprimer les nausées rencontrées par les utilisateurs des casques VR. "Il y a ce problème de nausées, les contenus ne sont pas forcément adaptés, et les appareils trop onéreux", analyse-t-il. "La VR n'a pas moins de défauts pour des applications BtoB, mais si les professionnels y trouvent un intérêt, ils passeront outre ces problèmes. Il n'y a par exemple pas de meilleure interface pour la formation que la VR".

"Il n'y a pas de meilleure interface pour la formation que la réalité virtuelle".

La start-up britannique RiVR s'est justement positionnée sur ce créneau de la formation. Elle commercialise pour 15 000 dollars une grosse malle contenant 15 casques VR de la marque chinoise Pico (elle aussi centrée sur des appareils haut de gamme pour professionnels) ainsi qu'un ordinateur portable avec des programmes de formation. Le formateur peut contrôler depuis l'ordinateur les contenus transmis aux 15 casques, réaliser des annotations dans les vidéos, ou encore communiquer avec les élèves via un micro. Une technologie adaptée aux classes, mais aussi aux formations professionnelles : RivR a par exemple réalisé des programmes de formation pour les chauffeurs de bus de l'autorité de transports londonienne ainsi que des unités de pompiers et de police britanniques.

Dans la même veine, le Chinois Emdoor VR développe ses propres casques de VR accompagnés d'applications dédiées aux entreprises, dans l'éducation, l'industrie, la santé ou le tourisme. Son compatriote Maxst propose un kit de développement (SDK) permettant aux entreprises de créer leurs propres applications en réalité augmentée pour smartphones ou lunettes. Il revendique plus de 6 000 applications développées via son SDK. Aux Etats-Unis, ThirdEye propose des lunettes de réalité mixte (un mélange de réalités virtuelles et augmentées) ainsi qu'un écosystème d'applications industrielles. Elles sont notamment utilisées par Boeing et l'opérateur télécom américain Verizon. Dans le très haut de gamme, citons également Varjo, dont les casques de VR et de réalité mixte dédiés aux professionnels sont vendus entre 5 et 10 000 dollars.

Pas toujours approprié

Mais en BtoB aussi, ces technologies ont leurs limites. Par exemple, les lunettes de réalité augmentée ne sont pas forcément adaptées à des usages prolongés en entreprise. "On peut difficilement porter un dispositif de réalité augmentée plus de deux heures, il faut le recharger, il y a de la latence et il faut éviter de trop bouger pour que les contenus virtuels affichés restent calibrés sur les objets réels", énumère Paul Ryznar, PDG de la société américaine Light Guide Systems. Elle développe une solution de réalité augmentée qui guide les employés d'usines automobiles (Toyota, GM, Faurecia, Tesla…) pas à pas dans l'assemblage de pièces complexes. Elle a choisi de limiter au maximum l'usage de lunettes de réalité augmentée (maintenance hors d'usine, milieux de travail exigus…), lui préférant un puissant projecteur vertical, qui permet aux employés de suivre toutes les instructions sans détourner le regard et d'afficher des indications directement sur les pièces en cours de montage.

La VR et l'AR grand public sont toutefois loin d'être enterrées. Au CES, des start-up tentent de rendre l'expérience toujours plus immersive en reliant les appareils à des sièges (Selcos) des combinaisons (B Haptics, Teslasuit) ou encore des bornes d'arcade (VR2CO). Antoine Jeannin voit des raisons d'espérer. "Nous allons vers une deuxième génération d'appareils moins chers, moins encombrants, et dont les performances ont beaucoup progressé. La qualité des contenus s'améliore aussi et de nouveaux concurrents comme PiMax et Varjo apparaissent." De premiers signaux positifs émergent. Sony a annoncé au CES avoir franchi la barre des cinq millions de casques PS VR (reliés à sa Playstation) vendus depuis 2016, même si la croissance de ces ventes a déjà commencé à ralentir. De son côté, Facebook a vendu 400 000 casques Occulus Quest depuis leur lancement en mai 2019 et 180 000 rien qu'au troisième trimestre 2019, selon SuperData Research. Par ailleurs, Apple compte entrer sur le marché en 2022 (selon The Information et Bloomberg) avec un casque de réalité augmentée, ce qui pourrait attirer utilisateurs et développeurs. Après avoir surfé une énorme vague d'enthousiasme, la VR et l'AR devront apprendre à naviguer en eaux calmes.