Bill Gross (Fondateur & CEO d’Idealab) "Les fondateurs de Google nous ont suggéré de fusionner en 1999, mais mon conseil d'administration a refusé"

Pionnier de la publicité en ligne avec le moteur Goto.com, le serial-entrepreneur Bill Gross revient sur la création du modèle CPC et annonce réfléchir à un nouveau modèle visant à monétiser les contenus créés par l'IA.

JDN. Vous êtes connu pour avoir été l'un des pionniers du modèle publicitaire pay-per-click avec le lancement de votre moteur de recherche Goto.com en 1998. Quel problème cherchiez-vous à résoudre ?

Bill Gross est le fondateur et CEO de l'incubateur Idealab. © Idealab

Bill Gross. A cette époque, les entreprises achetaient des bannières sur différents moteurs ou portails sans prendre en compte le contexte d'une recherche. La présence de spam dans les résultats de recherche empirait. Ce problème était lié à la manière dont les sites Web étaient classés, avec comme critère la fréquence des mots contenus dans une page. Par exemple, si vous recherchiez le mot "automobile", la page contenant quatre fois ce mot était mieux classée que celle qui le faisait apparaître trois fois. Ce n'était pas une bonne méthode pour juger de la pertinence d'un site Web. Google a résolu ce problème en inventant le pagerank et en utilisant les liens entrants pour estimer la pertinence d'une page. J'ai réfléchi pendant près d'un an à une solution à ce problème, avant d'avoir l'idée de permettre aux annonceurs d'enchérir sur des mots clés pour ainsi diffuser des annonces de manière pertinente.

Quelles ont été vos inspirations pour développer ce modèle, initié par Open Text en 1996 et adopté par la suite par Google avec Adwords ?

Je me suis inspiré du modèle des Pages Jaunes :  lorsque vous consultez la section "plombier", vous tombez naturellement sur des publicités diffusées par des plombiers. Etre présent dans une autre section pour un plombier serait simplement un gaspillage d'argent. En 1998, je conseillais déjà à la vingtaine de start-up issues de notre incubateur Idealab, qui achetaient des bannières au CPM, de réaliser plusieurs versions d'annonces afin de calculer le coût par clic. L'objectif était de mesurer la performance en comprenant quelles annonces et quels sites Web apportaient le plus de visiteurs.

Mon idée a été de de diffuser des publicités en fonction de mots-clés acquis via un système d'enchères et de ne payer qu'au clic. Ce système des liens sponsorisés a tout de suite fonctionné car les annonceurs comprennent la valeur qu'ils pouvent en tirer.

Pourquoi ne pas avoir breveté votre invention ?

Lorsque j'ai dévoilé cette idée du modèle CPC lors d'une conférence TED en 1998, je ne savais pas que je disposais d'un an à partir de cette révélation au public pour déposer un brevet. Il me semble d'ailleurs que cette règle a changé depuis. Pour être honnête, je n'étais pas très préoccupé par cet aspect lié à la propriété intellectuelle à l'époque. En 2001, l'entreprise s'est renommée Overture Services. Nous avons par la suite réussi à breveter certains éléments, ce qui a permis de trouver un arrangement financier avec Google pour près de 360 millions de dollars. Pour autant, il était trop tard pour breveter l'élément principal, à savoir le modèle de monétisation au CPC, dont la valeur était probablement de plusieurs centaines de milliards de dollars.

Est-il exact que, à l'occasion d'une rencontre avec les fondateurs de Google lors d'une conférence, ces derniers ont décliné votre proposition de fusionner vos deux moteurs de recherche ?

C'est en réalité le contraire qui s'est produit. Nous étions en 1999 et Overture disposait d'une capitalisation boursière d'environ 2 milliards de dollars, selon mes souvenirs. Les fondateurs de Google nous avaient suggéré de fusionner. Ils souhaitaient se faire racheter pour environ 10% de la valeur de notre entreprise, soit près de 200 millions de dollars. A cette époque, ils disposaient d'une technologie incroyable mais ne généraient pas  de revenus. Certains membres de notre conseil d'administration pensaient qu'acquérir une entreprise sans revenus pour une telle somme n'avait pas sens. J'étais furieux de cette décision que je trouvais véritablement stupide. Pour autant une majorité des sept membres du conseil a voté contre et j'ai dû me résoudre à l'accepter. Ce fut une terrible erreur.

Pourquoi ne pas avoir copié, en retour, le fonctionnement de l'algorithme de Google ?

Nous aurions probablement dû. Mais à cette époque, notre entreprise gagnait tellement d'argent que nous n'avions pas réellement de pression en interne pour essayer de nouvelles choses. Notre moteur de recherche excellait pour les recherches en lien avec le commerce et les achats, comme des chaussures, des vêtements, des voitures... De son côté, l'algorithme de Google se montrait meilleur pour rechercher toutes sortes d'informations. Conscient de cette menace, je me souviens avoir dit à plusieurs reprises à la direction de l'entreprise qu'il était primordial d'améliorer la pertinence de nos résultats de recherches au-delà du commerce, mais je n'ai pas été entendu. Finalement, Overture a été racheté en 2003 par Yahoo, notre principal client.

Aujourd'hui, les chatbots basés sur l'IA, tels ChatGPT, sont en train de se faire une place aux côtés des moteurs de recherche. Croyez-vous que le modèle CPC pourrait permettre de monétiser ces nouveaux outils ?

Le search est en train d'évoluer d'un moteur de recherche vers un moteur de réponsesJe crois que la monétisation de ces chatbots se fera à travers une combinaison de plusieurs sources de revenus : l'abonnement, le paiement au résultat, etc. Je réfléchis actuellement à différentes idées qui permettraient de partager les revenus de manière plus équitable entre tous les acteurs contribuant au fonctionnement de ces outils IA. Je ne suis pas encore prêt pour présenter le fonctionnement du modèle que j'ai en tête. J'espère que cette idée aura le même impact sur la monétisation de l'IA que celle que j'ai eu avec le CPC pour la monétisation du web.

Quelles sont vos projections sur l'impact et les avancées de l'IA dans le futur proche ?

D'ici la fin de cette décennie, je pense que l'IA sera dans tous les appareils que nous utilisons, tout comme le sont l'électricité ou Internet. Que ce soit dans des lunettes, montre, ou oreillettes connectées, il suffira de poser une question pour obtenir la réponse. Cette technologie va créer de nouvelles opportunités et devrait surtout permettre à de nouvelles entreprises d'être lancées beaucoup plus rapidement qu'auparavant. Nous verrons sûrement des entreprises valorisées plus d'un trillion de dollars apparaître au cours de la prochaine décennie et qui nous sont encore inconnues aujourd'hui.

Bill Gross est un innovateur et serial- entrepreneur, qui a lancé plus de 150 entreprises, dont plus d'une cinquantaine ont été introduites en bourse ou acquises. En 1996, il fonde Idealab, un incubateur dédié à l'innovation, qu'il dirige encore aujourd'hui. Il est notamment connu pour avoir été un pionnier de la monétisation du Web en adoptant le modèle du pay-per-click basé sur un système d'enchères pour des mots-clés au sein de son moteur de recherche Goto.com en 1998. Bill Gross est détenteur de plus de 100 brevets et se concentre actuellement dans l'innovation dans des secteurs tels que l'énergie, le climat ou encore l'IA. Il siège au conseil d'administration de son ancienne université, le California Institute of Technology (Caltech).