La Data : quelle valeur ? pour qui ?

Les comportements "data driven" conduisent à des impasses, à des échecs, car ils sont basés sur une métaphore erronée de ce qu'est….la data.

Les start-up sont " data driven ", les consultants en transformation digitale adjurent les entreprises de collecter de la data, les "data lakes" font florès et les usagers des GAFA réclament une part des revenus créés par l'utilisation de leurs datas. Tout le monde sait que la data a une valeur. Les plus grandes entreprises dans le monde basent leur modèle économique sur cette ressource. Les algorithmes de l’Intelligence Artificielle les engloutissent.

"La data est le nouveau pétrole" : l’un de ces mantras trompeusement simples du monde digital.

La data n’est pas un bien comme un autre. Il ne s’agit ni de de pommes, de poires, de scoubidous, de coupes de cheveux ou… de pétrole. Prenons deux exemples afin d’illustrer ce propos. Si vous héritiez de 10 000 tonnes de pétrole brut vous pourriez les monétiser, après quelques tracas et suite au paiement de nombreux frais, sur la base du cours du Brent multiplié par le nombre de barils. Envisageons maintenant un autre type d’héritage : Amazon vous envoie un fourgon rempli de disques durs contenant toutes ses ventes et ses données de navigation de l’année dernière. Qu’en faites-vous ? Nous sommes bien d’accord qu’il s’agit d’un trésor de plusieurs millions d’euros mais ces données d’achat ne valent une immense fortune… que pour Amazon.

Parce qu’Amazon a construit une présence e-commerce au niveau mondial, possède un moteur de recommandation et de publicité hyper efficient, dispose d’entrepôts et de chaines d’approvisionnement dont la complexité est hallucinante et sait utiliser cette data avec de l’Intelligence Artificielle… et cela, vous ne l’avez pas. Bien sûr des concurrents pourraient être intéressés par cette data mais il y a sûrement une clause de l’héritage qui vous interdit de la leur vendre. Car jamais Amazon ne voudra vendre ses datas à Walmart, pas plus qu’AirBnb à Booking.com.

Il existe également des marchés de la data à l’extérieur des géants du digital. Mais il ne s’agit, en termes de valorisation, que de pourboires si on la compare à la valeur créée par les GAFAM. Par exemple, le marché de la donnée de géolocalisation est estimé à 250 millions d’euros en 2020. Pour Google il s’agit de moins d’1/4 d’heure de profits. La data n’est pas le "pétrole du XXIème siècle". La perpétuation de cette analogie est même néfaste car la data se caractérise par une grande variété de types et d’usages.

La data ne se détruit pas lors de sa consommation et peut être utilisées à l’infini, sans s’user. Elle nécessite parfois des volumes importants, des flux rapides ou des contextes spécifiques pour déployer de la valeur. Certaines sont plus utiles quand elles sont agrégées tandis que d’autres doivent être individualisées. Par exemple la data médicale d’un patient peut avoir plus de valeur quand elle est combinée à celles d’autres personnes tandis que l’historique de navigation sur le web prend toute sa valeur quand il est utilisé pour bombarder de publicité un individu.

L’usage de la data peut avoir des répercutions aussi bien positives, par exemple pour améliorer la santé, que négatives quand des données personnelles sont piratées. La temporalité de la data importe également. Les flux de données provenant d’un système de navigation GPS pour automobile sont utiles pendant 10 minutes tandis que les opérations de vente d’un distributeur participent de la prévision de la demande de l’année prochaine. La valorisation de la data est complexe et celle revendiquée par la majorité des start-up relève du fantasme.

Car cette valeur n’existe pas en tant que telle mais à l’issue de sa transformation pour créer, le plus souvent indirectement, de la valeur du point de vue du client. La data n’a de valeur que parce qu’elle participe à la chaîne de valeur de l’utilisateur, du client.

La question qui se pose est de savoir qui peut avoir le bénéfice de cette valeur ? La métaphore du pétrole laisse croire que les informations personnelles devraient être vues dans une optique de "propriété" par les usagers qui auraient ainsi le droit de toucher une partie de la manne créée grâce à eux. Une réflexion sur la véritable nature de la data amène à envisager plutôt une gestion de "droits d’accès".

Ainsi les individus peuvent contrôler comment leurs données sont utilisées. Elles ne devraient pas être traitées, au contraire de ce que pensent certains politiques, comme un billet de loto gagnant. Le véritable enjeu de la data au niveau des Etats et de leurs rapports avec les GAFAM est alors non pas de la taxer mais de la libérer. Tout le contraire du pétrole.