Procès contre Uber : et si la France avait une dent contre l’innovation ?

L’aventure judiciaire se prolonge pour Uber. La décision de justice dans le procès qui oppose les VTC à la société californienne vient en effet d’être reportée, pour la deuxième fois, au 12 décembre 2014.

Si ces ajournements sont révélateurs de la complexité du dossier, la délibération du Tribunal de commerce devrait avoir des retombées qui iront bien au-delà du microcosme que constituent les entreprises de transport, pour toucher l’ensemble du tissu entrepreneurial dédié au numérique.

UberPOP attaqué : quand la mauvaise foi veut faire sa loi

Le suspens perdure concernant le sort que la justice va réserver à UberPOP. Le service d’Uber, qui consiste à permettre à des particuliers de devenir des chauffeurs occasionnels, attire en effet la fronde des VTC depuis déjà plusieurs semaines maintenant. Certains d’entre eux, dont les sociétés Le Cab et Transdev, n’ont pas hésité à conduire l’affaire devant les tribunaux en criant à la concurrence déloyale. Rapidement rejoints par les taxis, ces nouveaux amis-ennemis n’ont qu’une seule envie : voir UberPOP disparaître.
Or, là où Le Cab aime se victimiser en poussant les juges à considérer UberPOP comme une menace de concurrence déloyale, son dirigeant Benjamin Cardoso déclare : « si UberPOP est reconnu légal, tous les VTC devront l'imiter ». Une confession qui en dit long sur la véritable nature des attaques proférées aujourd’hui contre Uber. En voulant interdire le service UberPOP, Le Cab et consorts veulent simplement mettre fin à une idée qu’ils auraient tous voulu voir naitre sous leur nom.
Les VTC grondent contre les conditions qui sont imposées à leurs chauffeurs (heures de formation, capacité financière) et dont sont soustraits les conducteurs UberPOP. Une pseudo inégalité qui rendrait plus difficile le chemin des VTC jusqu’au client. Officiellement, Uber est attaqué car la société ne répondrait pas à un cadre réglementé auquel les plaignants souhaitent à tout prix rattacher UberPOP.
Officieusement, ce qu’on reproche à Uber, c’est d’oser faire naître de nouvelles idées et de les appliquer en gardant constamment en tête les intérêts du consommateur. Des idées qui seront pourtant immédiatement récupérées par une concurrence accusatrice si validées par la justice. Le but ici d’Uber est de proposer un service en direct adéquation avec les besoins du consommateur : rapide, moins cher et toujours de qualité.
« Il n’y a pas d’innovation sans désobéissance », disait l’écrivain Michel Millot. En créant UberPOP, Travis Kalanick, PDG d’Uber, a fait ainsi preuve d’une audace qu’on retrouve dans toutes les start-ups innovantes qui comptent aujourd’hui à travers le monde. Des acteurs de l’économie numérique travaillant pour l’intérêt général et réinventant l’existant en usant du progrès technologique. Un écosystème de start-up dont la France n’a pas à rougir et qui se retrouve concerné par le futur d’Uber dans l’Hexagone.

Innovation vs. corporations : un match que la France pourrait perdre

En termes de start-up numérique, la France peut s’enorgueillir de quelques succès à son actif : Dailymotion, Viadeo, Deezer, Criteo ou Blablacar font office de fiertés nationales dont la réussite dépassent souvent nos frontières. Seulement, malgré ces grandes têtes d’affiches et le dynamisme véhiculé par le secteur dans certains pays du monde (Etats-Unis, Japon), ainsi que la formidable montée en puissance qu’il a vécu en France jusqu’en 2010 (700 000 emplois créés dans la filière entre 1995 et 2010), le numérique voit depuis sa croissance ralentir, et les chiffres oscillent désormais entre légère baisse et augmentation anecdotique.
Après une année 2013 peu réjouissante marquée par une croissance en négatif,  2014 devrait se terminer avec une croissance de +1,1 %. Un retour en positif encourageant mais qui figure loin derrière ce que vivent certains de nos voisins européens (+3,5 % pour le Royaume-Uni, + 4,3 % pour l’Allemagne) et bien en deçà de la croissance qui est prévue à l’échelle mondiale (+4,6 %). Les chiffres français ne reflètent donc pas la volonté du Gouvernement et de sa Secrétaire d’État chargée au Numérique Axelle Lemaire, de donner à la filière numérique française la dimension d’une véritable « French tech ».
Seulement, pour faire résonner la France à l’international en brandissant des start-up à succès, il faut d’abord revoir la façon dont on traite l’innovation dans notre pays. Et pour cela, la situation dans laquelle se retrouve Uber semble être un bon exemple. Interdire UberPOP reviendrait à faire un bon de quelques années en arrière et faire fermer les sites Deezer ou Spotify en les accusant de voler la musique aux maisons de disques. Décriées à leur début, ces plateformes de streaming musical font aujourd’hui partie intégrante de notre quotidien. Les tâtonnements du début ont laissé place à de véritables business model copiés par toute la concurrence.

Alors oui, nous pouvons continuer d’avancer au ralenti, de regarder l’innovation avec méfiance et retenue comme une menace pour nos corporations enracinées dans leur monopole et dont le seul objectif est de conserver leurs privilèges. Mais dans ce cas, que le Gouvernement ne vienne pas nous parler de French tech ou de croissance économique aidée par la filière du numérique.
La France a les ressources pour devenir une nation qui pèse dans l’écosystème numérique mondial, elle a les idées et les personnes pour les mettre sur pied. Il serait dommage de donner l’impression que la France tourne le dos à l’innovation, et même si cette dernière vient d’ailleurs, pour in fine l’imiter dès qu’elle en a l’opportunité. Il s’agit seulement de reconnaître les bonnes idées quand on les voit et non de les étouffer sous prétexte qu’on n’en a pas été l’instigateur.